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Ce que cachent les affrontements au sujet des finances publiques américaines

Publié le 08 octobre 2013 par Copeau @Contrepoints
Actualités | Amérique du Nord

Ce que cachent les affrontements au sujet des finances publiques américaines

Publié le 8/10/2013

Déjà partiellement paralysés faute d’entente sur les crédits budgétaires, les États-Unis doivent ces jours-ci augmenter une 13e fois depuis 2002 le plafond légal de la dette. Ces deux problèmes chroniques s’expliquent par l’explosion des dépenses obligatoires liées aux programmes sociaux qui ne peut être compensée à long terme par l’augmentation des taxes et impôts.
Par Germain Belzile et Jean-François Minardi [*]
Un article de l'Institut économique de Montréal.

Ce que cachent les affrontements au sujet des finances publiques américaines

Depuis l'adoption d'une loi en ce sens en 1917, la dette du gouvernement fédéral américain est assujettie à un « plafond », c'est-à-dire à une restriction sur la quantité d'obligations que le département du Trésor peut émettre. Un gouvernement qui veut emprunter au-delà de ce seuil en raison d'un déficit doit obtenir du Congrès une loi qui augmente ce plafond (voir la figure 1) [1]. Le plafond actuel (16,7 billions $US) devrait être atteint dans le courant du mois d'octobre 2013 en raison d'un déficit d'au moins 750 milliards $US pour l'année fiscale qui s'est terminée le 30 septembre [2].

Ce que cachent les affrontements au sujet des finances publiques américaines

À défaut d'une entente à ce sujet au Congrès, le gouvernement américain pourrait être dans l'impossibilité de faire face à ses obligations financières. Ce mélodrame, qui est une reprise de ceux qui se sont déroulés de nombreuses fois au cours des dernières années, est causé par des déficits budgétaires élevés et récurrents. Ceux-ci ont fait passer la dette de 49,3 à 72,6% du PIB au cours des vingt dernières années [3].

Des augmentations de dépenses non viables

De 1993 à 2012, les dépenses totales du gouvernement fédéral ont augmenté de 63%, soit plus rapidement que les recettes (43%) et que le PIB réel des États-Unis (58%). Résultat : 16 déficits en 20 ans. Il n'y a donc pas que la conjoncture économique difficile qui plombe les finances publiques américaines. Les recettes et les dépenses s'élèvent actuellement à 15,8% et à 22,8% du PIB respectivement. Même en les ramenant à leur moyenne des deux dernières décennies, soit 17,7% et 20,6%, les déficits persisteraient.

Qui plus est, même si on réussissait à équilibrer les revenus et les dépenses, cela ne suffirait qu'à régler le problème le plus immédiat : les déficits budgétaires. Cela ne permettrait pas de réduire la dette soumise au plafond. On ne mettrait pas non plus fin au déséquilibre fondamental des finances publiques américaines qui est dû à des obligations financières toujours croissantes découlant des programmes sociaux.

Les dépenses du gouvernement fédéral peuvent être séparées en deux grandes catégories : les dépenses obligatoires et les dépenses discrétionnaires. Les dépenses obligatoires sont des dépenses qui sont déterminées par des lois sociales, telles que Medicare et Medicaid (l'assurance-maladie pour les aînés et pour les plus démunis), les Health Exchanges (Obamacare) et la sécurité sociale (la pension fédérale), plus les paiements d'intérêt sur la dette. Les dépenses discrétionnaires ne présentent pas des paramètres aussi rigides. Elles sont déterminées annuellement dans le budget et couvrent les dépenses militaires, l'administration, les infra-structures, etc.

Depuis 20 ans, les dépenses discrétionnaires augmentent moins vite que le PIB (+45 %), alors que les dépenses obligatoires augmentent à un rythme beaucoup plus élevé (+108 %). Cette tendance remonte en fait à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui explique que les dépenses obligatoires représentent aujourd'hui près de la moitié du budget [4]. Encore une fois, il s'agit donc non pas d'un problème conjoncturel, mais bien d'un problème structurel.

Selon les prévisions d'organismes non partisans, cette augmentation non viable des dépenses obligatoires va se poursuivre, en partie parce que les programmes sociaux américains ne sont pas financés par les utilisateurs mais plutôt au fur et à mesure des besoins. Autrement dit, on ne met pas d'argent de côté pour assumer les coûts futurs. Les obligations financières accumulées en raison de ces programmes sociaux s'élèvent déjà à plusieurs dizaines de billions de dollars [5].

Si l'on fait l'hypothèse qu'aucun nouveau programme social ne sera créé d'ici là, les dépenses sociales obligatoires passeront de 9,3% du PIB aujourd'hui à 14,1% en 2035. Et, compte tenu de l'arrivée des baby-boomers à la retraite et de l'augmentation de la longévité, la hausse ne s'arrêtera pas là. Ces « entitlements » dépasseront éventuellement à eux seuls la moyenne historique des revenus fédéraux, soit 18,1% du PIB, ne laissant plus d'espace pour les dépenses discrétionnaires et forçant le gouvernement à vivre avec des déficits de plus en plus élevés ou à augmenter continuellement les impôts (voir la figure 2) [6]. C'est là que se trouve le véritable déséquilibre des finances publiques américaines.

Ce que cachent les affrontements au sujet des finances publiques américaines

Pour régler ce problème, une taxe de vente fédérale est envisagée par certains. Au Canada, une telle taxe de vente existe : il s'agit de la Taxe sur les produits et services (TPS). Nous avons calculé que la mise en place aux États-Unis d'une TPS de 5% ne ferait que repousser d'une dizaine d'années le problème. Ensuite, le taux de la taxe devrait s'élever continuellement afin de compenser la hausse des dépenses obligatoires et atteindrait 15% en 2035, soit trois fois le taux de la TPS [7]. De plus, une telle hausse du fardeau fiscal aurait des effets négatifs importants sur la croissance économique. Une telle solution ne permet pas de régler le déséquilibre fondamental des finances publiques américaines.

Conclusion

Une seule solution est durable à long terme : il faut empêcher la hausse non viable des dépenses publiques, en entreprenant une profonde réforme des programmes sociaux américains. Autrement dit, c'est du côté des dépenses fédérales que l'on trouvera la solution.

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Sur le web.

[*] Germain Belzile et Jean-François Minardi sont respectivement senio fellow et analyste en politiques publiques à l'Institut économique de Montréal.

Lire aussi :

Notes :

  1. H. J. Cooke et M. Katzen, « The Public Debt Limit », The Journal of Finance, vol. 9, no 3, septembre 1954, p. 298. D. Andrew Austin et Mindy R. Levit, The Debt Limit : History and Recent Increases, Congressional Research Service, septembre 2013, p. 2.
  2. Un billion de dollars représente mille milliards de dollars. Congressional Budget Office, Monthly Budget Review for August 2013, septembre 2013.
  3. Il s'agit de la dette détenue par le public.
  4. Pierre Lemieux, The Public Debt Problem : A Comprehensive Guide, Palgrave Macmillan, 2013, p. 55-56.
  5. Les estimations des obligations financières accumulées (« unfunded liabilities » en anglais) vont de 55 billions de dollars selon le département du Trésor à 222 billions de dollars selon les calculs de l'économiste Laurence Kotlikoff basés sur les projections à long terme du Congressional Budget Office.
  6. Congressional Budget Office, The 2013 Long-Term Budget Outlook, septembre 2013.
  7. Ce calcul repose sur l'hypothèse d'une taxe similaire à la TPS. La relation entre le taux de la taxe et ses recettes fiscales serait le même que la taxe canadienne. L'impact dynamique d'une taxe de vente sur l'économie n'est pas pris en compte, ce qui sous-estime son taux.
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