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Milan, prendre le pli

Publié le 19 octobre 2013 par Redingote

Milan, prendre le pli

Cet article a été rédigé et illustré par nos amis de L’Impeccable, un team créatif formé par Foucauld & Quentin.
L’un écrit, l’autre dessine, les deux s’expriment ensemble sur des supports allant de la publicité au dessin de presse, des nouvelles aux bandes dessinées.
Qu’ils patinent leurs Church’s ou inspectent la cuisson d’un gigot de sept heures, Maître Renard et Compère Loup ont l’œil qui brille derrière la fumée de leurs havanes…


Dans la capitale de la mode italienne, l’automne est sur les larges avenues et donne des envies de velours. Malgré les Vans qui consolent mes pieds meurtris, je tente de prendre l’air vénérable et sonne chez Stivaleria Savoia, bottier et sellier sur mesure de la Via Vincenzo Monti. Une dame m’ouvre, me salue sans sourire, puis retourne s’affairer en retrait. Je contemple les cravates E.Marinella et les parapluies, les bottes de cavalerie et les richelieus de daim. La fille de la famille vient surveiller ce client suspect. Fauché, je sors en m’inclinant.

De ce premier séjour milanais, je prends quelques notes fugaces, au gré de l’inspiration. Rapidement, les faits sont là : bon nombre de mes impressions sont liées à la cause vestimentaire. Qu’iraient-elles faire dénudées sur La Conjuration quand ces messieurs de Redingote acceptent de les recevoir au chaud ?

S’épuiser à parcourir la ville, connaître le plaisir de l’apprivoiser, d’appréhender enfin les distances. Sentir, puis lever les yeux. Toscano ? Oui. Un monsieur pédale cigare au bec. Il y en aura d’autres, pistés à l’odorat.

Milan, prendre le pli

Au détour de diverses ruelles, je tombe sur Artisanal dont Scott Schuman louait les mérites. Je trouve porte close puis comprends. Ah ces boutiques où il faut sonner… Le carillon tinte et une dame se lève de son bureau pour me dévisager. Do you come from The Sartorialist ? J’acquiesce rougissant. Comment l’avez-vous deviné ? Our regular customers are old men… Elle me présente divers souliers. Des bottines Trickers, de splendides Edward Green, d’attirantes inconnues romaines, des Alfred Sargent à prix doux, mais également ses services de ressemelage et d’entretien. Je saisis sa carte filigranée et prends congé de cet heureux voisinage.

À la Pasticceria Cucchi, une serveuse me tend une brioche à la crème en forme de croissant et me dirige vers un vieux monsieur cravaté, vêtu d’une veste de tweed. Elle lui indique le montant à encaisser, avant de clore respectueusement sa phrase par « Signore… » Etait-ce le Signore Cucchi ? Propriétaire ou non, l’ancêtre avait de l’allure, de la tenue, et forçait le respect.

Milan, prendre le pli

En face, au Caffè Della Pusterla, un chocolat chaud épais comme une Danette m’aide à patienter jusqu’à l’aperitivo. Je fume et lis dehors. À travers la porte fenêtre, je regarde le personnel s’affairer. Bouteilles d’alcool, verres, tasses et théières sont rangées derrière les portes coulissantes et vitrées d’un grand buffet qui donne du cachet à cet établissement. Pourtant, il sert davantage de salle de perm’ que de spot à bobo. L’enseigne précise même « con sala di lettura ». Au pied de la porte, une gamelle de flotte pour d’éventuels toutous déshydratés. On m’apporte l’addition dans une petite boîte en métal et je file siffler des Spritz ailleurs.

Je ne parviens pas à mettre des mots sur les points communs qu’ont les italiennes que je trouve jolies : ce brun si particulier, ce grain de peau visible, ce nez, la forme de leurs yeux et la manière qu’elles ont de vous regarder. Qui a écrit sur elles ? Qu’a-t-on écrit sur elles ?

Je quitte des femmes inconnues, mais j’ai déjà du mal à les quitter. Je suis dans le taxi, une autre femme, sans visage, chante à la radio un air qui me cause un pincement au cœur. Ces « allora » qui retentissent, solitaires comme peuvent l’être les soupirs.

Nous sommes samedi après-midi et dans la Via Belfiore, des hommes d’âges divers s’entassent au numéro 9. Il s’agit de Cardinale, une boutique qui confectionne des souliers d’inspiration anglaise mais ici, en Italie. On y trouve pour moins de deux cents euros des brogues qui n’ont pas à rougir face aux Chetwynd de Church’s, également disponibles en cinq patines de cuir grainé, sans jamais verser dans l’excentricité.

Milan, prendre le pli

Dans les looks des élégants milanais, il y a quelque chose du BCBG des années 90, mais en plus ajusté. Comment font de si jeunes gens pour avoir des 501 parfaitement délavés ? Et pour porter ces blousons en daim sans avoir l’air déguisés ? Leurs chinos cintrés marquent le pli. L’ourlet extérieur et la jambe courte cassent sur des derbies à boucles ou mocassins à pampilles. Ils ont l’air intemporels et immuables, sont élégants mais jamais guindés. Quand lundi reviendra, ils porteront de fines doublures matelassées sous leurs vestes de costume et, comme beaucoup, opteront pour un parapluie plutôt qu’un pardessus. Pour l’heure, je patiente à leurs côtés : je suis tombé sur ce que je cherchais en vain chez les grands chausseurs : une paire de derbies à double boucles dénuée de bout marqué. Manque de veine, elle n’existe qu’en un unique exemplaire prototype. Allons, je n’ai qu’à me dire que tout ceci n’est que plaisir du repérage : je reviendrai à Milan me refaire une garde-robe.

Je bats en retraite sous un ciel si bas qu’il me force à pencher la tête. Ce n’est pas un jour à mettre du daim dehors ! Peut-être, pour les automobilistes, est-ce un prétexte pour sortir ses Car Shoes ? Piéton las de sinuer entre les flaques, je m’engouffre dans une galerie. Le nez sur la vitrine de Boggi, je lorgne les costumes en prêt à porter, puis entre à tout hasard. Qu’auriez-vous comme chemises cintrées, taille 37 ? Celle-ci ? Fait rare, elle tombe parfaitement. La maison milanaise a ouvert pignon sur boulevard (Saint-Germain). La nostalgie aura donc sa parade parisienne.

Dans quelques heures je reprendrai l’avion. Dans ma tasse vide, la mousse du capuccio a triste mine. Au poignet gauche, un oud d’Acqua di Parma pulvérisé à la Rinascente. Sur l’autre, le Grey Vetiver de Tom Ford découvert à l’Excelsior. Entre mes doigts cassants, un noir Toscano et un stylographe. Un jour, quand je serai grand, j’aurai l’œil aussi aiguisé que le pli d’un pantalon milanais, et ma prose n’aura plus besoin d’ourlet.

Liens :

http://www.stivaleriasavoia.it/eng.htm
http://www.marinellanapoli.it/fr/
http://www.thesartorialist.com/photos/great-new-shop-artisanal-milan/
http://www.carshoe.com/fr/en
http://www.boggi.it/default_eng.php
http://www.excelsiormilano.com/en

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