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La règlementation de la finance et le « pouvoir de l’argent »

Publié le 24 septembre 2013 par Copeau @Contrepoints

On doit se méfier de la forme que prend le « pouvoir de l’argent » dans une économie mixte et corporatiste, avec ses banques centrales, ses cartels et ses « too big to fail ».
Par Sheldon Richman, depuis les États-Unis.

La règlementation de la finance et le « pouvoir de l’argent »

Dans une de ses critiques de la politique de « l’argent libre » proposée par les inflationnistes à la fin du dix-neuvième siècle, le champion du laissez-faire William Graham Summer écrivait :

Nous entendons de féroces dénonciations de ce qu’on appelle le « pouvoir de l’argent ». On le dit puissant, démoniaque, dangereux ; et si cette description est correcte, les intrigues que l’on propose pour le maîtriser sont futiles et ridicules. Ces intrigues ont pour seul résultat de permettre aux faux monnayeurs et aux naufrageurs financiers de manœuvrer les cours et les marges tout en alourdissant le coût et les risques de la finance légitime, ce qui augmente le prix des opérations commerciales. Les parasites du système industriel prospèrent partout où ce système est complexe. Ils se nourrissent de la confusion, du désordre, de l’irrégularité, de l’incertitude. Le meilleur moyen de les tuer est de rendre le système monétaire absolument simple et sain. N’est-il pas puéril de la part de personnes simples et honnêtes d’adopter un système monétaire plein de mystère et de subtilité, puis de supposer qu’ils en profiteront plus que les ingénieux et les rusés ?

Il me semble que cette argumentation est entièrement applicable au débat actuel concernant la régulation financière, qui ne servira au final que les initiés. Ceux qui disposent du « pouvoir de l’argent ».

Des règlementation à tout va

Commençons par noter qu’il n’y a eu aucun manque de règlementation financière ces 30 dernières années. La tant décriée période de "dérégulation" est un mythe risible. Si on peut tirer une leçon du désordre financier, c’est l’échec de l’État régulateur (entre autres, avec celui des banques centrales et des politiques de logement). L’idée que nous souffrons d’un définit de réglementation est fausse. Par conséquent, l’idée que nous avons besoin de réglementation supplémentaire pour éviter une nouvelle débâcle est pire que fausse.

Certains avocats de la régulation admettront que nous n’avons pas besoin de plus de règles, mais plutôt de meilleures règles. Je suis d’accord, mais qu’est-ce que cela signifie ? Dès que l’on comprend la nature du marché et de la bureaucratie, une seule conclusion s’impose : la meilleure régulation possible est celle du marché lui-même. Les marchés libres ne sont pas des marchés dérégulés. Au contraire, ils le sont sévèrement par la compétition, la menace de pertes et de faillite. Toute action de l’État pour affaiblir ces forces assouplit simultanément l’impitoyable discipline imposée aux entreprises, au détriment des travailleurs et des consommateurs. Le bien-être du public en souffre mécaniquement.

Tout ça est naturellement difficile à avaler. Comprendre le fonctionnement d’un marché libéré de l’État et de son lot de monnaie facile, de favoritisme, de garanties implicites et autres incitations perverses demande du temps et de la concentration. Dénoncer les marchés, la cupidité (qui bien sûr n’affecte jamais les politiciens) et réclamer plus d’interventionnisme est une meilleure manière d’appâter l’électeur. À l’ère d’internet et de la télévision par satellite, la patience est une denrée rare et les avocats de la liberté doivent surmonter cette barrière.

Interférer avec le libre-échange

L’interférence étatique dans le libre échange (incorrectement appelée « régulation ») est présentée comme nécessaire. C’est faux, et une des manières de le comprendre est de saisir que les bureaucrates sont incapables de définir ce qu’ils auraient besoin de savoir pour remplir le rôle qu’ils se donnent. Les marchés, en particulier financiers, sont trop complexes pour que nos gouvernants (ou n’importe qui d’autre) puissent les contrôler. Peu importe l’étendue de leur pouvoir, ils ne peuvent pas prévoir le futur ou repérer les « risques excessifs ». Ils peuvent très bien, en revanche, freiner sans s’en rendre compte des innovations qui auraient bénéficié à tous. Un contrôle centralisé accru ne peut qu’attirer les désastres. Notre unique espoir pour la sécurité économique réside dans la décentralisation et la compétition.

Si la gestion par l’État de l’activité financière ne sert pas le public, à qui profite-elle ? Revenons à la citation de Summer. Il avait parfaitement compris que la règlementation crée un réseau complexe de règles et de procédures, une puissante bureaucratie, et enfin de larges opportunités de manipulation, trafic d’influence et corruption ouverte. Et qui se retrouve aux meilleures places pour fausser le système ? Les « faux monnayeurs », les « naufrageurs financiers », c’est-à-dire les initiés qui servent le « pouvoir de l’argent ». Ils sont les plus proches des régulateurs. Eux seuls disposent de l’information et de la motivation nécessaire pour tourner ces règles vagues et complexes (qu’ils auront sans nul doute aidé à rédiger) à leur avantage. Combien de fois cela devra-t-il arriver avant que nous ne comprenions ?

Comme le dit Summer : « Les parasites du système industriel prospèrent partout où ce système est complexe. Ils se nourrissent de la confusion, du désordre, de l’irrégularité, de l’incertitude. »

Alors, il se demande : « N’est-il pas puéril de la part de personnes simples et honnêtes d’adopter un système monétaire plein de mystère et de subtilité, puis de supposer qu’ils en profiteront plus que les ingénieux et les rusés ? »

Un pouvoir suspect

On doit se méfier de la forme que prend le « pouvoir de l’argent » dans une économie mixte et corporatiste telle que la notre, avec ses banques centrales, ses cartels et ses « too big to fail ». Summer affirme à raison que « le meilleur moyen de tuer [le pouvoir de l’argent] est de rendre le système monétaire absolument simple et sain. » Mais nous devons aller plus loin et le soumettre à la froide logique de la compétition, du profit et des pertes, et de la faillite.

Ce n’est pas ce que nous obtiendrons de « réformes » règlementaires. Au contraire, elles scelleront une nouvelle victoire du pouvoir de l’argent.

---Publication originelle en 2010, dans The Freeman. Traduction : Lancelot/Contrepoints.


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