La liberté politique est-elle un moyen ou une fin du développement ?
Publié le 3/10/2013
Peut-il y avoir développement économique sans l’existence d'institutions démocratiques ? La démocratie est-elle un impératif préalable au développement ?
Par Younes Belfellah pour Libre Afrique.
Une revue rapide du débat et des expériences internationales sur ces questions permet une lecture croisée des deux optiques.
La liberté politique comme moyen de développement économique…
Dans cette première perspective, les piliers universels de la démocratie que sont l’état de droit, le pluralisme, la participation et la séparation des pouvoirs constituent les fondations de l’édifice du développement : le processus démocratique valide les biens publics nécessaires au développement.
L’exercice démocratique se fond sur des pratiques constitutionnelles vouées à l’atteinte des objectifs de développement : la critique publique du gouvernement, la redevabilité, la reddition des comptes, l’imputabilité, le contrôle et le suivi du pouvoir législatif et de l’opposition en adressant des actions correctives et des pistes d’amélioration.
Ce processus passe immanquablement par l’implication des citoyens dans la prise de décision à travers les organes de la société civile indépendante. Cette dernière, signe d’avancée démocratique, contribue à la consolidation de la solidarité et de la cohésion sociale. Indirectement, la confiance sociale ainsi générée constitue un lubrifiant dans les rouages économiques.
En outre, la liberté de pensée et d’expression a un rôle crucial dans l’émergence de l’économie de la connaissance, typique d’un marché globalisé : l’ouverture d’esprit, l’innovation et la créativité sont les trois cercles concentriques de la société technologique qui fortifient le capital cognitif, soubassement d’un développement pérenne.
À juste titre, une corrélation s’enregistre entre démocratie et liberté économique, permettant de mobiliser davantage la croissance.
Des exemples éloquents soulignent le lien causal entre système démocratique et la voie vers le développement : l’Inde, le Brésil ou même la Turquie, qui a réussi le passage d’une république bananière gouvernée par un régime militaire autoritaire à un modèle de développement, avec une montée en puissance reflétée par son classement dans le top 20 des économies mondiales, la réalisation du taux de croissance le plus élevé en Europe (9%) et la maîtrise du taux de chômage.
…ou comme fin du développement économique ?
Dans cette deuxième hypothèse, le développement vise l’acquisition des capacités de base, l’amélioration de la qualité de vie et l’intégration de la société pour le renforcement des libertés. Pour Simon Kuznets la lutte contre la privation en tant qu’aspect du développement, conduit à des libertés associées à la science et la sécurité préventive ainsi qu’à l’intégration de la culture démocratique. Selon Martin Lipset la démocratie est une conséquence du développement, étant donnée la grille de mesures démocratiques incitatrices au développement : les droits de propriété, le droit d’entreprendre et la liberté concurrentielle.
La liberté économique tient une importance accrue dans la promotion régionale et spatiale en favorisant l'entrepreneuriat, la prise d’initiative et la compétitivité. La hausse de revenus qu’elle entraine permet de poser les jalons d’une société mure pour la démocratie.
Au regard de cela, les expériences mondiales exposent que lorsque les peuples frôlent la barre d’un seuil de développement déterminé, ils n’acceptent plus la tyrannie et le despotisme. Par conséquent, des lois transparentes, des institutions de reddition des comptes et un espace syndical et politique libre deviennent une nécessité inéluctable.
Ici ce sont les cas de la Malaisie, du Chili ou encore de la Corée du Sud. Cette dernière a surmonté ses crises économiques, se positionnant désormais parmi les vingt pays les plus riches du monde. C’est sous le leadership du Général d’armée Park Chung-Hee entre 1961 et 1979 qu’un accord de type Authoritarian Bargain Model (Sen) entre le peuple et l’État, et dans lequel le citoyen n’intervient pas dans les affaires et les décisions politiques, en contrepartie des services essentiels et du bien – être.
Les partisans de ces postulats ajoutent que dans des sociétés fragiles en termes de développement, la démocratie risquerait de créer des conflits, faire émerger des insatisfactions et induire des guerres civiles.
On le voit : le débat sur l’antériorité entre le développement économique et la liberté politique reste indécis sur le plan théorique et pratique. En réalité, une nouvelle perspective orientée vers la complémentarité s’avère plus fertile. Liberté politique et économique se nourrissent l’une l’autre pour atteindre le « développement ».
Cette démarche « parallèle » est requise pour mettre en place les jalons de la vraie démocratie à travers la révision du « contrat social » avec l’État. Il faut initier la transformation de l’économie de rente marquée par un capitalisme clientéliste vers une économie productive, et engager la réforme institutionnelle qui assure la bonne gouvernance et la confiance entre les citoyens et les pouvoirs publics.
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Younes Belfellah est chercheur en économie-politique au Maroc.
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