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Photo-buzz de Ségolène Royal : quand la mode domine le storytelling

Publié le 30 octobre 2013 par Copeau @Contrepoints
Analyse

Photo-buzz de Ségolène Royal : quand la mode domine le storytelling

Publié Par Florian Silnicki, le 30 octobre 2013 dans Politique

En mode comme en politique, enfiler les habits d’un autre n’est jamais une bonne idée : ils tombent rarement juste. Illustration avec la photo de Ségolène Royal posant pour Le Parisien Magazine.

Par Florian Silnicki et Élisabeth Segard (*)

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Ségolène Royal posant pour Le Parisien Magazine.

Michelle Obama transformée en boule d’énergie, un soir de victoire électorale, par le miracle d’une robe noire et rouge, Jackie dramatique en tailleur rose, Lady Di séduisante pour l’éternité dans sa robe noire trois trous… les looks élevés au stade de symboles ne manquent pas. Dans une société aussi visuelle que la nôtre, quand le lecteur ou le spectateur n’a plus le temps (ou l’envie) de lire de longs textes, les politiques ressortent les vieilles recettes des malles. Et se rappellent que bien souvent, une image vaut mille discours.

Oui, une tenue est un excellent moyen d’imprimer une image. Mais c’est un jeu dangereux : elle peut aussi incruster une image ridicule dont le politique aura par la suite le plus grand mal à se débarrasser. Si les mots s’envolent, les images restent.

Les médias et les Français commencent à se lasser des petites phrases calibrées pour infecter les réseaux sociaux : Madame Royal (ou son équipe) a voulu contourner l’obstacle en imposant un choc visuel. Mais en se glissant dans un tableau de Delacroix, Ségolène Royal s’est tiré une balle dans le pied.Esthétiquement, il faut avouer que c’est ridicule : si Vuitton a rendu la robe-nuisette so 2013, tout le monde n’est pas Marc Jacobs. Alors on évite la chemise de nuit. Même Lauren Bastide, journaliste de mode chez ELLE, a prouvé par une mise en situation que dans la vraie vie, c’était déplacé. Ici, la longue robe blanche fait plus que négligé : le faussement naturel sent le saut du lit. On respire presque la transpiration. Une impression pas vraiment enthousiasmante, peu apte à emporter l’adhésion des foules.

Artistiquement, ce tableau est un fourre-tout romantique qui emprunte à l’art statuaire grec et à la peinture classique. Si l’œuvre marquait une rupture en 1830, nous sommes en 2013 : il y a belle lurette qu’elle est étiquetée pompier. S’inspirer de ce tableau signe plutôt un goût désastreux qu’un choix éclairé.

Politiquement, enfin, c’est une déclaration de guerre. Monsieur Hollande, régulièrement comparé à Louis XVI, a dû moyennement goûter ce manifeste allégorique : Delacroix avait peint ce tableau en soutien aux Trois Glorieuses, ces journées d’émeutes qui ont poussé Charles X à l’abdication.

Madame Royal n’a-t-elle pas fait l’erreur de s’approprier un symbole universel ? Et connoté ? Pour imposer une image, il faut qu’elle soit originale. En mode comme en politique, enfiler les habits d’un autre n’est jamais une bonne idée : ils tombent rarement juste.

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L’égarement vestimentaire de Ségolène Royal est-il le signe d’une embrouille intellectuelle ? La marinière d’Arnaud Montebourg et le soin qu’il prend à communiquer sur son changement de codes vestimentaires n’est-il pas l’illustration d’une certaine impuissance politique cherchant à faire du vêtement un outil de conquête de l’opinion ?

Dans une société dominée par l’image, les mots comptent parfois moins que les vestiaires de chacun. Paris, Milan, Londres et New York pourraient-elles pour autant ranger leur Fashion Week au vestiaire ? Ce n’est pas si sûr.

Agitant les passions populaires et les polémiques médiatiques, la tunique de Ségolène Royal comme les Ray-Ban de Nicolas Sarkozy en passant par les Crocs roses aux pieds de Roselyne Bachelot à la sortie d’un conseil des ministres, en août 2008, l’impact des codes vestimentaires en politique n’a cessé de croitre.

La politique, c’est la maîtrise des apparences nous apprend Machiavel. La dernière élection présidentielle a semblé marqué le paroxysme de cette maitrise. Nicolas Sarkozy avait choisi de mettre en valeur ses cheveux blancs, son expérience. Quant à François Hollande, c’était régime et cheveux teints.

Loin du Jean négligé de Cécile Duflot au premier conseil des Ministres ou des robes Christian Dior de Rachida Dati, cette photographie de Ségolène Royal en dit long sur sa volonté de faire comme le peuple ou la représentation qu’elle s’en fait. Elle semble en revanche avoir compris mieux que les autres à quel point une photographie mobilise l’émotion électorale. C’est là un outil au service de sa stratégie politique. Elle sait que c’est plus souvent l’émotion que la raison qui guide l’électeur. A l’heure où les électeurs ne votent plus pour un homme ou une femme politique mais à son histoire, pas sûr qu’ils comprennent celle que Ségolène Royal a choisi de mettre en avant avec cette photographie.

Ségolène Royal a choisir de bâtir son aventure politique sur un récit personnel. C’est légitime. Mais en ayant trop voulu bâtir son récit politique sur une image, elle a raté le coche. Celui de parler aux électeurs.  Ségolène Royal a choisi de captiver l’électeur au lieu de le convaincre pour qu’il investisse mieux l’histoire qu’elle lui propose. Cette habileté de communication politique l’a poussée à faire une double-erreur : oublier qu’elle serait soumise au jugement du lecteur-électeur et à sous-estimer le risque, pourtant majeur en l’espèce, de décalage en le message qu’elle tente d’émettre et celui réellement perçu.

Le storytelling de Ségolène Royal a tenté de repartir d’un tableau fondateur pour tracer une double ligne : directrice pour l’électeur mais séparatrice du gouvernement.

Elle n’a pas su remettre au goût du jour la force de l’histoire dans la vie d’une femme politique. Elle a oublié que la parole sur une femme politique n’est pas la parole d’une femme politique.

Elle aura comme toujours réussi à susciter des réactions et des détournements sur internet. C’est peut-être là pour elle, après tout, l’occasion d’entamer le dialogue avec l’électeur.

Oui, utiliser l’histoire et l’art peut être une base du storytelling politique. La difficulté de l’exercice est d’en choisir le véhicule idéal. Le tableau de Delacroix ne semble pas le bon pour convaincre l’électeur.

À l’heure où les électeurs, beaucoup via les médias et encore plus les réseaux sociaux, scrutent plus que jamais le style des candidats, Ségolène Royal devrait prendre garde aux signaux qu’elle envoie en s’affichant ainsi. On savait que le storytelling dominait le monde de la communication politique, on découvre chaque jour davantage que la mode domine le storytelling…

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Voir aussi les détournements de Contrefouts : ICI et ICI.

(*) Élisabeth Segard est journaliste et blogueuse mode.

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