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Écomouv, le marché de l’écotaxe

Publié le 04 novembre 2013 par Sylvainrakotoarison

Depuis plusieurs jours, des portiques de l’écotaxe sont détruits en Bretagne. Malgré sa suspension (provisoire), l’écotaxe fait toujours débat. Retour sur cette mesure du Grenelle de l’Environnement.

yartiEcomouv01Le 30 octobre 2013, le sénateur-maire de Dijon François Rebsamen (PS) a proposé de créer une commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’attribution du marché de l’écotaxe.

Revenons à cette écotaxe qui fait tant parler d’elle depuis une dizaine de jours. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a en effet suspendu le 29 octobre 2013 son application sur tout le territoire national après les violentes protestations en Bretagne du 26 octobre 2013, protestations qui n’ont pas été pour autant stoppées ce week-end où plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont marché sur Quimper le 2 novembre 2013 pendant que des portiques de contrôle ont été démontés, voire détruits, pour réclamer la suppression pure et simple de l’écotaxe.

Pourquoi la taxe ?

L’écotaxe est officiellement la "taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises" et a pour but de décourager les longs transports routiers en France (une véritable "plaie" sur les routes et autoroutes, facteur de nombreux accidents) en favorisant le ferroutage. L’objectif est donc de réduire la pollution.

Le système de télépéage déjà en application en Allemagne, en Autriche, en Slovénie et en République tchèque (et également en Suisse) dans les mêmes conditions techniques qu’en France : la directive européenne 2004/52/CE (JO L 166 du 30 avril 2004, p. 124) vise à réaliser l’interopérabilité des systèmes de télépéage routier dans l’Union Européenne.

Le principe de cette taxe a été adopté par le Parlement français dans le cadre du Grenelle de l’Environnement (loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’Environnement) et s’applique à tous les véhicules de transport de marchandises de plus de 3,5 tonnes circulant sur l’une des 15 000 routes de France. Cela concerne donc environ 800 000 camions français et étrangers. Sont exclus les cars, véhicules agricoles ou militaires, et d’autres cas particuliers (comme le transport de lait). Un réseau de 4 100 points de tarification a été défini.
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Théoriquement, jusqu’à la suspension sine die décidée par le gouvernement, cette taxe aurait dû être applicable au 1er janvier 2014 (initialement prévu au 1er juillet 2013 puis au 1er octobre 2013).

Coresponsabilité politique

Il faut donc bien comprendre que le gouvernement actuel n’est pas à l’origine de cette écotaxe, mais la majorité précédente, en particulier sous la houlette de Jean-Louis Borloo et de Nathalie Kosciusko-Morizet, dans un esprit d’unanimité politique.

En revanche, le gouvernement actuel (qui a donc approuvé lorsqu’il était dans l’opposition) a confirmé cette politique et il était en mesure d’arrêter le processus, même au prix de grosses dépenses (voir plus loin), comme il a voulu arrêter la TVA sociale décidée avant l’élection présidentielle, ou encore d’autres mesures économiques comme la défiscalisation des heures supplémentaires.

Par conséquent, si la majorité précédente est responsable de cette taxe, la majorité actuelle l’est tout aussi pleinement. Pour preuve, ce décret n°2013-618 signé le 11 juillet 2013 "relatif à la définition des véhicules assujettis à la taxe sur les véhicules de transport de marchandises", et également la définition des multiples taux de l’écotaxe présentée par le gouvernement en janvier 2013.

Comment ?

Pour éviter l’installation de milliers de postes de péages sur toutes les routes, qui auraient provoqué des embouteillages permanents un peu partout, le gouvernement a choisi le principe d’un télépéage obligatoire sans arrêt du véhicule nécessitant 173 portiques sur des routes deux fois deux voies et autoroutes non payantes et des milliers de bornes sur les routes à une seule voie.

Les véhicules concernés doivent s’équiper d’un petit boîtier GPS embarqué permettant sa géolocalisation satellitaire (ce boîtier est obligatoire). Les appareils installés sur les routes sont munis de trois capteurs : un laser pour déterminer si le véhicule entre ou pas dans l’application de l’écotaxe, un signal radio pour repérer le GPS du véhicule, et une caméra permettant de photographier les véhicules soumis à l’écotaxe non équipés du boîtier GPS (donc, en infraction, ce qui leur coûterait dans ce cas une amende de 750 euros).

Principales critiques

Si le principe de l’écotaxe est plutôt honorable, à savoir : réduire la pollution et faire payer la dégradation des infrastructures routières aux principaux responsables (y compris étrangers) et pas aux seuls contribuables nationaux, beaucoup de critiques ont été émises pour son application.
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La principale critique, à mon sens, c’est la capacité qu’auront l’État et la société concessionnaire du marché d’accumuler une masse énorme d’informations concernant non seulement la circulation des véhicules visés par l’écotaxe mais également de tous les autres, puisque toutes les plaques d’immatriculation seront lisibles par les milliers points du maillage national. Cela signifie que la liberté de circulation, l’une des plus grandes libertés dans une démocratie, sera désormais …surveillée. Aucune protection juridique durable n’est vraiment possible à partir du moment où la technique permet tout.

Par ailleurs, il est assez étonnant de vouloir décourager les transporteurs à prendre les routes quand il n’y a quasiment aucune offre de ferroutage performant. Vouloir investir la recette de l’écotaxe dans un réseau ferré de transport de marchandises est clairement s’y prendre à l’envers : pour donner le choix (donc, favoriser l’environnement), il faut que les transporteurs aient la possibilité de ne pas prendre la route.

D’autres critiques plus techniques sont également exprimées, notamment à l’occasion de la "révolte" des Bretons.

Ainsi, le cycle de production de certains produits alimentaires nécessite de nombreux allers et retours sur les routes, qui seront donc taxés plusieurs fois. À cela, on pourrait répondre qu’en limitant les délocalisations de certaines opérations, on limiterait également le paiement de l’écotaxe.

Autre point de contestation qui semble justifié, c’est la grande complexité du système, un peu dans la méthode Shadok (pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ?). On aurait pu imaginer par exemple de rajouter une taxe sur le gazole (certains y avaient pensé …en plus !) et de permettre aux véhicules légers diesel d’en être exonérés. A priori, la pollution est proportionnelle au nombre de litres de gazole consommés et (toujours a priori), le carburant est forcément acheté en France pour les longs trajets.

Concrètement, la survenue de cette écotaxe ne favorise évidemment pas l’économie nationale et l’handicape dans une conjoncture très morose à très faible croissance. La question est de savoir ce qui doit primer, l’emploi (comme le revendiquait le gouvernement) ou l’environnement, lorsque les deux volonté sont antagonistes : « Qu’il y ait à terme écotaxe ou pas, les incertitudes et les vicissitudes du dossier pèsent lourdement sur la vie des entreprises et pénalisent gravement leur économie. » (Nicolas Paulissen, délégué général de la Fédération national des transports routiers).
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De plus, c’est l’ensemble des consommateurs qui subira cette taxation puisque les transporteurs auront le droit de la reporter sur le prix de leurs prestations (principe voté par le Parlement le 24 avril 2013 et approuvé par le Conseil Constitutionnel le 23 mai 2013).

Quoi ?

Le montant de la taxe dépend de l’âge du véhicule, de son poids et de la distance parcourue. Entre 8,8 et 15,4 centimes d’euros seront ainsi prélevés chez le transporteur par kilomètre parcouru, avec des abattements prévus dans certaines régions (50% en Bretagne, 30% en Midi-Pyrénées et Aquitaine), qui répercuteront ce nouveau coût dans le prix de sa prestation (en moyenne, une majoration de 4,1% pour la part des coûts concernant le transport, soit environ 0,4% pour le produit final).

Que rapportera cette taxe et pour quel but ?

Selon les perspectives gouvernementales, elle devrait rapporter à l’État 1,15 milliard d’euros par an répartis ainsi : 150 millions d’euros reversés aux collectivités locales, 750 millions d’euros affectés à l’entretien du réseau routier et à la construction de voies ferrées et fluviales, et 250 millions d’euros comme redevance auprès de la société gérante des installations.

Qui ?

Les critères du choix de la société en charge de l’exploitation de l’écotaxe étaient la qualité technique du projet (pour 30%) et le coût global de l’offre (pour 25%), et le contrat sera applicable jusqu’en 2025.

C’est le 20 octobre 2011 que le marché de l’écotaxe a été officiellement confié à la société Écomouv qui a été créée spécialement dans ce but. Elle était en concurrence avec la société Alvia qui commercialise les trains à grande vitesse en Espagne (dont celui qui a déraillé près de la gare de Saint-Jacques-de-Compostelle le 24 juillet 2013 provoquant 78 morts et plus de 140 blessés), en association avec Siemens, la Sanef et Atos.
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Écomouv est une joint-venture contrôlée à 70% par Autostrade per l’Italia, la répartition du reste des actionnaires de cette SAS étant Thalès (11%), la SNCF (10%), SFR (6%) et Steria (3%), partenaires arrivés après le dépôt de l’offre d’Écomouv.

Autostrade per l’Italia est une filiale d’Atlantia qui gère plus de cinq mille kilomètres d’autoroutes en Italie, en Autriche, en Pologne, en Inde, au Brésil et au Chili. Atlantia, qui était une société publique jusqu’en 1999, est le premier groupe européen de construction et gestion d’autoroutes qui a inventé le système de télépéage sur autoroute (péage sans arrêt) et cette société de 4 milliards d’euros de CA appartient au groupe Benetton par sa holding Edizione qui détient 66,40% de Sintonia (Goldman Sachs en détient 9,98%), elle-même propriétaire à 46,41% d’Atlantia.
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Écomouv a donc été chargée il y a deux ans de la fabrication et de la distribution des boîtiers GPS pour les camions, de la fabrication et de l’installation des portiques et des bornes, de la réalisation des programmes informatiques, ainsi que de la gestion du système pendant onze ans.

Pour cela, Écomouv recevra une redevance de l’État de 250 millions d’euros par an et en cas de rupture de contrat, elle recevra de l’État un dédommagement de 800 millions d’euros pour la rembourser des frais des installations.

Cela signifie simplement que si le gouvernement décidait de supprimer purement et simplement l’écotaxe, cela coûterait à l’État 800 millions d’euros.

C’est hélas le problème récurrent de ces partenariats publics/privés (précisément "contrats de partenariat") régis par les ordonnances n°2004-559 et n°2004-566 du 17 juin 2004 et par la loi n°2009-179 du 17 février 2009, c’est justement les clauses en cas de rupture unilatérale du contrat.

Quelques incertitudes sur le choix d’Écomouv

Écomouv a en effet été désignée pour ce marché le 8 février 2011 mais la justice a suspendu la signature du contrat le 8 mars 2011 par une ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Cependant, le Conseil d’État a annulé cette décision le 24 juin 2011, ce qui a abouti à la signature d’un contrat de partenariat le 20 octobre 2011 et à la composition du capital d’Écomouv le 28 octobre 2011.

C’est pourquoi une information parlementaire sur le choix d’Écomouv peut être intéressante au regard des montants en jeu, d’autant plus que certains journaux commencent à s’interroger sur la pertinence du choix d’Écomouv, notamment en raison du rendement que la société Écomouv a obtenu, à savoir plus de 20% (250 millions sur 1,15 milliards d’euros de recettes) alors que les contrats de partenariat ne proposent en général qu’environ 3% de rendement ("Le Figaro" et "Le Parisien" du 2 novembre 2013).

Même le Ministre du Budget Bernard Cazeneuve parlait le 31 octobre 2013 d’un contrat « hasardeux » pour parler du contrat entre l’État et Écomouv signé le 20 octobre 2011 et qui avait obtenu l’accord de toute la classe politique, y compris le Parti socialiste, qui était au courant de ces "doutes" dès 2011 (le président de la Sanef, faisant partie du consortium non choisi, avait saisi dès 2011 le service central de prévention de la corruption du Ministère de la Justice).

En savoir plus …et décider !

Selon une source du journal "Le Parisien", si l’actuel gouvernement avait remis en cause le contrat dès 2012, le coût pour l’État n’aurait été que de 200 à 400 millions d’euros au lieu des 800 millions aujourd’hui, maintenant que l’ensemble du dispositif technique a été installé.

Voici donc une nouvelle occasion pour le Président de la République François Hollande de prendre une décision qui va demander de la subtilité technique et politique …dans un dossier où les électeurs, les contribuables et les consommateurs sont un peu atteints de tendance schizophrénique : en effet, le développement du commerce sur Internet a considérablement fait accroître la circulation des poids lourds, ainsi que la pollution qui en est la conséquence, ce qui inquiète les citoyens et sans doute les contribuables.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 novembre 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Cartographie de l’écotaxe (document à télécharger).
La politique de François Hollande.
La sécurité routière.
Communication gouvernementale sur l'écotaxe (site officiel).
yartiEcomouv05
http://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/ecomouv-le-marche-de-l-ecotaxe-143172




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