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Le prix de la vengeance

Publié le 29 octobre 2013 par Lonewolf

Korlak était debout devant l’entrée béante qui semblait déchirer la montagne. Le ciel ombrageux était zébré par des éclairs et la pluie fine qui tombait, se mélangeait aux larmes qu’il ne pouvait retenir. Depuis 20 ans il était rongé par l’absence d’Alina. Rongé surtout par les regrets de n’avoir pas lutté contre le conseil du village.

Cette nuit-là comme tous les 20 ans le vieil ermite était descendu de la montagne pour se rendre au village où vivait la famille de Korlak. Le conseil l’attendait à l’entrée des habitations. Le vieil homme était entré appuyé sur un morceau de bois d’une démarche incertaine. Personne ne savait quel âge il pouvait avoir, mais les plus vieux se rappelaient qu’il ressemblait déjà à un vieillard lorsqu’eux-mêmes étaient enfants. On lui attribuait des pouvoirs mystiques et personne ne cherchait vraiment à connaitre son secret. Ce que l’on savait par contre c’était que tous les 20 ans il arrivait, se dirigeait vers une maison, se faisait remettre une jeune femme et repartait en direction de la montagne avec elle. Et qu’ensuite on ne la revoyait jamais…

Korlak se souvenait avec intensité de la porte de la maison s’ouvrant sur le chef du conseil. Celui-ci s’écartant pour laisser entrer l’ermite qui se dirigea directement sur Alina alors toute jeune femme. Qu’il la prit par la main et qu’elle le suivit sans un cri, sans se débattre, sans même un regard pour sa famille. Korlak s’était mis à sangloter en silence agrippé aux jupes de sa mère. Il se souvenait de son père, les mâchoires et les poings serrés alors que sa fille sortait de la maison. Le silence empli de haine qui s’était abattu entre les murs et de la froideur intense qui avait suivi cette scène irréelle. Dans un sursaut Korlak avait fait un bond en avant arrêté par le bras tremblant de son père. Se tournant vers lui, son regard l’avait comme douché. Il s’était figé, pétrifié par les flammes qui semblaient danser dans les prunelles paternelles.

Dès le lendemain, la vie avait repris son cours normalement au village comme si rien ne s’était passé. Alina n’était dans aucune discussion, son existence reniée par ceux qui l’avaient aimée comme si elle n’était qu’une illusion sans consistance. Korlak s’était juré ce jour-là de savoir ce qu’elle était devenue et surtout de se venger du vieil ermite.

Alors que les souvenirs l’envahissaient par vagues Korlak sentit ses mains serrer durement les lanières de cuir qui entouraient la garde de ses épées. Il pouvait ressentir dans ses muscles une tension presque électrique comme un écho aux caprices du temps. Le vieil homme était parti depuis de longues minutes maintenant et il savait sa seule chance de découvrir la vérité entre ses mains. Lentement il se glissa dans l’ouverture de granit. Ses yeux n’arrivaient pas à faire le point et les ténèbres autour de lui étaient trop profondes. Se fustigeant de n’avoir prévu une torche il chancela sur le sol caillouteux et imparfait. Une étrange odeur emplissait l’air, mélange de musc et d’herbes pourrissantes. Se retournant il aperçut une ligne étroite qui parfois devenait blanche.

Le seul bruit qui troublait le silence venait de sa lente progression. Il tendit ses bras les lames parallèles au sol sans toucher la moindre résistance. Vraisemblablement la caverne ou le boyau qu’il suivait était large même si il n’entendait aucun écho de ses pas. Habitué aux efforts et à son corps il se rendit compte qu’il s’enfonçait dans les entrailles de la montagne, très légèrement au début, cette pente s’accentuait et parfois il devait utiliser une de ses lames comme une canne pour ne pas chuter. Ses yeux maintenant pleinement habitués au noir total lui permettaient d’entrevoir des ombres, ou des portions plus sombres que d’autres mais rien qui lui assurait qu’il était sur la bonne voie. N’ayant jamais vu le vieil homme avec une lanterne ou une torche il se demanda comment il progressait dans cette galerie. Soudain la peur le prit d’avoir manqué une galerie secondaire ou un boyau sur un des murs qu’il avait probablement longé depuis son entrée dans le monde souterrain.

S’arrêtant un instant il reprit son souffle et se rendit compte que la peur, et la noirceur l’oppressait. Peut-être avait-il surévalué ses capacités. Depuis 20 ans il n’avait vécu que pour ce jour, s’entrainant sans relâche, faisant les métiers les plus durs pour s’endurcir et pour acquérir les talents nécessaires à sa mission. Et voilà qu’un peu de noir et un silence profond le faisait douter. D’ailleurs il se rendit compte que le bruit du tonnerre extérieur avait presque totalement disparu. Se retournant il découvrit qu’il avait probablement dévié sans s’en rendre compte puisqu’aucune lumière résiduelle de la faille n’était visible.

Respirant lentement, il reprit sa progression et faillit chuter lorsque son pied ne rencontra plus que le vide. Reculant prestement il laissa échapper un cri de stupeur. Cessant de respirer il écouta autour de lui afin de savoir s’il avait été repéré par quelque chose ou quelqu’un. Rasséréné par le silence qui l’entourait il se servit d’une de ses lames pour tracer les contours du rebord et pour en jauger la hauteur. Découvrant ce qui devait être une volée de marche il descendit un pied après l’autre progressant avec une lenteur exaspérante. Sachant que le vieil homme marchait d’un pas plus alerte que dans son souvenir il se demanda combien de temps il lui faudrait pour faire l’aller-retour. S’ajoutant l’angoisse de se trouver nez à nez avec lui alors qu’il avait pénétré son antre à son insu. Tendant l’oreille il perçut comme un bruit d’eau coulant mais n’arrivait pas à savoir si c’était une fissure qui crachait l’eau de pluie ou un cours d’eau souterrain. Prenant pied sur un replat il fit crisser la pointe de sa lame en tâtonnant tout autour de lui. La roche semblait plus dure comme un immense bloc d’un seul tenant.  Ne sachant plus trop quelle direction prendre il suivit la dernière marche jusqu’à arriver à une paroi. Dénouant deux doigts il suivit celle-ci tout en maintenant son autre lame au sol pour éviter toute surprise.

Alors qu’il avançait depuis un moment, la pulpe de ses doigts éraflée  le faisant souffrir il se rendit compte que le sol avait changé. Des cailloux roulaient sous ses pieds et certains se brisaient sous ses pas. Il découvrit alors que le son semblait se répercutait autour de lui comme s’il était dans une immense caverne. C’est alors qu’un éclair parcourut le ciel et éclaira la scène autour de lui par un immense trou béant dans la voute. Autour de lui tout n’était qu’amoncellement de pierres qu’il piétinait et dans lesquels parfois il s’enfonçait comme s’ils étaient friables. L’éclair suivant lui permit de comprendre qu’il s’était trompé. Une sueur glacée courut de long de son dos et ses mains tremblèrent imperceptiblement. Ce qu’il avait pris pour des rochers n’étaient que des ossements. Cranes et autres parties de restes humains à première vue qui recouvraient le sol à perte de vue. Des bords du trou s’écoulait une eau froide sous laquelle il s’arrêta un instant comme pour se laver de l’horreur du lieu. Frissonnant il se figea en songeant que sa sœur était probablement là quelque part.

Son esprit s’embrumait, était-ce le lieu ou la sourde terreur d’imaginer ce qui pouvait être responsable de cette macabre collection? Pourtant à part l’eau et sa propre respiration, aucun bruit ne venait jamais troubler le silence. Quel était le rôle du vieil homme? A qui ou à quoi venait-il faire ses offrandes? Un instant Korlak songea qu’il se trompait peut être et que l’homme ne ramenait peut être pas les femmes ici. Pourtant il avait appris pendant ces 20 ans que d’autres hommes avant lui avaient tentés de suivre le vieil ermite et qu’ils avaient disparus quelque part sous cette montagne. Reprenant difficilement ses esprits et ses réflexes il examina le lieu avec une froideur calculée. S’arrangeant pour se mettre dans un coin abrité du courant d’air que procurait le trou supérieur, il assembla des ossements pour se cacher derrière tout en se gardant une bonne visibilité sur une grande partie de la caverne lorsque les éclairs l’éclairaient. Posant ses lames il sortit un morceau de bœuf séché qu’il dévora sans appétit. Par habitude ou simplement pour passer le temps tel le chasseur attendant sa proie. Sauf qu’il n’avait aucune idée de qui était la proie ou de ce qu’était la proie. Il se rendit compte qu’il pouvait très bien ne pas être seul et même avoir été repéré mais son instinct lui disait que le danger n’était pas encore présent.

Après ce qui sembla une éternité il entendit des bruits de pas hésitants. Se relevant légèrement il vit le vieil homme qui conduisait par la main une jeune femme comme hypnotisée. La laissant seule, il s’éloigna de quelques pas et se mit à entonner un sombre cantique dont Korlak ne connaissait ni la langue ni la signification. Une étrange lueur rouge enveloppa le vieil homme et se mit à briller avec un éclat puissant comme si elle s’échappait de fissures apparaissant sur son corps. Korlak n’était pas loin de la vérité quand il se rendit compte que la peau de l’ermite tombait par plaque au sol, ses vêtements eux-mêmes déchirés comme par une lame invisible. La voix devint chuintante, comme si les mots étaient petit à petit remplacés. La lumière devint aveuglante forçant Korlak à s’allonger sur le sol derrière son rempart osseux pour ne pas risquer d’être repéré. Ne se fiant plus qu’à son ouïe il essaya d’analyser les bruits qui provenaient de la scène qu’il avait observée. Il n’entendait plus qu’une sorte de bruissement, ainsi que des sifflements qu’il avait bien du mal à caractériser. Fermant les yeux pour que son attention ne soit plus détournée par les ossements à quelques centimètres de sa peau il essaya de se rappeler ce qui pouvait évoquer ces bruits. Il entendit l’entrechoquement des anneaux quand enfin il sut. Relevant la tête avec lenteur il vit au travers d’un thorax blanchi la créature qui semblait grossir et grandir à vue d’œil, emplissant de sa présence la pièce et écrasant les ossements comme des petites brindilles. L’énorme créature reptilienne avait le regard figé sur la jeune femme qui tremblait sans pourtant ciller ni laisser échapper le moindre cri. Korlak comprit alors qu’en plus de la magie cette créature devait être capable de maintenir ses proies dans une sorte de stupeur qui les rendaient incapables de se défendre.

Korlak n’avait que peu de temps pour agir. Mais maintenant qu’il avait conscience de ce qu’il devait affronter il comprit qu’il était sur un terrain qui le désavantageait. Si cette créature était un serpent elle devait probablement être sourde, mais elle devait aussi pouvoir ressentir le moindre tremblement dans le sol. Regardant autour de lui il ne vit rien qui pouvait lui être utile afin de se soustraire à l’attention de la créature. Pourtant il ne pouvait se convaincre d’attendre qu’elle tue la jeune femme avant d’agir. Avisant un crâne partiellement défoncé il le retira précautionneusement des os qui l’entouraient. Attendant qu’un éclair fasse trembler l’air il se releva d’un bond et balança le crâne à l’opposé d’où il s’élança aussi vite et légèrement que son entrainement le lui permit. N’osant regarder la créature en face il essayait de sentir les mouvements et de les entendre. Se demandant si sa diversion avait réussie ou s’il allait sentir la morsure de la mort le couper en plein élan. Manquant trébucher sur un tas pointu de restes, il tourna la tête vers la jeune fille et vit que l’énorme serpent tournait la tête dans sa direction. Sentant qu’il n’aurait pas une deuxième chance il se coupa dans sa course et plongea en direction de l’immense créature. Celui-ci rampa à une vitesse vertigineuse dans sa direction avant de se cabrer sa tête s’élevant à plusieurs mètres au-dessus du sol.

Korlak estimait être encore trop loin pour agir, mais connaissant les reptiles communs il savait que la bête s’apprêtait à l’attaquer. Se concentrant sur les ondulations du corps monstrueux il plongea au même instant où il sentit qu’elle se figeait. D’une roulade légèrement déséquilibrée par les ossements il se retrouva sous la mâchoire immense qui claqua là où il se trouvait quelques secondes plus tôt. Sans hésiter il plongea ses deux lames avec force dans la chair écailleuse, utilisant la force avec laquelle le serpent avait plongé la tête en avant pour pénétrer en elle jusqu’aux coudes. La bête eu un mouvement de recul et sa gueule sembla comme tirée en arrière vers son corps gigantesque. Korlak dont la peau semblait brûler au niveau des bras parvint à ne pas lâcher ses lames et celles-ci éventrèrent la chair d’où s’écoulait un sang qui recouvrit Korlak. Il sentit la brûlure enflammer chaque parcelle de son être mais vit la gueule béante à l’odeur fétide s’affaisser entrainant Korlak qui lâcha ses deux épées pour ne pas être écrasé. Retenant des cris de douleur il se laissa tomber de l’autre côté. Lorsque sa tête heurta le sol avec brutalité il entendit la jeune femme pousser un cri à fendre l’âme avant de perdre connaissance.

Lorsqu’il se réveilla, il était allongé sur le dos, son regard troublé ne voyant qu’une vague lueur bleue au-dessus de lui. Il entendit alors une voix tremblante hors de son champs de vision.

-   Korlak, que faisais-tu là?
-   Qui es-tu? Je n’ai pas pu te reconnaitre hier soir.
-   Lariana, c’est moi que le vieil homme a choisi pas vrai?
-   Oui je crois. Je m’étais caché ici pour essayer de retrouver Alina et puis j’ai vu cette chose.
-   Ne parle pas, tu es très faible et je crois que tu as été brulé par quelque chose. Peut-être du venin. J’ai tenté d’éponger ce qui recouvrait ta peau, mais j’ai peur que les dégâts ne soient irrémédiables.
-   Ce n’est pas grave Lariana, même si je meurs, je sais que plus jamais une des familles du village ne devra payer de la vie de sa fille cette horrible créature.

Puis il perdit à nouveau conscience, la douleur irradiant tout son corps. Il rouvrit les yeux lorsqu’il sentit sur sa peau des tiraillements qui lui arrachèrent des cris. Une vieille femme était penchée sur lui. Il ne distinguait pas ses traits ni ce qu’elle faisait mais chaque fois que ses mains se posaient sur lui, il sentait une morsure dans ses chairs qui le faisait hurler. Puis il sentit des mains dures et puissantes qui portaient son corps et perdit à nouveau conscience.

Entendant des voix incanter il s’éveilla en sursaut et manqua tomber du lit sur lequel il se trouvait. Ses paupières étaient fermées et il n’arrivait pas à les ouvrir. Ne voyant rien il tâtonna autour de lui à la recherche de ses épées. Quand il entendit à son oreille une voix familière.

-   Ne bouge pas, la guérisseuse essaye de sauver tes yeux. Tu dois te laisser faire, tu n’as plus rien à craindre désormais.
-   Aliana? C’est toi Aliana?
-   Non, je suis Lariana, tu m’as sauvé, tu ne te souviens pas?
-   C’était donc réel n’est-ce pas?
-   Oui très réel, tu m’as sauvé la vie, tu as sauvé le village, tu es un héros.

Korlak ne se sentait pas héroïque, mais il accueillit ces mots comme un baume. Ne bougeant plus il laissa les incantations le bercer et s’endormit.

Lorsqu’enfin il ouvrit les yeux il ne voyait rien. Conscient de ce qui lui était arrivé il se mit à sangloter violement. Il sentit alors deux mains douces se poser sur ses joues et remonter un morceau de tissu qu’il n’avait pas senti et qui recouvrait ses yeux. Il découvrit alors qu’il avait récupéré sa vision. Certes elle semblait un peu floue par endroit mais il voyait. Regardant La jeune femme penchée sur lui il lui sourit. Celle-ci lui rendit son sourire même si un instant elle sembla pétrifiée. Korlak sentit un pincement au cœur.

-   Je veux me voir.
-   Non tu es encore souffrant et la guérisseuse dit que peut être on peut encore faire quelque chose.
-   JE VEUX VOIR MON VISAGE! Hurla-t-il

Effrayée la jeune femme lui tendit un morceau de métal poli. Korlak découvrit sa peau rongée et marquée par l’acide, des lambeaux de peau pendant par endroits dévoilant sa mâchoire et le défigurant. Une larme silencieuse s’écoula à l’angle de l’œil le mieux conservé. La vengeance avait un prix, et la sienne lui avait coûté terriblement cher. Mais il savait que désormais le village pourrait vivre en paix sans plus jamais craindre la visite du vieil ermite.


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