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Recadrer

Publié le 28 octobre 2013 par Rolandlabregere

On savait qu’aujourd’hui la vie publique s’imprègne des méthodes de la direction des entreprises. Le management diffuse ses techniques et ses outils dans toutes les strates occupées par les acteurs de la vie publique. Le mot d’ordre général est de « gérer ». L’affaire dite Leonarda Dibrani, du nom de la jeune kosovare expulsée début octobre, n’en finit pas de montrer les faiblesses de l’argumentation des plus hautes autorités de l’Etat qui mettent, elles-mêmes, en évidence de façon criante le bricolage communicationnel.

Dans le contexte d’application d’une décision à connotation politique sensible qui rappelle fâcheusement les opérations boutefeux du quinquennat précédent, on ne peut que s’interroger sur le mode de traitement des suites de « l’affaire ». Le Président invite l’expulsée, mineure, à revenir seule sur le territoire. L’orchestre gouvernemental exécute des partitions dépareillées avec des instruments désaccordés. C’est beaucoup pour une équipe qui s’était engagée à mettre en place le changement, sinon tout de suite, du moins « maintenant ». De cafouillages en contradictions, de couacs en désaveux, d’effets d’annonce en annonces sans effets, la communication des décideurs publics tourne à plein régime mais la courroie de transmission est depuis les premiers mois de la présidence Hollande hors d’usage. Jadis, un consultant talentueux, Jacques Pilhan, avait théorisé la parole rare, démarche qui avait plutôt bien réussie à Mitterrand. Cette approche par la rareté de la prise de parole s’adresse à un président en exercice. Elle pourrait donc être mise à profit par François Hollande qui laisserait ainsi son premier ministre jouer son rôle de chef éphémère de la majorité.

Le premier ministre justement. ! Le Monde révèle (22.10.2013) qu’après « un week-end houleux, Ayrault recadre les députés PS ». Le premier ministre a demandé aux élus socialistes « de faire bloc » pour faire « réussir la politique président de la République ». Le premier secrétaire du PS, Harlem Désir, a été lui aussi « recadré » pour ses précédentes déclarations. Le groupe socialiste au parlement et le gouvernement cherchent leur méthode et penchent pour le discours performatif et la déclaration d’autosatisfaction. « J'ai la chance d'avoir l'appui et la solidarité de l'immense majorité des parlementaires socialistes, c'est particulièrement utile et réconfortant pour réussir la remise en marche du pays », déclare le premier ministre. Autre recadrage, celui adressé aux 17 députés qui ont joué la carte de l’abstention lors du vote de la réforme des retraites la semaine précédente.

Ça recadre, ça mise au point fort actuellement du côté socialiste. Les règles de fonctionnement du groupe sont modifiées sous la pression des réactions et des médias. Les changements sont factuels et ne sont pas étayés par la réflexion. Qu’est-il changé ? Le temps de délibération « entre nous va être renforcé […] afin de créer une force contraignante pour ceux dont la position n'a pas été traduite de façon majoritaire ». Les responsables des groupes socialistes dans les commissions auront « un rôle beaucoup plus important » et il sera interdit aux assistants parlementaires d’être présents auprès des députés à la réunion du mardi matin afin « qu'ils [les députés] puissent travailler sereinement, qu'il n'y ait pas de bruit de fond, pas de mouvements ». Cette dernière annonce sur fond de désignation de bouc-émissaires ne manquera pas de susciter du déplaisir.

Le premier ministre veut frapper fort. On comprend qu’il soit chagriné par les misères que lui font régulièrement ses troupes. Il est dommage qu’il n’en tire pas le meilleur parti. Au lieu de s'accrocher fébrilement à une langue de bois bien vermoulue, il aurait avantage à se remettre en cause et à trouver une autre façon d’entrer en communication avec le pays et avec ses troupes. En 2002, si Jospin a été rapidement éliminé, c’est parce qu’il n’avait pas su convaincre. Puisque la référence est désormais le management et le rêve d’efficacité qui serait celui des entreprises, le premier ministre devrait savoir que le recadrage de ses collaborateurs, pour être efficient, se mène avec des principes et une visée. Les manuels de management expliquent par exemple que le recadrage d’un collaborateur doit être de préférence réalisé dans la confidentialité d’un entretien. Les managers abusifs et inefficaces « recadrent » à la cantonade : ils produisent de la soumission et non de la coopération. A fond, tout dépend de la perspective recherchée !  

Recadrer est le mot fétiche de la gouvernance socialiste. A multiplier trop les recadrages, l’image peut s’avérer inadaptée au cadre. S’il fallait recadrer les socialistes, que faudrait-il leur dire ? Par exemple qu’il est temps de (re)devenir des politiques et d’abandonner la posture de gestionnaire. Que leur meilleur cadre d'action serait celui d'une politique sociale qui ne tournerait ni le dos aux classes populaires et ni aux classes moyennes. Que le cadre soit socialiste, ce ne serait pas mal car sans cadre apparent, il est difficile de distinguer la limite ! Qu’il est urgent de traiter les questions qui taraudent la population et de cesser de parler d’eux-mêmes. En un mot, ce qu'il faudrait dire dans ce recadrage de fond, ce serait « Mais faites donc de la politique !  ».


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