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Le rêve de Sylvain K.

Publié le 10 octobre 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

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Il y a peu, je vous contais le bonheur qui est le mien dans mon train-train quotidien, j’en fais même des assonances dis donc. Le cliquetis du rail, les conversations aussi insipides que délicieuses, le clac-clac de la perforeuse du contrôleur qui déchire le beau ticket jaune qui est mon deuxième bruit préféré après celui du bouchon de liège qu’on extrait de la bouteille, autant de pièces éparses du puzzle de la quiétude qui se reconstitue tout seul chaque matin. Arrêtez-moi je vais devenir lyrique.

Hélas, mille fois hélas, il n’est pas de joie parfaite, et le bonheur n’est toujours que fugitive illusion, bordel de merde. Non seulement les trains finissent toujours par arriver quelque part (ou presque), mais en plus il y a une ombre au tableau. Il y a toujours une ombre au tableau. Et c’est ainsi qu’à l’innocence des premiers instants du bonheur qu’on croit éternel parce qu’on est con quand on est heureux, succède la déception, la cruelle déception, qui laisse un goût aussi dégueulasse qu’une plâtrée de choux de Bruxelles.

Qu’est-ce qui peut bien me rendre aussi amer, me direz-vous si vous êtes doté d’un tant soit peu d’empathie? Je vous mets sur la voie, même si je doute que vous puissiez faire un bruit aussi délicat que celui du train. Avant de me diriger vers les quais, je me grille une clope à l’entrée de la gare et je regarde passer mes concitoyen(ne)s qui vont s’engouffrer dans le hall et lever conjointement les yeux vers le panneau d’affichage pour savoir où est leur train et si celui-ci va arriver à l’heure. Un train, c’est comme un rendez-vous galant, il faut qu’il soit à l’heure sinon c’est l’usager qu’on prend en otage. Et tous les matins, l’objet de mon courroux me passe sous le nez. Enfin au-dessus, parce qu’il fait une bonne tête de plus que moi.

Tous les jours, du lundi au vendredi, il piétine mon euphorie déjà plus précaire qu’un salarié de la sidérurgie et plus fragile qu’une promesse électorale. Tous les matins, il assombrit mon ciel sans nuage et il fiente du pétrole sur ma plage de sérénité. Alors, quoi qu’une pudeur déplacée m’avait empêché d’en parler dans ma précédente chronique, j’ai estimé qu’il était temps de crever l’abcès publiquement.

L’homme porte encore beau pour son âge. Toujours la même élégance, le port altier, et à l’inverse de Cyrille Pouget qui a pris un kilo par but qu’il avait marqué en son temps, lui ne porte pratiquement aucune séquelle du temps qui passe, si ce n’est un léger blanchissement de la tignasse. Il a encore et perpétuellement son allure de Paolo Maldini du Val de Fensch. Chose curieuse, il marche plus vite qu’il ne courait à l’époque, car le bougre se déplaçait à la même allure qu’un mot de trois syllabes dans le cerveau de Nadine Morano. Et contrairement à la groupie de Sarko, lui était toujours bien placé.

Comprenez que quand on est messin, on ne peut-être déçu que par deux choses: la pluie pendant notre été de trois jours, et le FC Metz. Il est donc parfaitement logique que Sylvain Kastendeuch, l’un des capitaines les plus emblématiques du club à la croix de Lorraine et au Graoully vinsse chier dans mes plates-bandes de volupté ferroviaire. Et le pire, c’est qu’il est difficile de lui en vouloir, puisque le gars est d’une correction et d’une sympathie exemplaires.

Il faut aussi comprendre que le foot occupant dans mon esprit une place quelque part entre la culture de l’orchidée dans la banlieue de Kiev et l’évolution de la musique dodécaphonique chez les adeptes du tuning, je suis extrêmement préoccupé. Pour tout dire, j’ai peur de ne plus jamais aimer les trains si je ne peux me défaire de cette lubie, ce qui m’est aussi odieux que de ne plus jamais pouvoir boire de vin.

Alors voilà: Sylvain Kastendeuch, devant les millions de lecteurs du Graoully Déchaîné, ou même devant la centaine de crétins qui se défoule dans les commentaires de Lor’Actu, je vous provoque en duel. Là, comme ça, à l’ancienne. Puisque vous et moi sommes des hommes de bonne compagnie, il est juste de fixer les règles, alors je jette des bases et j’attends vos suggestions. Choisissez le matin qu’il vous plaira du lundi au vendredi, les autres jours je ne peux pas j’ai la gueule de bois.

Sur le parvis de la gare, nous nous servirons des chariots de 20 minutes et de Métro pour délimiter un terrain, ce qui aura en outre l’avantage de procurer une utilité à ces torchons pour la première fois depuis leur création. Pas de buts, pas d’arbitre, nous ne sommes pas de vulgaires Ludovic Guerriero, nos masses capillaires respectives et notre capacité à reconnaître une phrase écrite en français en attestent.

La règle est très simple. Depuis des mois que vous me gâchez l’ataraxie du Métrolor, elle sera également impitoyable. En un mot comme en cent, je n’aurais pas de repos tant que je ne vous aurai pas passé un petit pont. Quand enfin je vous aurai fait subir l’humiliation suprême pour un défenseur (encore que votre dernier match, à mon grand regret, n’était pas mal dans le genre), je pourrais à nouveau m’en aller guilleret, me poser dans mon wagon et réfléchir au monde qui m’entoure et à des chroniques saignantes. Alors seulement, au lieu de m’exposer à tous les temps infects que le climat lorrain peut inventer, je pourrais passer cinq minutes de plus dans la librairie.

Alors, tandis que le ballon roulera entre vos jambes de héron rachitique, je poursuivrai ma course vers le quai numéro deux, sous les vivats de la foule, et je m’en foutrai de l’escalier mécanique qui ne fonctionne jamais; j’irai insouciant des grèves, je mépriserai les conséquences des retards imputables à un dépressif qui veut finir en tartare, à la grève, à l’acheminement du personnel, ou à je ne sais quel cataclysme.

Mais en attendant, vous saurez qui vous jette ce regard de biais de bon matin. Et vous ne partirez plus jamais tranquille.


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