Jean Patou ? Cela ne vous dit rien ? Peut-être que son nom rappellera quelque chose à vos aïeux. Cette figure de la mode de l’entre-deux-guerres fait une réapparition dans Une Vie sur Mesure d’Emmanuelle Polle, un livre édité par les éditions Flammarion. L’occasion de découvrir l’oeuvre de ce couturier aussi habile avec du tissu qu’avec sa publicité.
Si son nom ne vous dit rien, ce créateur fut pourtant le grand rival de Gabriel Chanel durant les années folles. Tout comme elle, il libéra le corps de la femme avec des silhouettes sportives et sculpta la féminité des années 1930. C’est aussi lui qui, en parallèle de sa maison de haute couture, lança le premier une ligne dédiée au sport, annonçant ainsi le prêt à porter. Mais s’il est un domaine où Jean Patou s’est démarqué, c’est dans la promotion de ses produits qui n’est pas sans rappeler celle qui a cours actuellement dans l’univers du luxe.
La collab’ avant l’heure
Rien ne vaut une association avec un collègue pour faire le buzz et booster ses ventes. Ce n’est pas H&M qui vous dira le contraire. Aujourd’hui chaque marque se doit d’avoir sa collab’: Kitsuné et Petit Bateau, Mary Katrantzou et Repetto, Kenzo et Vans. Jean Patou a du flair car dès 1929 il dépose le modèle du lift. Il s’agit d’un bâton de rouge à lèvre dont l’écrin est façonné par la maison Cartier. Ce bel objet, disponible en or, platine et argent peut être frappé des initiales de sa propriétaire. Un luxe grandiose à la veille de la crise de l’entre-deux-guerres.
Apologie de la richesse en temps de disette
D’ailleurs, on ne vous apprendra rien, nous aussi nous traversons une crise. Et ce n’est pas pour autant que les grandes marques de luxe transforment leur réclame pour incarner l’humilité. Regardez donc cette pub pour le parfum J’adore l’Or de Dior où une jeune femme s’en va trempouiller avec enthousiasme dans un liquide qui semble être de l’or. Plus de 80 ans avant, Jean Patou fait du prix et de l’inaccessibilité un argument de vente afin de promouvoir son parfum Joy. Les petites mains de Grasse, qui ont constitué le jus, défendent le créateur de le commercialiser, car trop couteux. Le couturier fait de cet avertissement un slogan publicitaire. La phrase «Le parfum le plus cher du monde» accompagne alors la silhouette rectangulaire du flacon de Joy. Peut-être doit-on cette devise à Elsa Maxwell, amie et directrice de la publicité que le couturier était venu chercher aux USA.
À chaque pays son mannequin
C’est d’ailleurs dans ce pays qu’il vient trouver des clientes, ses inspirations, mais aussi ses mannequins. Alors que la femme américaine incarne la modernité, il recrute Lilian, Carolyn, Edwina, Rosalind, Josephine et Dorothy. Ces six jeunes femmes sont choisies pour leur silhouette, réputée plus élancée et pour leur absence de hanches. Mais tenant à toucher aussi bien les Américaines que les Britanniques et les Françaises, Jean Patou engage deux autres équipes d’amazones originaires des deux côtés de la Manche. L’objectif de la manœuvre étant de ressembler au plus près à ses clientes. Si les années 1930 ne sonnent pas encore, voire pas du tout la starification des mannequins, les journaux français rapportent avec plaisir l’arrivée de cet escadron d’Américaines, faisant parler toujours plus de la maison Patou.
Si la machine médiatique Patou est bien huilée, elle ne résiste pas au décès de son maître. Survenue le 8 mars 1936, le mystère plane sur la cause de sa mort. La version officielle parle d’une embolie, les rumeurs des ateliers d’une électrocution dans un bain. Pour la famille il s’agirait d’une fin heureuse dans les bras d’une femme. Une multiplicité de possibilités qui laisse planer le doute et donne à la maison Patou une ultime touche de mystère.