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Bassem Youssef + Hishem Fageeh = révolution culturelle

Publié le 28 octobre 2013 par Gonzo

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Révolution ou non ? La question ne cesse d’être débattue dans le monde arabe depuis le déclenchement des soulèvements populaires à la fin de l’année 2010. A dire vrai, ce n’est pas un très bon signe de constater que les interrogations demeurent sur la nature de ces mouvements. Certains, d’ailleurs, les considèrent comme de simples coups d’Etat, et même comme des contre-révolutions, plus ou moins manipulées de l’étranger. Trois ans plus tard, la situation est toujours aussi complexe et il faut admirer ceux qui continuent à se croire en mesure de lire – voire de prédire – les évolutions du moment.

Néanmoins, dès que l’on s’écarte un peu des premiers rangs de la scène politique, il est parfaitement évident que le monde arabe est le théâtre, back stage, d’une indiscutable « révolution culturelle ». Pour s’en convaincre, il suffit de constater l’incroyable impact, non seulement en Egypte mais aussi dans tout le monde arabophone, du retour à l’antenne de Bassem Youssef (article, de loin le plus intéressant de ce qui a été écrit en français sur la question, par Claire Talon : c’est gratuit et ça se trouve sur orientxxi.info, un site déjà devenu indispensable)… Attendue depuis des semaines car son show aurait dû reprendre avec la fin de ramadan, cette rentrée des classes d’un humoriste dont la célébrité est indissociable des changements politiques qu’a connus son pays est en soi un prodigieux événement culturel : qui aurait pu penser, disons il y a seulement dix ans, que le monde arabe accorderait une telle importance aux propos d’un ex-chirurgien en cardiologie devenu star d’une émission télévisée satirique ? Rappelons qu’il y a peu – et l’on trouve encore quelques chaînes et quelques journaux pour leur faire cet honneur –, les grandes figures de référence étaient, tantôt Mohammed Hassanein Heikal, ancien ministre de l’Information de Gamal Abdel Nasser, tantôt, dans une veine à la fois plus populaire et plus subversive, le poète Fuad Nagem. Deux grandes voix, sans aucun doute, mais âgées de 90 ans pour la première et de « seulement » 84 pour la seconde…

« Culturelle », la révolution arabe ne se joue donc pas dans la seule arène politique. Celle-ci a bien entendu toute son importance, mais il faut de plus en plus lui adjoindre d’autres territoires de révolte qui relèvent de ce que l’on place dans ces chroniques, faute de meilleur terme, sous l’enseigne de la « culture » (entendue, naturellement, au sens le plus large du terme). Largement épargnée – in chah Allah ! – par les révoltes populaires dont les échos se font à peine entendre dans quelques-unes des provinces de l’Est du pays, l’Arabie saoudite affronte une autre « guerre civile », qui mobilise une bonne partie de la population contre les excès rigoristes de la « brigade des mœurs » locale. Depuis le tristement célèbre incendie d’une école de filles à La Mecque en 2002 (les victimes n’avaient pu être sauvées par les mâles secouristes car, à cette heure matinale, elles étaient dans un trop simple appareil), la société saoudienne est secouée de rébellions récurrentes qui se nourrissent de petites explosions quand telle ou telle « victime » des excès des zélotes du « pourchas du mal » les ridiculise sur les réseaux sociaux.

Feuilleton à rebondissement lui aussi car elles se succèdent depuis plusieurs années déjà, la dernière (en date) des campagnes visant à permettre aux femmes saoudiennes de conduire leur voiture est devenue, plus encore que les autres, un événement politique. Au sens strict du terme cette fois-ci dans la mesure où les (très modestes) formes organisées de l’opinion publique dans ce domaine se sont fait le relais modeste de cette question dans le débat politique. Mais également et surtout au sens où on l’entend dans ce blog, dans la mesure où la nouvelle sphère politique numérique, celle de la Toile et des réseaux sociaux, intervient désormais en force, et à visage de plus en plus découvert (une métaphore à prendre au pied de la lettre, aussi bien pour les femmes ôtant leur voile que pour les hommes affrontant une possible répression en sortant de l’anonymat).

Icône – un terme clé lui aussi – des vedettes des stand-up comedies diffusées sur YouTube (ceux que la question intéresse trouveront l’article que j’ai écrit sur cette question dans le très bon volume intitulé Jeunesses arabes et édité par L. Bonnefoy et M. Catusse), Hisham Fageeh (هشام فقيه) vient de proposer, via la société productrice, Telfaz11, une vidéo qui « fait le buzz » d’une manière tout simplement… révolutionnaire ! Pastichant une chanson de Bob Marley, celui qui se définit dans ce clip, il faut s’y arrêter, comme un artist and social activist, propose, en anglais, sa version, en apparence très islamiquement correcte puisque non instrumentalisée (!), du célèbre No Woman, No Cry. Devenue No Woman, No Drive, le clip est un savoureux pastiche, parfaitement dans le ton de Bassem Youssef, de l’argumentaire islamico-machiste développé pour interdire aux femmes de prendre le volant.

Bassem Youssef, Hisham Fageeh, et bien d’autres social activits : le combat de la culture numérique continue ! Thawra raqmiyya mustamirra (Révolution numérique permanente) dira-t-on, pour pasticher à notre tour ce qui se crie dans les rues du Caire et d’ailleurs…


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