Il y a peu nous partions à la découverte d’une ville qui ne laisse pas indifférent : la Grande Motte. Critiquée par certains pour son architecture bétonesque c’est justement pour découvrir cette architecture hors du commun que nous partions.
La Grande Motte est une ville qui vaut le détour. Nichée au cœur de la nature et les marais c’est un défi que l’on doit à la volonté des hommes. Ces mêmes hommes qui ont décidé il y a quarante ans de faire naître une cité futuriste et moderne en plein cœur d’une terre inhospitalière pour la transformer une cité balnéaire unique en son genre.
Cette construction bétonnée et cette vision de la ville datant des années 60 son souvent décriés par ceux qui ne possèdent pas les clés de lecture de cette ville. Sans ces clés de lecture on pourrait y voir une cité balnéaire classique manquant de charme et de verdure alors qu’il s’agit de tout le contraire.
Retour sur cette ville pleins de surprises.
« La Grande-Motte est en quelque sorte un lieu saint : les hommes et les femmes viennent y adorer le soleil. C’est là une religion vieille comme le monde qui, de nos jours, connaît un regain de ferveur.»
Jean Balladur,
Une décision politique
Sur les rives de la méditerranée, près de Montpellier, l’architecte et urbaniste Jean Balladur (1924-2002) invente une ville balnéaire sixties dont la modernité s’incarnent en formes pyramidales évoquant les cultes solaires millénaires de la Mésopotamie, de l’Egypte ou de l’Amérique précolombienne. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette station surgi des sables et des marais dans un site improbable et hostile dans une région qui à l’époque ne faisait pas rêver loin de là. Le Languedoc-Roussillon était une région déshérité gravement touché par la crise de phylloxéra qui avait ravagé ses vignobles et les moustiques. L’État décide de tirer parti des richesses touristiques du Languedoc-Roussillon, et lance un ambitieux projet d’aménagement du littoral. L’opération s’engage dans le plus grand secret, afin de ne pas attiser la spéculation immobilière. Le 18 juin 1963, est créé la Mission Interministérielle d’aménagement de la cote Languedoc-Roussillon, ou Mission Racine, du nom de son président Pierre Racine (1909-2011). La Mission Racine doit son efficacité au fait qu’elle est conçue comme un « commando » qui échappe aux lourdeurs et aux procédures administrative habituelles, et ne rend des comptes qu’au plus haut niveau de l’État. Son succès, dans une opération que P.Racine qualifie lui-même de Mission impossible, est encore dû au nombre restreint et à la qualité des personnes qui la composent, ainsi qu’à leur sens du service de l’État. En un peu plus de vingt ans, ils relèvent le défi de l’aménagement de ces 180km côtiers, qu’ils assèchent, démoustiquent et desservent par des autoroutes. Ils y créent six unités touristiques de près de 100.000 lits, séparées par des zones du littoral déclarées inconstructibles afin de conserver à la côte son caractère naturel et sauvage. Dès 1962, une équipe de huit architectes a élaboré secrètement, sous la direction de Georges Candilis, le plan d’aménagement d’ensemble de la côte. Chacun se voit également confier la réalisation d’une ou de plusieurs stations, en particulier Balladur à La Grande-Motte.
La ville d’un homme
Balladur bénéficie de prérogatives exceptionnelles, comparables à celle des architectes et urbanistes en chef des villes sinistrées de la seconde guerre mondiale. Nommé pour vingt ans, il dépend directement de P.Racine dont il aura toujours la pleine confiance. Il conçoit le plan d’urbanisme de la ville, en définit les principes architecturaux, en contrôle les architectes et se réserve la réalisation de quelques édifices publics majeurs : la mairie, l’église, le palais des congrès. Balladur est un architecte singulier. Disciple du philosophe Jean-Paul Sartre, il se destinait à une carrière littéraire qu’il abandonne pour l’architecture, après la guerre, convaincu qu’il sera ainsi plus utile dans un pays à reconstruire. Balladur est un architecte moderne, mais n’est pas prêt à se laisser enfermer dans une école de pensée. Il conduit une réflexion personnelle sur sa mission d’architecte. La Grande-Motte en est l’expression la plus aboutie.
La ville balnéaire réinventée
Loin de nier la beauté sauvage du site, Balladur cherche à composer avec ses éléments constitutifs : la mer, le soleil et le vent.
Balladur recherche également la juste échelle de cette ville future qu’il a en charge d’imaginer. A la Grande-Motte, s’invente le balnéaire pour tous, une ville dédiée au culte du soleil.
Quatre principes urbains régissent La Grande-Motte : contenir l’automobile ; différencier les quartiers; composer en volumes et en vides ; édifier une ville verte.
Les quartiers, aux formes différenciées, s’articulent sur le port dont la forme et l’orientation ont été calculées en raison des vents et des courants dominants, de sorte que l’évitage des bateaux amarrés dans le port reste faible quel que soit le vent. A l’est, le quartier des pyramides dont l’orientation a suivi cette inclinaison ; à l’ouest, les Conques de Vénus toutes en courbes. Au nord du port, la Grande pyramide établit le lien entre le levant et le couchant. En périphérie, le quartier résidentiel de maisons individuelles, celui du golf et la peupleraie du camping, complètent le dispositif.
Le souci de protéger les plantations pour transformer cette zone inhospitalière en oasis de paix et de fraîcheur conduit Balladur à adopter une composition volumétrique. Il découpe ou sculpte ses formes en volumes contrastés et variés. Mais au nom d’un principe de dualité qui lui est cher, l’architecte accorde autant d’importance au vide qu’au volume. « Contrairement à l’opinion commune » ajoute Balladur, le vide est la matière première de l’architecture.
La Grande-Motte est une ville verte. L’expression appartient au vocabulaire de la modernité. Le Corbusier avait dès 1935 imaginée le concept de Ville Radieuse, où le bâti, densifié en hauteur, permettait de libérer jusqu’à 85% du sol dédié à la végétation. Ces principes n’ont jamais été appliqués. A La Grande-Motte, la végétation occupe cependant un tiers de la surface de la ville, soit 130 hectares. Il ne s’agit pas simplement d’agrémenter la vue, mais d’une véritable intention urbaine forte où la végétation participe pleinement de la conception d’espaces publics. La ville verte, offre un confort de vie remarquable aux habitants qui peuvent déambuler dans la fraîcheur de l’ombre de la végétation sur une grande part du territoire de la commune. Dès les premières esquisses du plan d’urbanisme, le plan de plantation a été intégré à la conception de la ville. Des paysagistes, Elie Mouret de 1964 à 1969, et surtout Pierre Pillet, de 1965 jusqu’au terme de la construction de la ville, ont travaillé étroitement avec les architectes pour que La Grande-Motte deviennent, là où rien ne poussait, une véritable oasis.
Les hommes de cette création architecturale unique ont imaginé une cité magique dans laquelle le végétal omniprésent s’enroule autour du béton dans une alliance singulière et foisonnante. Pas moins de 80 km de sentiers pédestres à parcourir, 28.000 arbres d’alignement et de parcs, 70% de la ville en espaces naturels.
La ville des Pyramides
A l’heure où l’architecture moderne triomphe en s’appauvrissant dans les plans masses répétitifs et les formes banales des grands ensembles de logements, Balladur dessine La Grande-Motte en conservant une écriture architecturale épurée et géométrique au service de la diversité et de la liberté formelles. Les raisons du choix des formes pyramidales sont multiples, à commencer par ce refus des « blocs de béton, inhumains et stupides » qui, selon Balladur, écrasent le paysage français. En optant pour ces formes millénaires, Balladur invente le balnéaire moderne. Les pyramides sont un hommage au culte du soleil.
La ville considérée comme une œuvre d’art totale
Les travaux engagés en septembre 1966 par le nivellement du sol, son rehaussement de deux mètres, le dragage de l’étang du Ponant et la construction du port, sont titanesques. La surélévation du sol nécessite le déplacement de cinq millions de mètres cubes de terre et de sable, soit l’équivalent de cinq cubes de cent mètres de côté ! Les premières photographies aériennes montrent la priorité donnée à la construction de la voirie et des réseaux qui quadrillent un paysage lunaire. Dans le même temps, il a fallu démoustiquer puis engager la végétalisation du sol. Les bassins du port sont creusés dans la terre ferme après la construction des quais qui les délimitaient. Les digues sont faites avec des blocs découpés dans les proches Cévennes. Puis commence en 1967, la construction des deux premières pyramides, le long du port. Elles sont l’œuvre de Balladur qui souhaite donner le ton aux architectes appelés à construire La Grande-Motte. Au final, ils seront quatre-vingt-dix, dont Paul Gineste et Pierre Dezeuze, proches fidèles de Balladur. Chaque lot confié à un promoteur, fait l’objet d’une fiche qui impose la superficie, l’affectation, l’implantation du plan masse, le nombre d’étage, le gabarit, la présence de terrasses, l’obligation d’espaces verts s’il y a lieu, les couleurs, etc…
Ainsi Balladur, dont l’action s’étalera sur trois décennies, aura la capacité de fixer et de contrôler l’architecture de la ville et de lui conférer une véritable identité.
Ce cadre précis n’interdit pas l’invention formelle. Elle s’inscrit dans la vogue de l’architecture-sculpture qui cherche à renouveler le langage du Mouvement moderne soumis à toutes les critiques dès la fin des années soixante.
Riche d’une architecture sculpture exceptionnelle, La Grand-Motte est également l’écrin privilégié de nombreuses sculptures urbaines qui ne font qu’un avec les œuvres de Balladur et de ses confrères.
N’hésitez pas à découvrir cette ville sous un angle original : parachute ascensionnel pour découvrir la ville vue du ciel, Segway pour pouvoir parcourir la ville sans efforts, ou bien voilier pour redécouvrir la ville vue de la mer.
Venez découvrir cette cité classée patrimoine mondial du 20ème siècle par l’Unesco par vous même et vous en sortirez surpris et charmé à coup sur.
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