Décision QPC gaz de schiste : quels sont les enjeux de la décision du Conseil constitutionnel ?

Publié le 09 octobre 2013 par Arnaudgossement

Ce vendredi 11 octobre à 10h, le Conseil constitutionnel mettra en ligne sur son site internet sa décision, après avoir été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par la société Schuepbach. Quels sont les enjeux ?


Depuis plusieurs jours, la décision du Conseil constitutionnel est très attendue et très commentée. Dramatisée également. Dans un sens comme dans l’autre. Alors que certains craignent que les forages d’hydrocarbures non conventionnels puissent immédiatement commencer, d’autres craignent à l’inverse que la France ne se prive définitivement d’une énergie disponible qui pourrait selon eux contribuer à la reprise économique. Quelle est la véritable portée de la décision du Conseil constitutionnel ? Il est utile de faire le point en droit.
Le recours
La société Schuepach Energy LLC  a formé, devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, un recours tendant à l’annulation de deux arrêtés du 12 octobre 2011 par lesquels deux ministres ont ont abrogé les permis exclusifs de recherche de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux dit « permis de Nant » et « permis de Villeneuve-de-Berg ». Il s’agissait de la Ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement (Nathalie Kosciusko-Morizet) et du ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
A l’appui de ce recours en annulation, la société Schuepach Energy LLC a déposé une question prioritaire de constitutionnalité devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Ce dernier reste toujours saisi de ce recours. Il a simplement sursis à statuer et, par une ordonnance du 19 mars 2013,  accepté de transmettre cette QPC au Conseil d’Etat, lequel, à son tour, par décision du 12 juillet 2013, a transmis cette QPC au Conseil constitutionnel.
La question posée par cette société est celle de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 1er et 3 de la loi  n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherche comportant des projets ayant recours à cette technique
Que prévoit la loi du 13 juillet 2011 ?
On se rappelle que cette loi n°2011-835 avait été votée pour répondre à la controversée née de la « découverte » de permis exclusifs de recherches de gites d’hydrocarbures non conventionnels. Issue d’une proposition de loi déposée par Christian Jacob, alors président du groupe parlementaire majoritaire à l’Assemblée nationale, cette loi avait été défendue par Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’écologie.
J’ai écrit plusieurs analyses de cette loi du 13 juillet 2011 dont celle-ci. Le texte de cette loi peut être consulté ici.
En premier lieu, l’article 1er de cette loi comporte une interdiction de la fracturation hydraulique :

« En application de la Charte de l'environnement de 2004 et du principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national. »

Il convient ici de préciser que seule une technique bien particulière est interdite : la fracturation hydraulique. L’exploration ou l’exploitation de gisements d’hydrocarbures non conventionnels au moyen d’autres techniques – à supposer qu’elles existent – n’est pas interdite. Précisons également que si cet article devait être effacé de la loi, la fracturation hydraulique ne serait pas ipso facto autorisée : c’est l’administration en charge de l’instruction des demandes d’autorisation de forages qui devra alors apprécier, dossier par dossier, si le recours à cette technique comporte un risque pour la santé et l’environnement.
En deuxième lieu, l’article 2 de cette loi créé une procédure d’expérimentation contrôlée par une comission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation :

« Il est créé une Commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux. Elle a notamment pour objet d'évaluer les risques environnementaux liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives. Elle émet un avis public sur les conditions de mise en œuvre des expérimentations, réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, prévues à l'article 4. Cette commission réunit un député et un sénateur, désignés par les présidents de leurs assemblées respectives, des représentants de l'Etat, des collectivités territoriales, des associations, des salariés et des employeurs des entreprises concernées. Sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement sont précisées par décret en Conseil d'Etat. »

Cette commission n’a cependant jamais été réunie.
En troisième lieu, l’article 3 de la loi organise une procédure d’abrogation des permis exclusifs de recherche délivrés avant le vote de cette loi.

« I. ― Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l'autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L'autorité administrative rend ce rapport public.
II. ― Si les titulaires des permis n'ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés.
III. ― Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, l'autorité administrative publie au Journal officiel la liste des permis exclusifs de recherches abrogés.
IV. ― Le fait de procéder à un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l'avoir déclaré à l'autorité administrative dans le rapport prévu au I est puni d'un an d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. »

Il convient de rappeler qu’un permis exclusifs de recherches est un titre minier qui ne donne pas à lui seul le droit de faire des travaux présentant des risques pour l’environnement. Le PER donne une exclusivité de recherches de gîtes et une priorité en cas de découverte, pour déposer une demande d’autorisation de forage. Le législateur a toutefois souhaité abrogé les PER hydrocarbures délivrés avant son intervention, dès lors qu’ils sont relatifs à des projets susceptibles de donner lieu à l’utilisation de la fracturation hydraulique. Cette procédure d’abrogation est, certes, assez complexe. Il appartiendra au Conseil constitutionnel de la déclarer ou non conforme à la Constitution.
Que va décider le Conseil constitutionnel ?
Pour l’heure, il est difficile d’évaluer pour quel motif cette interdiction de la fracturation hydraulique serait contraire au principe constitutionnel de prévention ni même à un quelconque principe d’égalité de traitement. Il est bien sûr impossible de savoir ce que décidera le Conseil constitutionnel et je me garderai de relayer ici toutes les rumeurs qui circulent ces derniers jours.
Il est toutefois intéressant d’étudier les conclusions de Madame Suzanne Von Coester, Rapporteur public devant le Conseil d’Etat, prononcées lors de l’audience du 26 juin 2013, préalable à la décision de transmission de la APC du 12 juillet 2013.
Madame le Rapporteur public a en effet conclu à la transmission de la QPC au motif, non pas que la QPC présenterait un caractère sérieux mais au motif qu’elle présente un caractère nouveau :

« Le caractère sérieux de la question de la conformité des articles 1er et 3 aux droits et libertés garantis par la Constitution ne nous semble en effet pas incontestable, que ce soit au regard des principes de la Charte de l’environnement, qu’il faudrait d’abord considérer comme opposables (ce qui n’est certainement pas le cas de celui inscrit à l’article 6) ; ou aussi au regard des autres droits invoqués : le principe d’égalité et les droits proclamés par les articles 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »

Très précisément, Madame le Rapporteur public a proposé une transmission de la QPC au Conseil constitutionnel au seul motif que la question de la conformité d’une loi à l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif au principe de précaution n’avait jamais été examinée par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une procédure QPC :

« Le Conseil constitutionnel a reconnu le caractère de « droit ou liberté » au principe de prévention consacré à l’article 3 de la Charte (décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011), mais pas à l’obligation de promouvoir un développement durable, inscrite à l’article 6 (décision n°2012-283 QPC du 23 novembre 2012). Or l’article 5 aussi consacre un principe d’action, qui s’adresse aux autorités publiques. S’agit-il d’un droit ou d’une liberté invocables à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité ? Peut-être en lien avec d’autres droits, en ce qu’il conduirait à en restreindre l’exercice ? Le Conseil constitutionnel n’a jamais été saisi de cette question. »

Selon cette analyse, la question de la conformité des articles 1er et 3 de la loi du 13 juillet 2011 à l’article 5 de la Charte de l’environnement, méritait d’être transmise au Conseil constitutionnel en raison de son caractère nouveau. Analyse sans aucun doute juste car il serait très regrettable que le principe de précaution soit analysé comme dépourvu de toute portée au point que l’examen de son éventuelle violation ne mérite pas d’être réalisé.
En réalité, c’est sans doute à tort qu’il a été reproché au Conseil d’Etat, suivant en cela les conclusions de Madame Von Coester, de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel. Si tel avait le cas, la décision de non transmission du Conseil d’Etat aurait pu être interprétée comme signifiant que la question du contrôle du respect du principe de précaution ne présentait pas un caractère nouveau voire même comme ne présentant pas d’intérêt. Or, il est certainement important que le Conseil constitutionnel, dans le cadre d’une procédure QPC, puisse se prononcer sur la méconnaissance du principe constitutionnel de précaution.
Madame Von Coester s’est bien entendu garder de dire si, au cas présent, la loi du 13 juillet 2011 violait effectivement le principe constitutionnel de précaution. Ses conclusions précisent cependant :

« On peut se demander s’il ne s’agit pas dans ce cas, lorsque les autorités publiques ont pris des mesures trop restrictives, d’une « fausse application », plutôt que d’une « méconnaissance » du principe de précaution. C’est d’ailleurs ainsi que la requérante désigne la question dans ses écritures, dénonçant l’absence d’évaluation des risques ainsi que le défaut de caractère provisoire et proportionné des mesures édictées. »

La loi du 13 juillet 2011 révèle-t-elle une « fausse application » du principe de précaution ? Une éventuelle « fausse application » peut-elle constituer une cause d’inconstitutionnalité de la loi ? A mon sens non. Outre  le fait que le législateur se soit finalement fondé sur le principe de prévention, le principe de précaution ne me semble pas pouvoir s’appliquer à une situation marquée par l’absence d’incertitude scientifique radicale. La lecture des travaux parlementaires permet de se convaincre que le législateur s’est fondé sur des études et précédents démontrant, selon lui, l’existence de risques, non pas éventuels mais avérés.
Un autre principe constitutionnel pourrait-il motiver une déclaration d’inconstitutionnalité des articles 1er et 3 de la loi du 13 juillet 2011 ? Rappelons que Madame Le Rapporteur public devant le Conseil d’Etat avait conclu de la manière suivante, s’agissant de la méconnaissance éventuelle du principe d’égalité :

« Le principe d’égalité ne nous semble en effet pas méconnu alors même que la technique de la fracturation hydraulique n’est interdite que pour la recherche et l’exploitation de mines. Si elle reste en effet autorisée pour la géothermie, il ressort des pièces du dossier qu’elle est utilisée selon des modalités assez différentes, avec des effets beaucoup mieux maîtrisés en termes d’inconvénients pour l’environnement (notamment du fait de la configuration des forages et de la technique de fracturation).»

En réalité, le contrôle de constitutionnalité, même opéré sur le fondement du même référentiel, diffèrera selon qu’il portera sur l’article 1er ou 3. A titre personnel, s’il faut se lancer, je n’identifie pas quel droit ou liberté consacré par la Constitution interdirait au Parlement, soit d’interdire la fracturation hydraulique, soit d’organiser une procédure d’abrogation – qui ne vaut que pour l’avenir – de permis exclusifs de recherches.
Que se passerait-t-il en cas de déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er relatif à l’interdiction du recours à la fracturation hydraulique ?
Précisons que le Conseil constitutionnel ne rédige ni n’efface la loi. Il se prononce uniquement sur la conformité à la Constitution de telle ou telle mesure contenue dans la loi. En cas de déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er de la loi du 13 juillet 2011, il appartiendra au Gouvernement de réagir et le Conseil constitutionnel peut au demeurant lui donner un délai pour le faire. A supposer que le Conseil constitutionnel estime que le Parlement ne pouvait, sans violer la Constitution et la Charte de l’environnement, interdire ainsi la fracturation hydraulique, il conviendra de s’arrêter sur les motifs de cette déclaration d’inconstitutionnalité. En fonction de ces motifs, le Gouvernement pourra ou non présenter une nouvelle loi comportant une nouvelle mesure d’interdiction mais peut être présentée autrement.  En cas de déclaration d’inconstitutionnalité, il n’y aurait pas de vide juridique.
L’inscription de la fracturation hydraulique dans la loi avait deux intérêts. D’une part, elle permettait de motiver l’abrogation de permis exclusifs de recherches. D’autre part, elle privait l’administration en charge de l’instruction de titres minier ou de déclarations/autorisations de travaux miniers de toute marge de manœuvre. Dans l’absolu, il reviendrait de nouveau à l’administration de se prononcer sur le caractère dangereux de cette technique. Possibilité assez théorique en létat des déclarations du Président de la République lui-même.

Que se passera-t-il en cas de déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 3 relatif à l’abrogation des permis exclusifs de recherches ?
Il convient de rappeler que la société auteur de la QPC conteste avant toute chose, devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, la décision ministérielle d’abrogation de ses deux permis exclusifs de recherche. Si le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnel les articles 1er et 3 de la loi du 13 juillet 2011, elle pourra s’en prévaloir devant le Tribunal administratif. Mais la procédure suivra et nul ne peut préjuger à ce stade qu’une « victoire » devant le Conseil constitutionnel entrainerait automatiquement une « victoire » devant le Tribunal administratif. Au demeurant, une éventuelle déclaration d’inconstitutionnalité n’aura pas pour effet de « ressusciter »  tous les permis abrogés. De deux choses l’une. Soit la décision d’abrogation a été attaquée en justice et l’auteur du recours aura un argument de plus devant le juge saisi. Soit la décision d’abrogation n’a pas été attaquée et l’abrogation est définitive. Un troisième cas doit être envisagé.
Celui des sociétés qui ont conservé leur permis exclusifs malgré le vote de la loi du 13 juillet 2011. Reste que le seul bénéfice d’un permis ne permet pas de forer. Et le Conseil d’Eta a récemment rappelé qu’une simple déclaration n’est pas suffisante pour procéder à un forage.
Une chose est certaine, quel que soit son sens, la décision du Conseil constitutionnel ne permettra pas de trancher un débat qui est d’abord un débat démocratique.
Lorsque le débat public n’a pas lieu en amont, le débat judiciaire a lieu en aval. Cette règle se vérifie ici aussi, une fois de plus. En réalité, la multiplication des contentieux ne mettra pas un terme à la controverse des gaz de schiste. Deux débats doivent ailleurs lieu. Le premier au sein des institutions de l’Union européenne. Il serait utile de disposer d’une législation commune aux 27 Etats membres de l’Union européenne.

Le deuxième doit avoir lieu en France sur le projet de code minier. Espérons que le parlement sera appelé à débattre, ce qu’il ne pourra pas faire si la réforme est opérée par voie d’ordonnances.

Arnaud Gossement

Selarl Gossement Avocats