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Pierre Huygue, l’art actuel au centre Pompidou

Publié le 03 octobre 2013 par Unoeilsurlapub @ccilepineau

La rétrospective du travail de l’artiste Pierre Huygue est annoncée comme un évènement. Les passions des experts et des amateurs se déchaînent sur les blogs dédiés à l’art et à sa critique. Et d’un seul coup du haut des mes 5 années d’étude en histoire de l’art et autant en enseignement de l’art actuel, je me sens bien petite face à l’énervement de certains et à l’émerveillement des autres.

Mais l’art vaut bien que les passions se déchaînent, surtout l’art actuel et conceptuel, qui pose souvent plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Ici, vous trouverez un avis de plus ou plutôt une expérience… Avec les yeux d’une amatrice candide plutôt qu’avec l’avis éclairé d’un expert.

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Untilled (Liegender Frauenakt), 2012, Collection Ishikawa, Okayama, Japon

L’univers de Pierre Huygue

Cette rétrospective est l’occasion de se plonger dans l’univers de l’artiste. La multitude des formats artistiques proposés nous montrent de nombreuses facettes de son travail  : œuvres sonores, visuelles ou vivantes, happening, performances, tout le monde peut y trouver son compte.

La première salle présente 3 œuvres dont deux ont retenu mon attention.

La plus évidente est la sculpture de Parvine Curie, présentée dans son état actuel, fragmentaire et endommagé. Curieuse idée de présenter une oeuvre monumentale dès la première salle qui ne soit pas de l’artiste. Dès le début nous comprenons que  cette exposition, à l’instar de l’ensemble du travail de Huygue, rompt avec les codes traditionnels muséographiques. Mais je n’en attendais pas moins de cet évènement. Un lien entre cette sculpture et l’artiste existe tout de même, puisque son lieu d’exposition habituel est l’ancien collège où Pierre Huygue était scolarisé.

Un extrait sonore habille le silence de la pièce. Nous entendons des voix, il s’agit en fait d’un extrait sonore d’une journée de l’Institut des hautes études en arts plastiques, haut lieu de l’art actuel français.

Une deuxième salle se décompose en deux parties. Une première partie expose tous les états de l’eau : vapeur, glace, liquide dans une scénographie particulière. Le passage est ainsi réduit pour accéder à l’une des œuvres les plus emblématiques de l’expo : Untilled (Liegender Frauenakt). ils ‘agit d’une sculpture représentant un homme couché dans un style classique. Un essaim d’abeilles en construction vient rompre le classicisme de l’objet. Je comprends mieux le message d’avertissement que j’avais lu au préalable sur le dépliant de l’expo : « Il est déconseillé aux visiteurs allergiques aux abeilles de s’approcher de la sculpture Untilled. Il est interdit de franchir les dalles. »

Cette salle est vitrée et permet au visiteur d’apercevoir le reste de l’exposition : tas de sable rose, personnage se baladant avec un curieux masque lumineux, lévrier avec une patte rose. Nous sommes bien dans une rétrospective d’art actuel et petit à petit nous basculons dans un autre monde, celui de l’artiste et de son imaginaire concrétisé à travers des objets, des situations où tous les modes d’expressions artistiques sont rendus possibles.

Au fil de la découverte des salles, nous découvrons de nombreuses vidéos, installations, aquariums. Cette rétrospective est riche et il faut l’aborder comme une promenade à travers un monde dont les codes nous sont presque étrangers. Ils le sont moins pour les amateurs de l’artiste ou pour les fins connaisseurs de l’histoire de l’art actuel français. Car malgré sa singularité, le travail de Pierre Huygue est bien ancré dans l’histoire de l’art et de l’art actuel.

Avant cette rétrospective, je le connaissais surtout pour son apport à l’art vidéo avec L’Ellipse (1998) et No Ghost, Just a Shell (1999-2003). À mon grand regret L’Ellipse ne fait pas partie des travaux exposés, mais de nombreux autres comblent ce manque.

L’univers  artistique de Pierre Huygue est très vivant, il va jusqu’à exposer du vivant. Outre les performances auxquelles l’art contemporain est habitué depuis bien longtemps, des animaux vivants et en toute liberté font partie  intégrante de ses travaux. Notons la présence d’araignées qui tissent leur toile et suivent leur propre chemin au sein de l’exposition, mais aussi celle d’un chien, un lévrier blanc et rose fluo se promenant tranquillement parmi les visiteurs.

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Des araignées d’eau font aussi partie du travail exposé pour cette occasion. Si l’intrusion de grands aquariums rappelle Damien Hirst et son requin conservé dans un gigantesque aquarium rempli de formol, la comparaison avec l’artiste britannique s’arrête là. Damien Hirst expose la mort, Pierre Huygue expose le vivant. D’ailleurs cette obsession de l’araignée nous rappelle une autre artiste : Louise Bourgeois.

Les choix scénographiques

Pierre Huygue est souvent présenté comme un artiste redéfinissant le statut de l’oeuvre et le format d’exposition.

Et la rétrospective de son oeuvre le démontre très bien. Pas de cartels après les murs, mais un plan distribué à l’entrée avec de nombreuses informations nous permet de nous repérer plus ou moins bien dans l’expo. L’absence de cartel est dérangeante au début, mais lorsque l’on perd le réflexe de chercher le titre de l’oeuvre, on se concentre sur le message qu’elle émet. L’oeuvre reprend ses droits sur le lieu d’exposition et sa lecture n’est plus brouillée par un texte parasite. Il faut dire que certaines salles ne présentent qu’un trou dans un mur ou des araignées dans un coin, ce minimalisme scénographique est très intéressant et permet de nous plonger dans un univers étrange.

La scénographie est pensée comme une promenade. Il n’y a pas de parcours prédéterminé, des cloisons délimitent des espaces et favorisent une circulation libre. Au final ce lieu parait plus grand, les choses à voir plus nombreuses.

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Les nombreux bancs permettent au visiteur de prendre le temps de la réflexion et de la contemplation devant les aquariums mais aussi devant les nombreuses vidéos.

L’interaction est possible avec certaines œuvres : un plafond éclairé est fait pour être commandé par le visiteur grâce à deux commandes mises à sa disposition, le visiteur peut laisser son empreinte dans le sable rose dans une pièce voisine.

Une expo pour les initiés ?

Mais comme bien souvent pour ce type d’exposition, elle semble réservée à un cercle d’initiés, amateurs d’art actuel, étudiants et professeurs en art. Pour le curieux qui voudrait s’intéresser à l’oeuvre de cet artiste, rien n’est vraiment prévu pour le lui rendre accessible. Aucun audioguide n’est prévu et les explications fournies sur le dépliant sont trop lacunaires.

Pourtant si l’on s’intéresse un peu au travail de Pierre Huygue on se rend compte qu’il ne s’agit en aucun cas d’un acte artistique gratuit qui ne ferait place qu’à l’émotion et à la perception rétinienne ou conceptuelle. Chaque oeuvre s’inscrit dans une démarche singulière et réfléchie. Les quelques explications présentent dans le dépliant le laisse deviner et montre aussi une véritable lacune de cette exposition résidant dans le manque de pédagogie.

Si les grands musées nationaux ne font pas l’économie de la pédagogie et de la vulgarisation pour les artistes de renom dont l’oeuvre figurative est souvent plus accessible aux novices, pourquoi ces mêmes institutions sont-elles réticentes à promouvoir l’art actuel envers le plus grand nombre ? Pourquoi l’exposition Roy Lichtenstein bénéficie d’un audioguide et non celle consacrée à Pierre Huygue ? Les concepts artistiques et l’imaginaire de Pierre Huygue doivent-ils être voués à une confidentialité relative ? Elle est relative car cette rétrospective est tout de même organisée par l’un des plus grands lieux d’exposition d’art contemporain de France, tout en ne faisant pas l’effort de proposer les outils et les clés de lecture nécessaires aux non-spécialistes.

Je reste donc un peu sur ma faim, même si le bilan est très positif. L’univers de Pierre Huygue est riche, sa démarche intéressante. La scénographie et les oeuvres présentées lors de cette rétrospective rendent hommage au travail de l’artiste et plongent véritablement le visiteur — ou plutôt le promeneur — dans son imaginaire.


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