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Les champignons

Publié le 28 octobre 2013 par Rolandbosquet
champignons

   Le repos dominical a gagné une heure de plus. Les tracteurs qui sillonnaient hier les route tirant leur remorque pleine pour l'ensilage se sont tus. Le 4x4 des chasseurs sont encore remisés dans les cours ou les garages. Leurs maîtres et leurs chiens, tout excités, attendent que l'air s'éclaircisse un peu pour partir à la guerre aux lapins, lièvres et faisans. Une légère brume matutinale recouvre en effet la vallée d'un douillet édredon. De lourds effluves d'humus montent de la terre. De temps à autre, un filet de brise apporte des senteurs de colchiques mêlées de délicats fumets de moisissures. Joseph marque soudain le pas. Un large sourire barre ses joues brunies par le soleil et le vent. Par ici, chuchote-t-il ! Et il s'enfonce sans hésiter au milieu des bruyères et des buissons de genêts. Je le suis, bâton de coudrier au poing et panier d'osier au bras. Il s'agit en effet de faire provision de champignons au profit de Marthe Dumas, du Mas du Goth qui prévoit d'en remplir plusieurs bocaux de conserve. Quoi de meilleur, en plein hiver, qu'un beau bolet dans une omelette ? Heureux sans doute d'échapper pour quelques heures à l'étouffante sollicitude de son hôtesse, Joseph n'a guère murmuré plus de trois mots depuis que nous nous sommes engagés dans le sentier qui longe mon courtil. L'habitude de cheminer sur au bord des routes l'a rendu peu bavard sinon plutôt taiseux. S'il a aujourd'hui quelque confidence à me livrer, il le fera à son heure. Joseph est imprévisible. Pour l'heure, nous avançons à pas de loup, le nez perdu dans les fougères, mousses et branches mortes qui tapissent le sol. Lorsque soudain jaillit une rumeur. Vague et indécise, d'abord. Comme surgissant d'au-delà les collines. Instinctivement, Joseph se réfugie derrière un tronc de fayard large comme une colonne Morris. Ses traits se sont figés et ses mains tremblent. C'est une bête traquée qui m'adresse un regard suppliant. Je tente une sourire dans l'espoir de le détendre. En vain. Des voix se précisent. Une voix d'homme, grave et traînante, et des voix de femmes, pointues et acérées. Un mouvement agite un fourré et un gilet d'un bel orange fluorescent apparaît. Un bonjour tonitruant déchire la quiétude du sous-bois.Vexés de voir leur paix bousculée, deux pigeons s'envolent en grand ramage au-dessus de nos têtes. Vous en avez trouvé beaucoup ? Nous sommes bientôt cernés par tout un groupe de promeneurs armés de branches cassées et de sacs en plastique. Une femme aux cheveux grisonnants et au menton de fouine ausculte notre panier. Évidemment, dit-elle après avoir également estimé avec dédain notre accoutrement de campagnards, vous vous connaissez les coins ! Leur déguisement apprêté désigne sans hésitation leur origine citadine. La-bas, s'écrie soudain un grand escogriffe au crâne dégarni, Un cerf ! Cris émerveillés. La troupe s'élance comme un seul homme ver son nouvel objectif. Le silence retombe peu à peu sur la forêt. Joseph hoche la tête. Des sauvages, murmure-t-il, en guise d'excuse, à l'adresse de quelque écureuil invisible. Nous rentrons sans autre incident, notre panier débordant de cèpes et de girolles. Je ne pourrais plus retourner  là-bas, avoue Joseph en désignant la direction de la ville d'un signe de tête. C'est bien dans sa manière toute de pudeur de me faire comprendre à demi-mot qu'il a décidé de quitter ses chemins de vagabond et de rester parmi nous. Je décide de déboucher une modeste bouteille de pinot noir de Bourgogne pour accompagner le lapin en sauce préparé par Marthe. A bien y réfléchir, notre monde, parfois, ne tourne pas si mal !


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