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La République du couac …ou du non dit

Publié le 04 octobre 2013 par Sylvainrakotoarison

Neuf jours après les déclarations polémiques de Manuel Valls sur les "Roms", François Hollande célèbre à grandes pompes la Constitution de la Ve République sans en rappeler les principes fondateurs.

yartiExecut55ans01Il est des silences qui veulent tout dire. Le Président de la République François Hollande a attendu huit jours pour réagir face aux propos très discutables de son très populaire Ministre de l’Intérieur Manuel Valls tenus sur France Inter le 24 septembre 2013 sur « ces populations » qui « ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres » et qui « ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ».

Stigmatisation en dehors du sarkozysme

Ces déclarations, qui ne sont pas sans rappeler le très sécuritaire discours de Grenoble prononcé le 30 juillet 2010 par le Président Nicolas Sarkozy, ont suscité bien des interrogations et des contestations à gauche, par des répliques d’autres ministres, comme Cécile Duflot et Benoît Hamon, un racadrage du Premier Ministre Jean-Marc Ayrault lui-même, mais aucune réaction du chef de l’État.

Mon opinion sur ces déclarations rejoint complètement celle d’un blogueur très fréquenté sur la toile. Les 77% d’opinions favorables détectées par un sondage n’y changeront rien : il est très malsain de s’en prendre à une population de 20 000 personnes, qu’on englobe avec un seul et unique caractère, sans prendre en compte les différences individuelles et le mérite de certains à vouloir justement s’intégrer dans la société française, comme le montre l’exemple de Cristina Dimitru (sur la photo, reçue au Sénat) ou de Linda Mihai, qui ont eu, chacune, la médaille d’or du meilleur apprenti de France, respectivement en 2012 et en 2010.
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Sur la forme, cette polémique montre aussi qu’il n’y a plus besoin de Nicolas Sarkozy et de ses stigmatisations suggestives pour continuer à aider le FN dans la banalisation de ses idées : Arnaud Montebourg dès le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, et Manuel Valls cet automne sont capables d’agiter l’épouvantail de l’immigration de la même manière.

Quand l’indécision sert l’intérêt électoral

Le problème à gauche, c’est que c’est Manuel Valls qui est à l’origine de ces propos, qu’il est parmi les personnalités les plus populaires du pays (et c’est rare), et c’est probable qu’il les a tenus pour la même raison que Nicolas Sarkozy, par démagogie et électoralisme. En clair, par ambition. La gauche pourrait d’ailleurs n’avoir plus que Manuel Valls dans les deux prochaines décennies comme unique espoir de maintien ou retour au pouvoir dans le cas d’une future défaite.

Mais la non réaction de François Hollande me paraît bien plus grave que cet électoralisme. Certes, il a besoin de son seul ministre populaire dans une période de forte impopularité (lui-même découvre les gouffres mitterrandiens avec 23% seulement d’opinions favorables), un premier ministrable, un atout essentiel pour son quinquennat, mais en refusant de donner son point de vue, il cautionne ces déclarations

"Je vous demande de vous arrêter !"

Pire. On attendait qu’au conseil des ministres du 2 octobre 2013, il fasse enfin clore la polémique en donnant son propre sentiment et en exerçant son autorité. C’était vain. Il n’a fait que réprimander son (pauvre) Premier Ministre en lui demandant de rendre un peu plus solidaires ses ministres dans leurs communications, alors qu’il lui aurait suffi d’un mot pour siffler la fin de la récréation.

Soit dit en passant : ce n’est pas la première fois, en seize mois, que François Hollande doit faire les gros yeux à ses ministres pour manque de coordination. Pour l’instant, seule Delphine Batho en a fait les frais. Elle n’avait pas le poids politique de Manuel Valls ou d’Arnaud Montebourg.

Résultat, Jean-Marc Ayrault a envoyé le soir même un email à tous les ministres pour leur demander l’attendre l’autorisation de Matignon avant de communiquer avec les médias et la presse. Tous les ministres sauf Michel Sapin ont fait volte-face, provoquant l'hilarité générale avec des mots d’ironie plus ou moins bien perçus, dont ceux de Manuel Valls.
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Ce sont les "Guignols de l’Info" qui ont le mieux représenté la situation le 3 octobre 2013 sur Canal Plus en faisant de Jean-Marc Ayrault le standardiste de Manuel Valls. C’était cette même impression de penser que le chef, c’était Manuel Valls et pas Jean-Marc Ayrault, ressentie lors de la séance de questions au gouvernement qui a suivi ce conseil des ministres. Un député UMP avait demandé explicitement les explications de Manuel Valls mais c’est Jean-Marc Ayrault qui a répondu (d’habitude, le Premier Ministre répond aux députés de la majorité et laisse un sous-ministre le soin de répondre aux députés de l’opposition).

La Constitution a 55 ans

Et pourtant, la polémique, qui a bien du mal à s’étioler car sans arrêt raviver par les moyens technologiques moderne de communication (comme un tweet incendiaire du compagnon de Cécile Duflot), aurait pu trouver son issue par le haut le 3 octobre 2013, avec la célébration, avec un jour d’avance, du cinquante-cinquième anniversaire de la promulgation de la Constitution de la Ve République, en s’exprimant sur deux éléments phares : d’une part, sur les principes républicains, qui rejettent tout communautarisme et toute exclusion basée sur la simple appartenance à une population, d’autre part, sur la méthode, sur les relations au sein de l’exécutif.

Le Président du Conseil Constitutionnel Jean-Louis Debré, fils de celui qui fut l’auteur du texte fondamental, avait en effet donné à François Hollande l’occasion d’un discours dans un cadre luxueux devant 205 ministres et anciens ministres présents (sur 384 encore en vie), dont Manuel Valls, Christiane Taubira, Édouard Balladur, Lionel Jospin, Dominique de Villepin, Bruno Le Maire, Jean-François Copé, Pierre Moscovici, etc.
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Au lieu de tenir des propos forts sur le sujet, François Hollande s’est contenté de lire un texte sans saveur, qui ne mangeait pas de pain. Il a juste rappelé que les institutions actuelles étaient un peu ambiguës et que c’était parfois une force (serait-il le promoteur de la logique floue ?) et qu’il avait toujours été opposé à l’idée d’une VIe République. Ayant très tôt renoncé à réviser la Constitution, il a seulement annoncé le dépôt du projet de loi prévu par la révision du 23 juillet 2008 sur le référendum d’initiative populaire (qui ne vas pas très loin dans les possibilités des citoyens à se saisir d’un sujet, en raison des conditions très contraignantes).

Le silence ambigu provoque forcément les couacs

Ce silence présidentiel sur des sujets essentiels (l’essentiel n’est pas les "Roms" mais comment le gouvernement les "traite" en sachant tenir deux impératifs antagonistes ; au fait, qui a parlé du "problème Roms" faisant sémantiquement penser à un autre "problème" en 1940 ?) est la véritable marque de François Hollande, noyé dans le consensuel et l’indécision, ayant trop peur de trancher entre les différents courants du gouvernement qu’il confond encore trop avec le comité directeur du PS.

Nul doute que les ministres les plus audacieux n’hésiteront pas à continuer à profiter de ce manque d’autorité et à participer encore un peu plus au cafouillage médiatique d’un pouvoir incapable de fixer une vision d’avenir pour le peuple.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 octobre 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Meilleure apprentie de France, est-ce un gage d’insertion ?
Une réflexion remarquable sur les "Roms" (1er octobre 2013).
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Manuel Valls.
Discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy (30 juillet 2010).
Hollande et Sarkozy, même facilité sur l’immigration.
Morale molle et ambitions dures.
Révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
La Ve République a 55 ans.
Pourquoi les ambitieux gagnent.
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