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Survivre au suicide de son enfant

Publié le 31 octobre 2013 par Raymond Viger

«Mon fils n’est pas né avec la maladie. Il a aimé la vie», raconte Jean sans cesse au bord des larmes. Son fils, diplômé en commerce de l’université McGill, était toute sa richesse. Jean se sent vide, pauvre. Il se questionne, se demande s’il n’aurait pas pu en faire plus. Tout a commencé il y a 4 ans, lorsque Michel s’est mis à raconter des histoires étranges de gens qui lui voulaient du mal. Jean ne veut pas nommer la maladie qui affectait son fils. «Il était différent, bizarre», se limite-t-il à dire, soucieux de ne pas banaliser le désarroi de son enfant par une étiquette.

Peur de l’étiquette

L’absence d’aide n’a pas tué Michel. Bien au contraire. Employé d’une institution financière, il avait droit aux soins d’une thérapie avec congé payé. «Je voulais qu’il en parle avec une personne responsable, aux ressources humaines. On lui a offert de l’aide. Ça l’a inquiété. Il a refusé de peur d’être stigmatisé. S’il avait accepté, ses collègues auraient su qu’il avait un problème. Il était en position de rester à la maison pendant quelques mois tout en recevant son salaire.» Malgré cette proposition honorable, Michel avait peur du regard des autres. Il comptait s’en sortir seul, fier qu’il était.

Devant son refus, Jean doit puiser au fond de son amour. Sa femme et lui offrent une thérapie à Michel. Un autre refus et Jean se sent encore plus impuissant. «Que faire comme parent? Je lui disais : “J’ai toujours été fier de toi. Je vais l’être encore si tu acceptes d’aller chercher de l’aide. Si tu étais un enfant, je ferais ce qu’il faut. Mais tu es un adulte, c’est à toi de décider.” »

Michel reconnaît l’amour inconditionnel de son père et sa mère. Il ne repousse pas l’appui de ses parents pour leur faire mal. Il voulait s’en sortir seul. «Il me disait: “Papa, donnez-moi du temps. Je ne suis pas encore prêt. Quand je le serai, je le ferai.” C’était un homme fier. Il ne voulait pas que les autres sachent qu’il avait un problème. Mais il avait peur d’en parler. Il ne voulait pas être étiqueté.» S’il accepte d’en discuter avec ses parents, Michel refuse de voir son jeune frère. «Il ne voulait pas qu’il le voie dans cet état», dit Jean les yeux rougis.

Au travail, on lui donne 6 mois pour corriger la situation. Passé ce délai, voyant l’absence d’améliorations, il est mis à la porte. Jean, propriétaire d’un restaurant familial, lui propose d’y travailler avec lui. Il essuie un autre refus qui le chamboule. Jean est désemparé. Il aimerait forcer son fils à suivre une thérapie pour se soigner, mais respecte sa décision en constatant les efforts de son garçon pour s’en sortir. «Il a arrêté de fumer et de boire du café par lui-même. Il essayait de s’aider. Mais il n’a pas réussi. S’il avait su qu’il n’y aurait pas de stigmatisation, peut-être qu’il aurait suivi une thérapie. Mais il savait qu’il y en aurait…»

Tentatives de suicide

Michel a tenté de se suicider. Il est interpellé par des policiers qui ne croient pas à ses explications. Ils l’emmènent sur-le-champ à l’hôpital Notre-Dame pour y être examiné. Trois psychiatres le rencontrent et diagnostiquent un état dépressif, pas suicidaire. «Ils l’ont laissé sortir la journée même», raconte Jean qui, plus tard ce jour-là, rencontre son fils sans se douter de ce qui venait de se passer.

Une semaine plus tard, Michel récidive. Découvert par les policiers, il est conduit à l’hôpital Général de Montréal, où il décède quelques heures plus tard.

En insistant auprès des médecins, Jean a pris connaissance de ces deux tentatives de suicide. Dans les deux hôpitaux, Michel avait demandé de ne pas communiquer avec sa famille. «Je ne blâme pas les médecins. J’ai parlé à l’un d’eux. Il m’a dit que son travail était de garder mon fils en vie, pas de communiquer avec moi. Il a raison. Mais l’hôpital devrait avoir quelqu’un pour rejoindre la famille. Notre fils était encore vivant et ma femme et moi n’étions pas là, près de lui», dit-il en sanglotant.

Jean est encore sous le choc d’avoir perdu son fils. Il cherche une raison pour justifier cette mort qui l’a déchiré. D’abord, il se dit que la loi devrait être plus flexible et permettre aux hôpitaux de communiquer avec la famille d’un patient. Et, surtout, il espère une meilleure sensibilisation de la société sur les maladies mentales et les effets de la stigmatisation. «Nous sommes en 2012. Nous devons arrêter d’appeler ces êtres humains des fous, des tordus. Je n’ai pas sauvé la vie de mon fils. Si je peux sauver celle d’autres fils ou filles, de frères ou sœurs, ce sera une grande satisfaction.»

Ressources en prévention du suicide:

Pour le Québec: 1-866-APPELLE (277-3553). Site Internet. Les CLSC peuvent aussi vous aider.

La France: Infosuicide 01 45 39 40 00. SOS Suicide: 0 825 120 364  SOS Amitié: 0 820 066 056.

La Belgique: Centre de prévention du suicide 0800 32 123.

La Suisse: Stop Suicide.

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