«Bonjour paresse», pamphlet provocateur, a été le best-seller surprise il y a trois ans. Serions-nous les rois des tire-au-flanc ou, comme l’avancent plusieurs études, les entreprises françaises motivent-elles mal leurs troupes? Y-a-t-il eu des progrès dans ce domaine depuis ?
"Bonjour paresse", manifeste sous-titré «De l’art et de la nécessité d’en faire le moins possible en entreprise», est un appel à la désobéissance professionnelle. Corinne Maier propose d’adopter ses conseils pour se désinvestir: «Travaillez le moins possible; traitez avec gentillesse les CDD, intérimaires, ce sont les seuls qui travaillent vraiment; n’acceptez jamais et à aucun prix de poste à responsabilité, etc.»
En ces temps de désenchantement salarial et citoyen où les sites internet invitant à tirer au flanc se multiplient et où certains n’hésitent plus à revendiquer le droit au non-travail, Corinne Maier stigmatise quelques défauts propres aux entreprises françaises.
De fait, selon plusieurs études, nous sommes aujourd’hui quasiment recordmen mondiaux de la démotivation. Le cabinet américain ISR place ainsi la France au huitième rang seulement des dix pays les plus riches du monde en terme de satisfaction au travail, à l’issue d’une étude qui brasse quelque 80000 témoignages recueillis aux quatre coins de la planète . Selon Gallup, autre expert mondial du moral des salariés, nous sommes même avant-derniers de la classe. Seuls 6% des troupes seraient chez nous réellement motivés, contre 30% aux Etats-Unis, 24% au Canada ou encore 20% en Israël et 15% en Allemagne.
Et que reprochent donc les salariés français à leurs employeurs? «Une hiérarchie encore traditionaliste, qui ne sait pas déléguer, trop encline à la rétention d’information, et une absence trop fréquente de possibilité de développement personnel, de formation, d’évolution». Corinne Maier ne dit pas autre chose: «En France, depuis Louis XIV rien n’a changé: la façon d’exercer l’autorité est le plus centralisée possible; rares sont les décisions qui sont prises collectivement…» Elle s’en prend aussi aux promesses non tenues, aux carrières impossibles à ceux qui n’ont pas les «bons diplômes», à l’absence de méritocratie. Autant de maux dénoncés de longue date par moult experts et consultants.
Certains responsables le reconnaîssent volontiers : «Les entreprises tardent à mettre en place des mécanismes de reconnaissance, la gestion des carrières, elles ne savent pas communiquer.» Mais, assurent-ils, elles progressent. Et ils voient dans ces dysfonctionnements les conséquences d’une longue tradition étatique et élitiste. «Quant à la motivation, d’un sondage à l’autre on lit un peu tout et son contraire. Ce qui me frappe surtout, c’est que ces problèmes existent dans les pays où l’Etat-providence a longtemps prévalu.»
Le contexte national et les habitudes culturelles jouent indiscutablement leur rôle. «Lorsqu’on demande à quelqu’un d’évaluer sa situation, il le fait en fonction de ses propres valeurs», explique d’autres patrons. Ainsi si le Japon arrive en dernière position, c’est parce que «les salariés y sont très critiques à l’égard de la qualité des produits et des services de leurs entreprises ». A l’inverse, dans les pays du Sud, globalement bien placés: «Les gens restent marqués par une forte acceptation de la hiérarchie, ils sont portés par des objectifs communs.» A ses yeux, la France reste tiraillée entre un désir de fraternité, de solidarité et un individualisme de plus en plus prononcé. Une analyse que partage Corinne Maier: «Nous avons les inconvénients des deux systèmes à la fois, c’est pour ça que tout bloque.»
Un blocage que constate également ISR: notre score, pourtant déjà mauvais à l’époque, s’est dégradé depuis leur précédente enquête en 1998. Ceci malgré les 35 heures: «Les salariés sont moins satisfaits de leur charge de travail, sans progrès remarquable par ailleurs», constate John Stanek, professeur de sociologie à l’université de Chicago, créateur et dirigeant d’ISR. Il ajoute: «La récession et le chômage ont changé la donne. Aujourd’hui, les salariés veulent comprendre leur situation, la demande de transparence est de plus en plus forte.»
Or la réticence naturelle de tous les managers à partager l’information – «plus les salariés en savent, plus c’est dangereux» – recule chez nous moins rapidement qu’ailleurs.
Alors paresseux les Français, indécrottables idéologues refusant le monde moderne ou grands incompris mal gérés par des entreprises archaïques? Un peu les deux sans doute, mais on serait tenté de dire: on a les salariés que l’on mérite…
(1) «Bonjour paresse», Corinne Maier, Editions Michalon, 12 euros.