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ACTUALITES JURISPRUDENTIELLES EUROPEENNES: Suite

Publié le 22 octobre 2013 par Elisa Viganotti @Elisa_Viganotti

Presque au même moment où éclatait l'affaire "Léonarda" la CEDH a considéré que la France, en expulsant des gens de voyage d'origine Rom a violé la Convention Européenne des Droits de l'Homme. 

L’expulsion de gens du voyage des terrains sur lesquels ils étaient établis de longue date a violé leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile.

Dans son arrêt de chambre, non définitif, rendu le 17 octobre 2013 dans l’affaire Winterstein et autres c. France (requête no 27013/07), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :  
Violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme et réserve en entier la question de l’application de l’article 41 (satisfaction équitable).
 L’affaire concerne une procédure d’expulsion diligentée contre des familles du voyage qui habitaient un lieu-dit depuis de nombreuses années. Les juridictions internes ordonnèrent l’expulsion de ces familles sous astreinte. Ces décisions n’ont pas été exécutées, mais de nombreuses familles ont quitté les lieux. Seules quatre familles ont été relogées en logements sociaux, les terrains familiaux sur lesquels les autres familles devaient être relogées n’ayant pas été réalisés. La Cour relève que les juridictions n’ont pas pris en compte l’ancienneté de l’installation, la tolérance de la commune, le droit au logement, les articles 3 et 8 de la Convention et la jurisprudence de la Cour, alors qu’elles admettaient l’absence d’urgence, ou de trouble manifestement illicite en l’affaire. La Cour souligne à cet égard que de nombreux textes internationaux ou adoptés dans le cadre du Conseil de l’Europe insistent sur la nécessité, en cas d’expulsions forcées de Roms ou de gens du voyage, de leur fournir un relogement. Les autorités nationales doivent tenir compte de l’appartenance des requérants à une minorité vulnérable, ce qui implique d’accorder une attention spéciale à leurs besoins et à leur mode de vie propre lorsqu’il s’agit d’envisager des solutions à une occupation illégale des lieux ou de décider d’offres de relogement.   Décision de la Cour La Cour observe que les requérants étaient établis depuis de nombreuses années – entre 5 et 30 ans – sur le lieu-dit à Herblay ou y étaient nés. Ils entretenaient des liens suffisamment étroits et continus avec les caravanes, cabanes et bungalows installés sur ces terrains pour que ceux-ci soient considérés comme leurs domiciles, indépendamment de la légalité de cette occupation. La Cour considère que cette affaire met également en jeu le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale, dans la mesure où, d’une part, la vie en caravane fait partie intégrante de l’identité des gens du voyage et où, d’autre part, il s’agit de l’expulsion d’une communauté de près d’une centaine de personnes, avec des répercussions inévitables sur leur mode de vie et leurs liens sociaux et familiaux.La Cour estime que l’ingérence dans les droits des requérants était prévue par la loi et visait un but légitime, à savoir la défense de l’environnement.  Quant à la proportionnalité de l’ingérence, la Cour tient compte des éléments suivants : tout d’abord, la commune d’Herblay a toléré leur présence pendant une longue période avant de chercher à y mettre fin en 2004. Ensuite, le seul motif qui a été avancé par la commune pour demander l’expulsion des requérants tenait au fait que leur présence sur les lieux était contraire au plan d’occupation des sols. La Cour observe que, devant les juridictions internes, les requérants ont soulevé des moyens fondés sur l’ancienneté de leur 4 installation et de la tolérance de la commune, sur le droit au logement, sur les articles 3 et 8 de la Convention et sur la jurisprudence de la Cour. Cependant, la Cour relève que ces aspects n’ont pas été pris en compte dans la procédure au fond. La Cour rappelle que la perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile. Toute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir en faire examiner la proportionnalité par un tribunal. Dans la présente affaire, les juridictions internes ont ordonné l’expulsion des requérants sans avoir analysé la proportionnalité de cette mesure. Elles ont constaté la non-conformité de leur présence sur les terrains au plan d’occupation des sols et ont accordé à cet aspect une importance prépondérante, sans le mettre en balance avec les arguments invoqués par les requérants. La Cour tient cette approche pour problématique car elle ne respecte pas le principe de proportionnalité.  L’expulsion des requérants ne pouvait être considérée comme nécessaire dans une société démocratique que si elle répondait à un besoin social impérieux qu’il appartenait en premier lieu aux juridictions nationales d’apprécier. Cette question se posait d’autant plus que les autorités n’avaient avancé aucune explication ni aucun argument quant à la nécessité de l’expulsion : les terrains en cause étaient déjà classés en zone naturelle dans les précédents plans d’occupation des sols, il ne s’agissait pas de terrains communaux faisant l’objet de projets de développement, et il n’y avait pas de droits de tiers en jeu.La Cour considère que les requérants n’ont pas bénéficié d’un examen de la proportionnalité de l’ingérence dans le cadre de la procédure d’expulsion qui les a frappés. Le principe de proportionnalité exigeait aussi qu’une attention particulière soit portée aux conséquences de l’expulsion et au risque que les requérants ne deviennent sans abri.  La Cour souligne à cet égard que de nombreux textes internationaux ou adoptés dans le cadre du Conseil de l’Europe insistent sur la nécessité, en cas d’expulsions forcées de Roms ou de gens du voyage, de leur fournir un relogement.  Les autorités nationales doivent tenir compte de l’appartenance des requérants à une minorité vulnérable, ce qui implique d’accorder une attention spéciale à leurs besoins et à leur mode de vie propre lorsqu’il s’agit d’envisager des solutions à une occupation illégale des lieux ou de décider d’offres de relogement. La Cour constate que cela n’a été que partiellement le cas en l’espèce.  La Cour reconnait que les autorités ont porté une attention suffisante aux besoins des familles qui avaient opté pour un logement social et qui ont été relogées quatre ans après le jugement d’expulsion. La Cour arrive à la conclusion inverse en ce qui concerne les requérants qui avaient demandé un relogement sur les terrains familiaux, car, à l’exception de quatre familles relogées en habitat social et de deux familles parties s’installer dans d’autres régions, les requérants se trouvent tous dans une situation de grande précarité. La Cour estime donc que les autorités n’ont pas porté une attention suffisante aux besoins des familles qui avaient demandé un relogement sur des terrains familiaux.  
La Cour conclut qu’il y a eu, pour l’ensemble des requérants, violation de l’article 8 dans la mesure où ils n’ont pas bénéficié dans le cadre de la procédure d’expulsion d’un examen convenable de la proportionnalité de l’ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile conforme aux exigences de cet article. Il y a eu également violation de l’article 8 pour ceux des requérants qui avaient demandé un relogement sur des terrains familiaux, leurs besoins n’ayant pas été suffisamment pris en compte.

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