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"Jean Dubuisson par lui-même"

Par Marc Chartier

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Il aurait construit plus de 20 000 logements, mais lui-même n'attache qu'une importance toute relative à ce bilan purement statistique. Plus que la quantité, sa préoccupation

majeure a été et demeure la qualité de la construction. En d'autres termes, confie-t-il avec une spontanéité de bon aloi : « Je n'ai jamais fait quelque chose pour ma gloire, mais simplement pour servir le bonheur des habitants. »

Le parcours professionnel de Jean Dubuisson (né en 1914) fut évidemment d'abord ancré dans les besoins de la reconstruction de l'après-guerre. Ces contraintes de l'urgence n'ont toutefois jamais amené l'architecte à se départir de sa philosophie de la construction, y compris pour les familles les plus modestes : « J'ai toujours cherché à privilégier la plus grande simplicité pour les structures afin de réaliser des économies [pour les] reporter sur le second oeuvre avec lequel on peut apporter tous les éléments du confort. » Tel est, selon lui, le bon logement. Puis d'ajouter : « J'ose dire que ma prétention était de donner aux habitants une oeuvre d'art. Je crois n'avoir pas si mal réussi. »

Le Prix de Rome (1945), qui revendique haut et fort son appartenance au classicisme, n'en a pas moins ponctué son parcours de réalisations qui font honneur à la profession : les logements des officiers du Shape (Saint-Germain-en-Laye), la résidence du Parc à Croix (Nord), la résidence Cormontaigne à Thionville (1 200 chambres en bordure de la Moselle), la maison d'André Weil à Pontpoint (Oise), la Caravelle à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), l'ensemble Maine-Montparnasse (Paris), le musée des Arts et Traditions populaires (Paris), etc., ainsi que d'importants chantiers à l'étranger (Tunisie, Iran, Arabie...).

Dans cet ouvrage à la teneur autobiographique, Jean Dubuisson se révèle tel qu'il a toujours été : un homme libre, d'aucun système, qui ne s'est jamais préoccupé que de ses seules convictions en matière de savoir-faire architectural. Cela ne l'empêche pas de manifester son admiration non seulement pour la culture du bien bâtir de la Grèce antique, mais également pour certains de ses prédécesseurs ou contemporains : Perret, Le Corbusier, Kenzo Tange, Renzo Piano, Jean Nouvel (ce dernier l'ayant proposé pour l'attribution du Grand Prix de l'architecture... qui ne lui fut en réalité jamais décerné, contrairement à ce qui est affirmé dans Wikipedia).

Après les hommages à qui de droit, Jean Dubuisson ne se prive pas de distiller de-ci de-là quelques remarques bien ciblées à l'encontre d'une certaine pratique française de l'architecture : dans son enseignement tout d'abord (« Je suis très critique de la dérive post soixante-huitarde qui a permis que l'on devienne architecte sans avoir conçu un seul projet »), puis dans certaines de ses manifestations (« Je considère qu'en France on fait pour le moment des bazars très éloignés de ce qu'est la réalité matérielle de l'architecture ») ou de ses pratiques (« Les architectes se sentent aujourd'hui obligés de gesticuler pour plaire à leurs commanditaires : à tout prix, faire image... »).

Au soir de sa vie, c'est encore le sage qui s'exprime (lui qui ressentait le besoin d'habiter tel ou tel immeuble construit par lui pour se forger un jugement circonstancié sur la qualité du logement) : « La meilleure formation livresque ne donnera pas forcément un grand créateur. Je prône pour les étudiants une culture de l'observation, du regard et de l'écoute : regarder les gens vivre, les écouter et surtout les entendre. » Puis il termine cette leçon de choses par une sentence qui vaut mieux que tout long discours : « La base de tout est l'amour du prochain. »

"Jean Dubuisson par lui-même", texte établi par Armelle Lavalou, éditions du Linteau, 2008, 172 pages

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