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Un Français au Concours ARD 2013 de Munich: entretien avec Tristan Cornut, le violoncelliste du Trio Stephan Zweig

Publié le 14 octobre 2013 par Luc-Henri Roger @munichandco
Un  Français au Concours ARD 2013 de Munich: entretien avec Tristan Cornut, le violoncelliste du Trio Stephan ZweigLe Trio Stephan Zweig est arrivé en demi-finale du prestigieux Concours international de musique ARD 2013. Tristan Cornut, le violoncelliste du trio, a accepté de répondre à quelques questions. C'est la deuxième fois que Tristan Cornut participe au Concours ARD: il y avait déjà concouru dans la catégorie violoncelle en 2010 et y avait décroché le troisième prix ainsi que deux prix spéciaux.
Comment votre trio s'est-il constitué? 

T.C.: Notre trio s’est constitué il y a exactement un an. Mes deux collègues, Kei Shirai et Sibilia Konstantinova, se sont connus à l’Université de Vienne où ils ont tous deux étudiés et ont eu l’occasion de jouer ponctuellement ensemble. J’ai fait la rencontre de notre violoniste, Kei Shirai, il y a de cela un an et demi. Nous avons tous deux été lauréats du concours de l’ARD de Munich dans nos disciplines individuelles respectives et c’est suite à une série de concerts organisés par le concours réunissant différents lauréats que nous avons décidé de fonder ce groupe.

Le trio Stephan Zweig


Votre trio est international, basé à Vienne, quelle est votre langue de communication?

T.C.:Nous communiquons en allemand. Mes deux collègues ayant étudié à Vienne et moi-même en Allemagne, cela s’est imposé de manière naturelle. Le fait que l’allemand ne soit la langue maternelle d’aucun d’entre nous présente parfois certaines difficultés, mais cela a d’une certaine façon l’avantage de nous mettre sur un pied d’égalité. De plus, c’est la langue de nombreux grands compositeurs et la majeure partie du répertoire pour trio avec piano est issue de la culture germanique.
Vous vivez à Paris, le trio se réunit à Vienne, cela représente-t-il une difficulté?
T.C.: Cela présente bien entendu des difficultés pratiques car nous ne pouvons pas nous voir aussi régulièrement que nous le souhaiterions. Mais cela a tout de même un avantage: lorsque nous nous voyons, nous répétons de manière intensive pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et le fait de nous savoir limités dans le temps favorise la qualité et l’efficacité du travail.
Vous avez baptisé votre trio du nom de Stefan Zweig, un Viennois réputé qui fit partie de la fine fleur de l'intelligentsia juive de la capitale autrichienne? Que représente ce nom? Pourquoi avez-vous placé votre trio sous le patronage de Stefan Zweig? Est-ce en raison de la passion quasi viscérale de Zweig pour la musique?
T.C.: Vous avez assez bien résumé les deux points fondamentaux qui nous ont conduits à choisir ce nom: d’une part Zweig était viennois et un illustre représentant de la tradition intellectuelle et artistique liée à cette ville où nous sommes nous-mêmes basés. Par ailleurs, et c’est l’aspect le plus important, sa passion pour la musique l’a conduit à fréquenter de nombreux musiciens illustres de son temps, parmi lesquels Schönberg, Busoni ou Toscanini. Il a par ailleurs écrit un livret pour l’opéra de Richard Strauss, La Femme silencieuse. Lorsque nous abordons une pièce, nous essayons de la comprendre comme on comprend une langue, et nous la considérons toujours comme le reflet d’une culture englobant non seulement une tradition musicale, mais également les arts en général et la littérature, les modes de vie, etc. qui lui sont propres. C’est pourquoi il nous a semblé naturel de nous tourné vers un écrivain au moment de choisir notre nom.
Pourquoi vous être présentés au Concours international de l'ARD? Dans votre discipline, quelle est l'importance de ce concours au niveau international? A quels autres concours peut-il être comparé?
T.C.: Le concours de l’ARD est sans conteste le plus important dans notre discipline, le trio avec piano. Cela tient d’une part à la longue tradition de ce concours et d’autre part au fait que chaque instrument ou formation y est représenté à tour de rôle au fil des ans. Cela en fait une référence auprès de tous les musiciens et lui donne une résonance particulière. Il n’y a à ma connaissance aucun autre concours qui puisse lui être comparé, même si il en existe bien sûr d’autres de qualité
Votre trio a-t-il déjà participé à d'autres compétitions?  D'autres compétitions sont-elles par ailleurs prévues?

T.C.: Ce concours était notre première expérience de ce type. Notre groupe s’est constitué il y a peu de temps, c’est pourquoi nous n’avons jusqu’à présent pas eu l’occasion de le faire plus tôt. Nous réfléchissons à une participation à d’autres concours car cela peut beaucoup apporter, mais les grands concours de trio avec piano sont rares.
Quelle stimulation apporte la participation à un tel concours? Relever ce type de défi nourrit-il votre travail de musiciens?
T.C.: Un concours de cette importance apporte indéniablement une grande motivation car il exige de préparer un programme exigeant et très varié (10 œuvres représentant quatre heures de musique dans le cas de l’ARD). De plus, les retombées en termes d’engagements d’un prix dans un tel concours sont importantes et permettent de se faire connaître et de nouer de nombreux contacts. Enfin, la perspective de jouer pour un jury exigeant et de grande qualité tel que celui présent à Munich constitue une grande source de motivation. En revanche, une telle situation présente certains écueils et il me semble primordial de chercher à proposer une interprétation originale et personnelle de chaque œuvre plutôt que de vouloir plaire à tout le monde.
Vous êtes parvenus aujourd'hui en demi-finale. Vous avez conquis le public dans l'interprétation des trois oeuvres présentées et avez recueilli un énorme succès, les applaudissements ont été extrêmement nourris, on a entendu des trépignements enthousiastes et les bravi ont fusé de toutes parts. Quelles sont selon vous les clés d'un tel succès? Quels sont les éléments qui font la réussite d'une interprétation d'une oeuvre pour trio avec piano? Quelle est l'originalité, la spécificité de votre trio?
T.C.: C’est quelque chose qu’il est difficile d’évaluer. En premier lieu car le jugement de la qualité d’une interprétation est en lui-même difficile à porter et sujet à beaucoup de subjectivité, en particulier en musique de chambre où beaucoup d’aspects entrent en jeu. Il peut même arriver dans notre groupe (et c’est le cas pour beaucoup d’autres) que l’un des membres soit satisfait d’une prestation tandis que les autres peuvent avoir un ressenti opposé. En ce qui nous concerne, nous essayons de proposer une interprétation aussi sincère et honnête que possible qui s’inscrive dans le respect du style et de la langue propre à chaque œuvre. Même si notre travail consiste souvent à régler certains détails très précisément, notre objectif reste in fine d’offrir une lecture spontanée et vivante des œuvres que nous jouons et de laisser la place à une certaine forme d’improvisation. La musique de chambre devient passionnante lorsqu’un dialogue se crée entre les interprètes et lorsque chacun se sent libre de surprendre ses partenaires sans entraver la cohérence de l’ensemble.
Quelles sont les difficultés inhérentes aux deux oeuvres du répertoire interprétées aujourd'hui? Sur le plan musical, à quoi êtes-vous particulièrement attentifs dans leur interprétation?
T.C.: Le trio op.70 n°2 de Beethoven est une pièce qui nous tient particulièrement à cœur. Elle est relativement peu jouée, notamment si on la compare à son pendant, le trio op.70 n°1 dit “Les Esprits”, bien plus célèbre. C’est une pièce éclairée d’une lumière que l’on retrouve assez peu dans l’œuvre de Beethoven.Elle est en effet pleine de tendresse et le plus souvent d’une grande intériorité. La principale difficulté est de retranscrire ce caractère sans perdre de vue la qualité beethovénienne de l’interprétation qui doit rester animée d’une force intérieur très particulière.
Le trio de Ravel est une œuvre fondamentale et occupe une place unique dans le répertoire du trio avec piano. Outre sa grande difficulté technique (notamment dans la partie de piano), il faut ici savoir créer une atmosphère empreinte de magie et de rêve tout en gardant une certaine brillance. Faire preuve d’une grande souplesse dans la gestion du temps et des couleurs sonores tout en conservant un discours clair et cohérent me semble être ici le principal écueil.
Quant à l'oeuvre imposée de Fazil Say, avez-vous rencontré des difficultés lors du déchiffrage de la partition? Dans quelle optique avez-vous préparé votre interprétation? (Quels sont les choix interprétatifs de votre trio?) Avez-vous eu le sentiment de participer à la création mondiale de l'oeuvre?
T.C.: “Space Jump” n’a pas présenté de difficulté particulière de lecture car c’est une pièce très “classique” dans son langage et sa formalisation graphique. Il me semble important lorsque l’on joue une œuvre nouvellement écrite de l’aborder de la même façon qu’une pièce appartenant déjà au répertoire, à savoir en cherchant à comprendre le langage propre au compositeur et à décrypter ses intentions. Pour autant, le fait de ne pas arriver après une longue tradition d’interprétation est plutôt un avantage, on ressent moins la peur de ne pas jouer “comme il faut” et on a le sentiment de jouir d’une liberté qu’il est parfois difficile de retrouver dans d’autres répertoires. Le fait d’être parmi les premiers à jouer une pièce est un sentiment particulier, on sent à la fois une grande responsabilité et beaucoup d’excitation à l’idée de donner vie à un objet musical totalement nouveau.
Si vous vous mettez un instant à la place du jury, quels sont selon vous les critères d'appréciation des membres d'un jury pour le trio avec piano?
T.C.: La difficulté de l’appréciation d’un concours de musique de chambre réside dans la multiplicité des critères pouvant entrer en jeu. Les qualités individuelles de chaque membre du groupe sont évidemment à prendre en compte et revêtent une grande importance. Mais il me semble que l’élément décisif est la manière dont les qualités propres à chacun se mêlent et permettent de créer une interprétation cohérente tout en respectant les différentes individualités. C’est ce difficile équilibre qu’il est fondamental de trouver. Un autre aspect important dans ce genre de concours est la façon dont on approche chaque pièce. En effet, il est extrêmement important de montrer que l’on aborde chaque œuvre de manière différente en tenant compte de ses spécificités et de créer des atmosphères et des mondes sonores bien identifiés.
Pendant votre prestation, on a pu remarquer combien vous étiez souvent en contact visuel les uns avec les autres? Quelle est l'importance de ce contact, son utilité?
T.C.: Il est extrêmement important d’être en permanence en contact avec ses partenaires. Pour autant, ce contact ne doit pas nécessairement être visuel. Comme je l’ai dit, nous essayons d’être aussi spontanés que possible sur scène et de nous surprendre lorsque nous en ressentons le besoin. Cette (relative) liberté nécessite que chacun soit constamment attentif aux intentions et aux propositions de ses partenaires.
Pourriez-vous évoquer les choix du répertoire de votre trio?
Le répertoire du trio avec piano présente le grand avantage d’être large et surtout extrêmement varié. Depuis Haydn, presque tous les grands compositeurs s’y sont essayé et c’est cette variété qui nous attire. Aussi nous essayons de ne pas nous cantonner à une seule période ou un seul style. Concernant les œuvres que nous avons choisies pour ce concours, il faut en premier lieu savoir que le choix est “guidé”, à chaque tour correspondent plusieurs listes dans lesquelles nous devions choisir ce que nous souhaitions jouer. Nos choix ont plus été le reflet de nos envies du moment que d’une quelconque posture artistique, notre souhait étant à terme d’aborder tous les styles et tous les compositeurs afin de développer un répertoire aussi large que possible.
Pensez-vous que le fait d'être arrivé en demi-finale influencera la carrière et les possibilités d'engagement de votre trio?

T.C.: Notre groupe s’étant constitué récemment, nous n’avions eu jusqu’à présent que très peu d’occasions de nous faire connaitre. En cela je pense que notre parcours peut nous aider grandement, simplement de par le fait que beaucoup de gens connaissent à présent notre existence et ont pu suivre la demi-finale via internet. Il est évident qu’un prix nous aurait fait franchir une marche supplémentaire, mais l’impulsion est là, et c’est ce que nous cherchions.
Pourriez-vous évoquer votre parcours personnel? L'importance de la famille dans votre parcours (ou la non importance? A quel âge avez-vous abordé le violoncelle?
T.C.: Mes parents ont joué un rôle essentiel dans mon parcours puisque c’était au départ leur souhait que j’apprenne le violoncelle lorsque j’avais 5 ans. Par la suite, ils m’ont toujours manifesté un grand soutien sans pour autant me faire ressentir une pression négative, ce qui est un équilibre très délicat à trouver. La décision de faire de la musique mon métier s’est imposée petit à petit jusqu’à devenir une évidence vers l’âge de 12 ou 13 ans. J’ai ensuite suivi un parcours très classique, faisant mes études au Conservatoire de Paris puis partant étudier en Allemagne, à Stuttgart puis Freiburg.
Lorsqu'on fait partie d'un trio, peut-on parallèlement mener une carrière individuelle? si oui, de quelle nature? 
Non seulement c’est possible, mais cela me parait indispensable. D’une part pour des raisons pratiques, car il est très difficile d’en vivre à plein temps, et surtout parce que c’est pour moi un besoin fort que de pratiquer la musique sous des formes diverses. J’aime aborder des répertoires différents et dans des formations différentes. C’est ainsi que je suis membre de la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême dont je suis violoncelle solo, ce qui me donne l’occasion de jouer le répertoire symphonique et de côtoyer des musiciens de haut niveau et de différents horizons, que ce soient les autres membres de l’orchestre, les solistes invités ou les différents chefs. Lorsque j’en ai l’occasion, je joue en musique de chambre dans d’autres formation que le trio et cela me procure également beaucoup de plaisir. Je tiens aussi à conserver une activité de soliste, que ce soit avec orchestre ou en récital, qui me permet de communiquer à travers la musique d’une façon différente. Enfin, je me consacre ponctuellement à l’enseignement qui constitue également pour moi une forme d’enrichissement indispensable. Toutes ces activités se complètent et s’enrichissent mutuellement et c’est pour cette raison que j’essaye de développer chacune au mieux.
Merci, Tristan Cornut, pour ces réponses enrichissantes qui apportent un éclairage précis sur le fonctionnement et la participation à un grand concours de musique. Pour en savoir davantage, consultez le site de Tristan Cornut

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