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L'Etoile

Publié le 08 octobre 2013 par Porky

1.jpgCet opéra-bouffe, créé le 28 novembre 1877 aux Bouffes-Parisiens, n’eut pas le succès escompté, pour plusieurs raisons : d’abord, le compositeur, Emmanuel Chabrier, était quasiment inconnu du grand public. Agé de trente-six ans lorsque L’Etoile fut présentée, ses œuvres n’avaient été jouées que dans de rares occasions, et encore dans des cercles privés, ou dans des salons comme celui de Mme Edouard Manet. On ne savait pas grand-chose de lui sinon qu’il était un fervent wagnérien, ce qui pouvait aussi bien être considéré, à l’époque, comme une tare rédhibitoire que comme la plus grande des qualités. Comme le dit Roger Delage dans le livret de présentation de l’œuvre, « il n’en fallait pas plus pour être suspecté d’écrire une musique compliquée et ennuyeuse ».

Ensuite, cette suspicion de « musique compliquée » se trouva confortée par la réaction des musiciens de l’orchestre des Bouffes quand il leur fallut pour la première fois déchiffrer la partition. Horreur et abomination ! Eux qui, d’habitude, avaient affaire à une musique relativement simplette qui ne demandait que deux ou trois répétitions, voilà qu’ils étaient confrontés à des nuances, des mouvements différents ! Et, comble d’audace, le second couplet des airs n’était pas accompagné de la même façon que le premier ! « Le malheureux Chabrier n’en revenait pas : « J’ai pourtant fait aussi simple que possible » gémissait-il, tout abasourdi. » (1) Il fallut l’intervention du directeur des Bouffes-Parisiens, M. Comte, gendre d’Offenbach, pour remettre les musiciens dans le droit chemin et assurer au compositeur que L’Etoile aurait autant de répétitions qu’il était nécessaire.

Enfin, le fait que Chabrier ait été un wagnérien de la première heure n’a pas joué en sa faveur auprès de nombreux critiques. Voici ce que dit, au lendemain de la première de l’Etoile, le critique Pierre Véron du journal Le Charivari, toujours cité par Roger Delage : « On raconte que M. Chabrier a été un fougueux wagnérien. Cela se voit par-ci, par-là. M. Chabrier ne parait pas avoir suffisamment compris la justesse de ce vers de Boileau : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Sa musique parfois se contourne et sonne quatorze heures pour midi. Parfois aussi, l’orchestration se démène pour paraître excentrique et, en cherchant l’originalité, ne trouve que la discordance. […] Ca s’attrape, la wagnérite, et c’est terrible à guérir. » Pourtant, d’autres critiques furent chaleureusement positives, comme celle de Fernand Bourgeat qui assurait que cette « étoile » « éclairerait longtemps l’affiche des Bouffes. » (2)

Malgré cette levée de boucliers, le public aurait pu faire un triomphe à cet opéra-bouffe. Nombreux sont les exemples qui montrent que malgré une mauvaise critique, un ouvrage peut être plébiscité par les spectateurs –ce qui tend à prouver, d’ailleurs, que l’opinion des critiques est d’une importance toute relative… Mais pour cette fois, hélas, la « vox populi » se joignit à la « vox critiqui » -qu’on me pardonne ce mauvais latinisme.

On ne peut pourtant pas mettre en cause la production qui a décidé du sort de l’Etoile : la distribution était excellente de même que l’interprétation de tous les rôles ; la réalisation scénique avait réclamé tous les soins de Comte : décors charmants, costumes amusants signés Grévin, intelligente mise en scène qui soulignait sans lourdeur le brio de l’œuvre. Mais le couperet tomba quand même : après la quarante-septième représentation, l’Etoile fut retirée de l’affiche.

Chabrier ne va pas ménager ses efforts pour que l’Etoile soit de nouveau montée. En vain. Il faudra attendre 1898, soit quatre ans après la mort du compositeur, pour que le Théâtre de Lyon en propose une nouvelle production. Puis ce sera de nouveau l’éclipse, malgré quelques reprises éphémères, jusqu’en 1941 où l’Opéra-Comique se décidera enfin à faire entrer l’œuvre à son répertoire (centième anniversaire de la naissance de son auteur oblige). Dans les années 80, l’Etoile brillera de tous ses feux à l’Opéra de Lyon, avec une éblouissante distribution, une mise en scène signée Louis Erlo et Alain Maratrat, spectacle que j’ai eu la chance de voir à l’époque et dont je suis sorti enthousiasmé, tant par la musique que par l’interprétation, un régal de drôlerie et d’intelligence.

Parlons un peu du livret et des circonstances dans lesquelles cet ouvrage a vu le jour. En 1875, les futurs librettistes de l’Etoile, Albert van Loo et Eugène Leterrier font la connaissance de Chabrier chez le peintre Gaston Hirsch, rencontre qui débouche sur la décision d’écrire un livret pour ce jeune compositeur. Précisons qu’au cours de cette « réunion », Chabrier avait fait entendre aux deux hommes deux morceaux de sa composition qui les avaient particulièrement frappés : l’un était une romance intitulée « O petite étoile » et le second un chœur sur le supplice du pal, dont le texte, très amusant, avait cependant de quoi choquer la compagnie. Il faut dire que l’auteur des paroles s’appelait Paul Verlaine, lequel n’hésitait pas à appeler les choses par leur nom. Qu’on en juge :

« Le Pal / De tous les supplices / Le principal / Et le plus fécond en délices »…

Profession de foi que les librettistes, prudents, remplacèrent par « Et le moins rempli de délices » ; l’éclairage du passage en était totalement modifié, de même que son audace, mais au moins pouvait-il échapper à la vindicte publique. Van Loo et Leterrier achevaient justement un livret qui se déroulait dans un Orient fabuleux et avait pour titre l’Etoile. Les deux morceaux pouvaient donc y trouver leur place. La collaboration avec le compositeur ne posa guère de problème, si l’on excepte le fait que les librettistes durent imposer un frein à l’ardeur perfectionniste de Chabrier, toujours enclin à reprendre, changer et compliquer les numéros qu’il venait d’achever. Si le Directeur des Bouffes-Parisiens fut pour le moins effaré par cette musique si nouvelle, il fut cependant rapidement séduit et se décida à produire cette œuvre qui allait en dérouter plus d’un…

Comme je ne suis pas un spécialiste en technique musicale, je préfère laisser la parole à Roger Delage au sujet de la musique elle-même : « Un frisson nouveau la parcourt, alliage unique d’humour énorme et d’enveloppante tendresse –où se répondent et s’entrechoquent des accents d’une drôlerie colossale comme ceux du duo de la Chartreuse Verte et d’autres, tremblants d’un émoi qui pressent l’amour, telle la Romance de l’Etoile.

Une harmonie qui savoure ses accords et s’attarde délicieusement aux subtiles et hardies dissonances résultant de la mouvance de ses desseins mélodiques, de l’intrusion -naturelle à ce fils d’Auvergne nourris de chants ancestraux et doublé d’un malicieux et retors harmoniste- d’une teinte modale qui colore avec éclat ou douceur une pâte musicale d’une saveur toute nouvelle.

Il faut y ajouter une enivrante profusion de mélodies, fragiles comme des papillons ou drues comme des bourrées, l’imprévu des rythmes, leur variété, et une accentuation aussi opulente que diversifiée qui évoque Rameau. »

Bref, si vous n’avez pas compris que l’Etoile est une œuvre unique, mêlant magnifiquement drôlerie et gravité, et qu’il faut absolument l’écouter, vous êtes perdu(e) pour la patrie…

(1) Roger Delage citant le librettiste Albert van Loo, livret de présentation de l’enregistrement intégral de l’opéra.

(2) Cité par Roger Delage.

ARGUMENT : Dans un royaume d’Orient imaginaire, sous le règne du roi Ouf 1er.

Acte I – Une place publique. Un bruit court dans la ville : le roi Ouf 1er se promène sous un déguisement. Tout le monde se passe le mot : prenez garde. Apparaît une silhouette enveloppée d’unmanteau qui pose des questions tendancieuses sur le roi et le gouvernement. Le roi doit obtenir une réponse subversive d’un de ses sujets si les autres ne veulent pas être privés de leur distraction favorite le jour de son anniversaire : une exécution publique. Personne ne se risquant à la moindre remarque, le roi s’en plaint à son astrologue Siroco qui arrive et lui confie qu’il a ajouté une clause à son testament : Siroco devra mourir un quart d’heure après son maître. Puis le roi charge l’astrologue de consulter les étoiles au sujet de son prochain mariage avec la princesse Laoula, fille de son voisin le roi Mataquin. C’est le meilleur moyen d’établir la paix entre les deux pays et d’assurer un héritier au trône.

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Tout le monde s’étant retiré, la place est déserte. Entrent quatre nouveaux personnages : Hérisson de Porc Epic, l’ambassadeur du roi Mataquin ; Tapioca, son secrétaire ; la princesse Laoula et Aloes, la femme de Hérisson. Ils veulent rester incognito et garder l’apparence de simples boutiquiers. Pour des raisons prétendument diplomatiques, Hérisson fait passer Laoula pour sa femme. Ils se dirigent vers un hôtel. Parait alors Lazuli, un colporteur ambulant, qui chante le pouvoir qu’exercent les cosmétiques sur les femmes. Il s’avoue qu’il est amoureux d’une des voyageuses et donne une pièce d’or à Siroco pour que ce dernier découvre son avenir dans les étoiles. Tandis que l’on établit son horoscope, Lazuli se prépare à dormir et chante la fameuse « romance à l’étoile ».

Aloes et Laoula sortent de l’auberge : elles aperçoivent Lazuli endormi et décident de le réveiller en le chatouillant. Le jeune homme fait semblant de dormir jusqu’au moment où il peut les attraper ; elles avouent être célibataires et employées dans une boutique. Lazuli déclare son amour à Laoula et lui vole un baiser. Mais l’arrivée de Tapioca et de Hérisson met un terme à cette scène.

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Lazuli est consterné d’apprendre que Laoula est la femme de Hérisson et quand arrive le roi Ouf, Lazuli, énervé, dit du mal du gouvernement et gifle le roi. Ouf n’en peut plus de joie : enfin, il vient de trouver la victime qui va offrir au peuple un spectacle de choix. Il appelle la garde, on arrête Lazuli, Ouf envoie chercher les instruments de torture et décrit à Lazuli ce qui l’attend (couplets du pal) ; au moment où le jeune colporteur va être cérémonieusement empalé, arrive Siroco : les étoiles ont révélé que le destin du roi et celui de Lazuli sont intimement liés et que la mort de l’un entrainera la mort de l’autre. Ouf abandonne aussitôt l’idée du pal, et on conduit Lazuli en grande cérémonie au palais royal.

 

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ACTE II – La salle du Trône dans le Palais Royal. Les fenêtres du fond donnent sur un lac. Lazuli est richement vêtu et servi par des demoiselles d’honneur. Le roi et Siroco viennent s’enquérir de sa santé qui leur tient tant à cœur… Mais Lazuli refuse d’être gardé prisonnier loin de sa bien-aimée et s’échappe par la fenêtre à l’aide d’une nappe. Ouf et Siroco promettent la liberté au jeune homme et le convainquent de remonter. Il leur confie être amoureux d’une femme mariée mais cela ne lui pose aucun problème, il a l’habitude de provoquer les maris en duel. Arrive Hérisson en qui Lazuli reconnaît le mari de sa bien-aimée ; Ouf ne prête aucune attention aux paroles de l’ambassadeur : ce qui l’intéresse surtout, c’est de savoir s’il est habile ou non à l’épée. Hérisson, énervé, est prêt à sortir l’ultimatum qu’il porte toujours sur lui en cas d’urgence, mais la crise est évitée et il sort chercher la princesse Laoula.

Ouf tient à ce que Lazuli puisse séduire la femme de l’ambassadeur. On arrête donc Hérisson dès son retour et il est emmené par Siroco. Double duo d’amour entre Lazuli et Laoula d’un côté, Aloès et Tapioca de l’autre car ce dernier est bien décidé à séduire la véritable femme de Hérisson. Ouf est persuadé qu’Aloès est la femme qu’il doit épouser. Personne ne le détrompe et Tapioca accompagne la jeune femme dans sa chambre. Ouf offre à Lazuli la liberté et la fortune ; mais Hérisson s’est échappé et se précipite dans la salle. Ouf le calme. Tout est prêt pour que la princesse puisse être reçue dignement. Hérisson revient, accompagné d’Aloès et Tapioca. Sa colère est grande car non seulement, Laoula a disparu, mais il a trouvé sa femme et Tapioca dans une situation fort embarrassante. Le quiproquo s’éclaircit, même pour Ouf ; mais sa consternation devient terreur quand Hérisson annonce qu’il a envoyé des soldats à la poursuite de Laoula et Lazuli. Un coup de feu retentit. Entre Laoula, qui raconte sa triste histoire et décrit comment Lazuli a disparu dans le lac. Tous se joignent au final de l’acte.

ACTE III – Une autre salle dans le Palais. Siroco et Ouf ont beau retarder l’horloge, la mort les guette, d’autant plus que le chef de la garde leur annonce qu’on n’a retrouvé que le chapeau et le manteau de Lazuli. Ils sortent afin de se réconforter avec un verre de cordial.

Lazuli sort de sa cachette. Bon nageur, il a plongé du bateau et échappé à ses poursuivants. Mais il a ramassé dans l’aventure un terrible rhume et ne cesse de renifler. Il se cache au moment où reviennent Ouf et Siroco. Le moral du roi est très atteint, malgré les verres de Chartreuse jaune qu’il a ingurgités ; il insulte Hérisson qui sort son ultimatum mais le roi retourne la situation en disant que Lazuli est mort par la faute de l’ambassadeur, lequel, par conséquence, doit mourir bientôt.

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Siroco suggère timidement qu’un autre verre de Chartreuse, cette fois verte, pourrait le soulager : c’est alors le duo « de la Chartreuse verte ». Puis ils sortent. Lazuli réapparait, et écoute Aloès consoler Laoula que sa mort a apparemment beaucoup peinée. Il se montre à elles et explique à Laoula qu’il va pouvoir l’épouser justement parce qu’il est mort. Elle prétendra retourner chez son père mais l l’attendra aux portes de la ville.

Ouf revient, l’esprit tellement embrumé qu’il ne peut constater qu’une chose : la chartreuse verte est meilleure que la jaune, parce que plus forte. Il regarde Laoula et décide de l’épouser au plus vite, lui promettant les joies du veuvage. Mais l’horloge de l’observatoire sonne, rappelant à Ouf qu’il a trafiqué celle du palais. Il est trop tard et il renonce au mariage. L’horloge continue de sonner et il est toujours en vie. Il promet à Siroco une bonne punition, pardonne à Lazuli que le chef de la garde vient d’arrêter et bénit Laoula et Lazuli. Tout est bien qui finit bien.

Photos :

1 – L’affiche de la création.

2 – Colette Alliot-Lugaz (Lazuli)

3 – Georges Gautier et Colette Alliot-Lugaz (Ouf déguisé et Lazuli)

4 – Colette Alliot-Lugaz (Lazuli au palais)

5 – Georges Gautier et Gabriel Bacquier : duo de la Chartreuse Verte.

VIDEOS :

1 – La Romance à l’étoile : Colette Alliot-Lugaz : merveilleuse.

2 – Le duo de la Chartreuse Verte : Georges Gautier et Gabriel Bacquier : un régal.


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