Le SGLUP : vous ne connaissez pas, mais pourtant, il existe. Et si vous ne le connaissez pas, il vit de vos impôts. Le SGLUP, il s’agit du Secrétariat Général pour … Ah non zut, il s’agit du SGMAP, mais c’est presque pareil : c’est le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique. Au SGLUP SGMAP, on sait vivre et on sait que l’administration, le baratin bureaucratique et les démarches diverses et variées dans la fonction publique, c’est trop le bazar. Alors, le SGLUP pardon le SGMAP a décidé d’agir et … de Faire Simple.
Et pour faire simple, rien de tel que de créer un portail interweb avec … non, plutôt sans lolcat parce que sinon ce serait fouilli. Le portail interweb, on l’appellera Faire Simple, avec une adresse genre style http://www.faire-simple.gouv.fr/ … Bien sûr, ce portail viendra en supplément du portail dédié à la modernisation de la vie publique, qui s’appelle http://www.modernisation.gouv.fr/ et qui parle du nouveau portail, aussi. Et ceci sera fait en parallèle du portail sur la vie publique, qui entend mettre la vie publique au cœur du débat (lequel, on ne sait pas, mais on sera pile-poil au milieu), et dont le nom est http://www.vie-publique.fr/. Bien évidemment, vous ne confondrez pas avec le site officiel du service public qui n’a rien à voir (ou si peu) et dont le but est de vous permettre de mieux connaître les 87554 démarches administratives possibles, les 6503 aides auxquelles vous avez peut-être droit, heureux coquin (mais qui sont détaillées, bien sûr, sur http://www.aides-etat.com/) ou les rouages intimes des procédures bureaucratiques qui seront appliquées aux dossiers utiles et pertinents que vous soumettrez à l’administration française, le tout, bien sûr, pour gagner du temps.
Et faire simple, hein, n’oubliez pas.
Or donc, Faire Simple vient d’ouvrir ses portes.
Rassurez-vous : on n’est pas ici dans le même floutage de bouche que lorsqu’une fine équipe de communicants avaient mis en place — pour une somme modique — un site indigent et instable, promu par un clip vidéo grotesque mais symptomatique du pays qu’il était censé promouvoir. Depuis, heureusement, le site, au départ très dépouillé, est devenu une galerie de branquignolages un peu ridicules consultés par quelques apparatchiks qui s’enquiquinent au bureau, ou l’éventuel touriste innocent, pas encore au fait de la réalité du terrain français, et que le site se fera fort de conserver dans son innocence virginale.
Non, décidément, avec « Faire Simple », on a quelque chose de pragmatique, qui permet à n’importe quel moutontribuable citoyen de venir bêler proposer une idée lumineuse destinée à simplifier le gouvernement et l’administration qui nous servent. Enfin, dans l’idée, c’est ça. Dans la pratique, ça ressemble à un joli site web 2.0, assez bien fait avec de jolies couleurs dans l’air du temps et quelques pétillants slogans orientés entreprises, particuliers et jeunes, de grandes photos parce que les longs textes, c’est barbant (et le citoyen moyen a vite la migraine de nos jours). En vraie grandeur, ça donne à peu près ceci :
Comme on peut le voir, on peut facilement se déplacer dans les catégories ; étrangement, le formulaire qui permet de naviguer dans les propositions n’est pas un échec cuisant et aboutit à peu près à un résultat intelligible, ce qui est une performance quand on connaît la propension des sites gouvernementaux français à vomir n’importe quoi, n’importe comment.
L’épluchage des propositions déjà présentes produit immanquablement deux petites remarques : d’une part, avec à peine plus d’une centaines de propositions au moment où ce billet est écrit, on se doute que le site n’a pas subi un ras-de-marée de citoyens enthousiastes à l’idée de proposer des trucs et des machins. C’est surprenant. Pour une fois qu’on leur donne la parole. Ahem.
D’autre part, la présence d’une proposition pour le moins iconoclaste (qui demande à ce que la fin du monopole de la Sécurité Sociale soit mieux mise en avant), ou même celle qui envisage la suppression pure et simple du RSI écartent tout doute d’un total bourrage des propositions par l’équipe du site elle-même : c’est sûr, un ou deux citoyens réels et motivés sont bel et bien tombés sur le site (sérendipité, quand tu nous tiens). Mais bon : l’orthographe globalement bonne, la syntaxe correcte et la technicité toute bureaucratique de certaines propositions laisse supposer que plusieurs d’entre elles ont été produites en interne…
Bah, c’est de bonne guerre pour remplir un peu un site dont on se doute qu’il risque de frôler la totale déshérence dans six mois vu l’absence compacte et hermétique de publicité dans les médias traditionnels. Il y a bien eu un petit articulet dans La Croix (merci gentil GoogleNews, je ne l’aurais pas retrouvé sans toi), mais à part ça, que dalle. Manifestement, les services publics ont d’autres chats communicationnels à fouetter médiatiquement.
À moins bien sûr que l’ouverture de la Fabrique De Solutions (prévue en janvier 2014 si le gouvernement tient jusque là) relance le biniou avec plus de force et d’allant ? Allez savoir : on n’est jamais à l’abri d’une réussite inattendue et – soyons honnête – assez improbable lorsqu’on voit qu’une fois les propositions d’idées fulgurantes amassées, collectées, filtrées, triées, nettoyées, on demandera aux usagers (usagés ?) :
- de participer, chouette, aux groupes de réflexion en ligne avec des experts et des agents du service public (désignés on ne sait pas comment),
- d’échanger et construire, super, des
usinagazsolutions grâce aux bricolages participatifs habituels (formulaires, forums, …), trop de la balle, - de partager les recommandations et les conclusions, youpi, je kiffe le partage !
Et ensuite ? Et ensuite, rien du tout : rien n’est signé, mes enfants. Et c’est là qu’est tout le problème.
Ce site, à l’instar du site « modernisation.gouv.fr » qui est son papa en quelque sorte, n’est qu’une vitrine de ce que font quelques-uns des commis de l’État à la solde du premier ministre et dont l’impulsion (si tant est que, parlant d’Ayrault, on puisse parler d’impulsion et non de sommeil) ne durera au mieux que le règne du président fromager, au pire, jusqu’en mars où la déculottée cuisante des municipales pourrait satelliser le pauvret.
En réalité, le site n’a pas vraiment pour but d’améliorer une situation devant laquelle les écuries d’Augias sont propres et bien tenues. Certes, il est louable que nos fonctionnaires et autres cabinétards aient eu la foudroyante idée de proposer un tel site, mais il ne faut pas se leurrer : il s’agit en premier lieu de justifier l’existence du SGLURP, appendice rigolo d’une fonction publique pléthorique et d’un État obèse, et ensuite de fournir une espèce de soupape de sécurité aux citoyens excédés en leur offrant un moyen de hurler leur ras-le-bol (que les médias persistent à déformer et que les politiciens s’obstinent à minimiser).
Le parcours des idées soumises, avec de la participation, de l’échange et de la recommandation par cargos entiers, ne laisse augurer aucune espèce d’issue concrète : ça va se terminer par un gros PDF fourré dans une arborescence touffue d’un autre site acidulé, avec une conférence de presse aussi discrète que possible, deux ministres, trois petits fours et puis s’en vont.
La simplification administrative, on a tous une idée assez précise de ce qu’elle devrait donner : la disparition pure et simple de 30 à 50% des services surabondants et globalement nuisibles qui gravitent autour d’absolument tout en France, depuis votre frigo (si si) jusqu’à votre inhumation.
Ça, ce serait faire simple et efficace. Mais n’y comptez pas.