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Leçons de Lampedusa

Publié le 08 octobre 2013 par Copeau @Contrepoints
Europe | Nation et immigration

Leçons de Lampedusa

Publié le 8/10/2013

Face à la catastrophe, la réponse se limite à une assourdissante cacophonie.

Par Stéphane Montabert.
Leçons de Lampedusa

L'espoir fait vivre, dit-on, mais parfois, comme à Lampedusa, il tue. Des centaines d'immigrants clandestins embarqués pour l'Europe l'ont appris à leurs dépens en coulant à quelques centaines de mètres de la côte de l'île. Combien sont morts, nul ne le sait. La mer continue à relâcher des cadavres et de nombreuses victimes pourraient encore se trouver dans l'épave à quarante mètres de fond. Les dernières estimations font état de 450 à 500 personnes embarquées dans le navire, dont au moins 130 auraient trouvé la mort. 200 seraient encore portées disparues.

Face à la catastrophe, la réponse se limite à une assourdissante cacophonie. Le pire y côtoie le meilleur. Prenez le pape François, par exemple. Sans hésiter à égrener les pires poncifs, le bon pape s'empressa de fustiger "l'indifférence à l'égard de ceux qui fuient l'esclavage, la faim pour trouver la liberté, et trouvent la mort" et décréta dans la foulée une journée des pleurs. Si l'église brandit sa supériorité morale comme un étendard, au chapitre des solutions concrètes le silence est assourdissant.

Le Vatican n'est pas le seul acteur à manquer de sens commun. Si les pêcheurs de Lampedusa ont su faire preuve de sang-froid, ils sauvent l'honneur d'une Italie en perdition. Car la polémique enfle : les garde-côtes italiens n'aurait pas fait preuve de toute la diligence requise, pour le moins...

Un pêcheur a déclaré qu'il avait fallu environ 45 minutes aux garde-côtes pour arriver sur place, alors que le naufrage avait eu lieu à environ cinq cents mètres de la côte de Lampedusa. (...) Par ailleurs, ce pêcheur a indiqué que lorsque son bateau est rentré au port de Lampedusa avec 47 survivants, il a été empêché de repartir en mer parce que les garde-côtes lui auraient indiqué qu'ils devaient obtenir une autorisation officielle pour le faire.

"J'aurais pu sauver plus de naufragés si les secours étaient arrivés à temps et s'ils nous avaient permis de ressortir plutôt que d'attendre la permission de Rome", a-t-il déclaré samedi. (...)

De plus, le maire de Lampedusa, Giusi Nicolini, a estimé qu'une loi italienne très controversée pourrait avoir dissuadé certains citoyens de se porter au secours des naufragés. Cette loi réprime les personnes considérées comme ayant facilité une immigration illégale. "Le gouvernement doit changer ces normes inhumaines", a déclaré Mme Nicolini.

Eh oui : les pêcheurs ont simplement appliqué les traditionnelles lois de la mer, c'est-à-dire l'obligation de porter secours à des personnes et des navires en difficultés. L'administration italienne considère, elle, qu'ils encouragent l'immigration illégale. Ils sont donc passibles de prison et de la saisie de leur navire ! Face à la polémique, les gardes-côtes restent stoïques : ils affirment être arrivés sur les lieux "seulement" 20 minutes après un premier appel de détresse et n'ont bien sûr jamais cherché à empêcher le courageux sauveteur à reprendre la mer – juste à coordonner les secours "pour éviter le chaos", bien entendu. Des sauveteurs portant librement assistance à des naufragés, et puis quoi encore ?!

Si l'île compte 6 000 Italiens, elle supporte aussi 2 000 requérants d'asile dans un camp destiné à en accueillir 800. Depuis le funeste naufrage, les survivants reprennent leurs esprits en attendant d'être transféré ailleurs. Où ? C'est toute la question.

Les politiques gardent l’ambigüité : à l'humanisme d'une situation critique s'oppose une immigration illégale dont personne ne veut. Qu'on estime que les survivants du naufrage aient gagné leur entrée parce qu'ils ont assez souffert et tous les prochains boat-people à destination de l'Europe couleront à leur tour à cinq cent mètres des côtes, surnage qui peut. Et personne pour poursuivre les politiciens au nom de l'encouragement à l'immigration illégale...

L'Europe définit simplement quel est le prix du ticket et les modalités de paiement. Il est facile – populiste même, pour employer un terme à la mode – de plaider la clémence et l'ouverture, mais cela ne fera que provoquer un appel d'air. Comme le répondit le président Deng Xiaoping à des journalistes américains s'inquiétant de l'impossibilité pour les Chinois de quitter leur pays :

Mais qu'à cela ne tienne, combien de millions en voulez-vous ?

Les donneurs de leçon se tinrent coi. Les journalistes de l'époque avaient plus de jugeote que les humanistes de la nôtre.

Combien de millions en voulons-nous ?

Et lesquels voulons-nous ?

Entrer en Europe aujourd'hui n'implique pas d'être en règle avec les autorités, instruit ni porteur de talents. Pas besoin non plus de respecter la société occidentale, puisque le voyage implique de violer dès son arrivée les lois du pays d'accueil. Il faut simplement s'arranger avec des passeurs.

D'innombrables familles se privent ou empruntent à des individus peu recommandables un budget pour un aller simple vers l'Europe. S'ils survivent, les candidats au voyage auront une dette auprès des mafias. Comme ils auront rarement des compétences à faire valoir, ils se cantonneront à des travaux au noir, de petits trafics ou la criminalité pure et simple – une vie entièrement aux dépens de la société.

Pour entrer en Europe aujourd'hui il faut être sans scrupule et bon nageur. Pas besoin d'être devin pour se douter que cette "immigration choisie" n'est pas la meilleure.

On se prend à rêver à ce que pourrait être une immigration au mérite où les familles candidates soucieuses de s'intégrer investiraient dans les compétences de leurs enfants, où elles auraient le droit de venir en Europe par la grande porte après avoir passé un concours, plutôt qu'à payer des réseaux de passeurs comme maintenant. On pourrait imaginer une immigration au parrainage où les hôtes se porteraient garant de leurs invités étrangers, y compris sur le plan financier. On pourrait imaginer des solutions créatives et constructives.

Mais il est apparemment plus facile de criminaliser les pêcheurs portant secours et de décréter une journée des pleurs que d'avoir un discours cohérent sur l'immigration, pour le plus grand malheur des prochains noyés.

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