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Played (2013): la suffisance des séries canadiennes

Publié le 05 novembre 2013 par Jfcd @enseriestv

Played est une nouvelle série canadienne diffusée sur les ondes de CTV depuis le début du mois d’octobre. L’action se déroule à Toronto et on y suit une équipe d’agents secrets qui change de peau à chaque épisode afin de s’infiltrer dans différents milieux criminels. Ces policiers doivent faire preuve de beaucoup de persuasion puisqu’ils doivent parvenir à gagner la confiance de ceux qu’ils espionnent. Du créateur Dave Nelson (Rookie Blue (Global (2010- )), les enquêtes sont menées rondement et on apprécie chacun des membres de la brigade pour leur authenticité et leur ardeur au travail. Par contre,  l’ajout  d’une autre série policière dans une case horaire déjà pleine risque de jouer en sa défaveur et on peut s’insurger du fait que les créateurs canadiens nous offrent toujours le même genre d’émissions. La neutralité et la modestie de la série sont agaçantes si bien qu’à travers elle, on peut se demander si elle ne reflète pas l’identité anglophone du pays.

Played (2013): la suffisance des séries canadiennes

Crime, enquête, arrestation

Le pilote commence alors que John Moreland (Vincent Walsh) est recruté par la Covert Investigations Unit (CIU) afin d’infiltrer le monde du jeu où la mafia fait des affaires d’or. Cet ancien joueur pathologique a vu sa femme et sa fille se s’éloigner de lui alors qu’au travail, il a été suspendu plusieurs fois pour insubordination. Cet être meurtri mènera tout de même l’investigation à terme et parviendra à garder son sang-froid lorsque découvert, il sera menacé avec un fusil sur la tempe. Dans le deuxième épisode, c’est l’agente Maria Cortez (Lisa Marcos) qui doit s’introduire dans le monde de la prostitution afin d’arrêter un violeur et un tueur. Elle devra prendre son courage à deux mains puisqu’autrefois dans une mission similaire, un « client » l’avait battue et elle avait failli y laisser sa vie. Dans l’émission suivante, c’est Daniel Price (Dwain Murphy) qui ira jusqu’à séduire une femme afin de s’approcher de son petit ami qui est un voleur de banque. Il exécutera sa mission malgré les plaintes de son épouse qui menace de le quitter parce qu’elle en a plus qu’assez qu’il fasse passer son travail avant leur relation.

Chaque épisode est donc centré sur un membre de la brigade qui doit faire face à ses propres démons. Ce leitmotiv dans le scénario nous montre à la fois la vulnérabilité des policiers et les efforts supplémentaires qu’ils doivent fournir afin de mener les missions à bien. En entrevue, Nelson a d’ailleurs déclaré qu’il souhaitait mettre l’accent sur les personnages et non les enquêtes. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est de voir ces agents se métamorphoser et incarner quelqu’un d’autre et de voir jusqu’où ils iront pour recueillir les confidences de ceux qu’ils espionnent.  Ce point fort de la série ne parvient cependant pas à la rendre exceptionnelle pour autant. Avec la surabondance d’émissions policières, comment cela serait-il possible? Dans ce genre, la plupart du temps, ce n’est pas de savoir si les enquêteurs arrêteront le criminel, mais bien comment ils le feront? Played suit à la lettre cette ligne directrice. De plus, il faut mentionner que celle-ci est diffusée dans la case horaire de la défunte série Flashpoint (2008-2012). Cette dernière recueillait en moyenne 1,4 million de téléspectateurs au Canada, ce qui est énorme en termes d’audience pour le volet anglophone du pays. Sachant cela, on a l’impression que CTV, de peur de se faire voler une audience acquise à cette heure de grande écoute, a préféré ne pas sortir des sentiers battus et offrir aux téléspectateurs un contenu similaire, mais dénué de toute originalité.

Played (2013): la suffisance des séries canadiennes

Le Canada en queue de peloton

Dans un article fort intéressant du Globe & Mail, le critique John Doyle se demandait quelle était la « contribution » du Canada dans cet âge d’or de la télévision que nous connaissons actuellement. Des comédies provenant de chaînes généralistes américaines comme The Big Bang Theory, sont vendues dans plus d’une vingtaine de pays. Le câble tire aussi son épingle du jeu avec des titres comme Breaking Bad et Homeland. Un nouveau joueur qui offre de la vidéo sur demande, Netflix, connaît un succès monstre avec ses séries inédites comme House of Cards, Hemlock Grove ou Orange is the new black. Mais ce qui rend la télévision si passionnante ces jours-ci, c’est que de nouvelles émissions produites ailleurs dans le monde nous sont proposées. Pensons à Downton Abbey qui  vient d’Angleterre, aux Revenants de France ou encore à 100 % humains de Suède. Toutes ces séries sont d’une originalité incroyable et nous font connaître de nouveaux acteurs et horizons et surtout, n’ont rien à voir avec le genre policier.

Que fait le Canada pendant ce temps? Pas grand-chose. Pour en revenir à l’article de Boyle, celui-ci prend en exemple les dernières nouveautés du pays :« CTV’s Played is, like Global’s Rookie Blue and CBC’s Cracked, a cop show with an alleged “twist” that is meant to makes a series a little different from the common template. This is a ludicrously limited mindset, one born of laziness and indifference to originality.»  Pire encore, le critique cite Less Moonves, le grand patron de CBS, qui a affirmé que sa stratégie de programmation incluait d’ajouter des « cheap Canadian exports » pour combler des trous dans la grille horaire. Piètre constat…

Played (2013): la suffisance des séries canadiennes
Question de tourner le fer dans la plaie, les Canadiens raffolent des séries policières, mais pas des leurs: NCIS, Criminal Minds, The Blacklist et CSI se retrouvent régulièrement dans le top 15 des cotes d’écoute au pays[1] et sont toutes américaines. On se retrouve donc dans une impasse. Les producteurs canadiens copient (avec moins de moyens) ce qui se fait de mieux aux États-Unis, alors que l’audience du pays les ignore. C’est le jour et la nuit quand on compare à la situation au Québec, seule province à majorité francophone au pays. Toutes les émissions qui recueillent le plus haut taux de cotes d’écoute sont produites au Québec. Par exemple, la fiction Unité 9 de Radio-Canada est regardée chaque semaine par plus de 2 millions de téléspectateurs et si on compte les rediffusions sur tou.tv et la vidéo sur demande, on peut ajouter la moitié d’un million… C’est plus que 30% de la population de la province!  De tels résultats dans le reste du pays (liés a du contenu canadien) ne sont égalables que lorsqu’il s’agit de diffusions de parties de hockey.

Lorsqu’on produit des séries, deux choix s’imposent. Ou on en crée pour sa propre population avec des références bien « locales », ou on privilégie une certaine neutralité dans le contenu. Le Québec penche souvent pour la première option (ce qui explique le succès « provincial »), mais l’inconvénient est qu’elles s’exportent mal à l’étranger, même en France dû à l’obstacle de l’accent. Dans ce cas-ci, c’est en en faisant des adaptations que ces séries s’assurent une certaine pérennité.  Pensons par exemple à Un gars une fille, Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Les Bougons, Les Invincibles et plus récemment le film Starbuck. L’adaptation américaine s’intitule The Delivery Man et en France, c’est Fonzy. En revanche, les séries du Canada anglais s’exportent mieux telles quelles. La liste est assez exhaustive, mais pensons entre autres aux Enquêtes Murdoch (Murdoch Mysteries) ou encore Republic of Doyle. Ces séries sont divertissantes, mais de là à marquer les esprits ou encore se tailler une place au panthéon de la télévision, il y a un pas de géant.

Played (2013): la suffisance des séries canadiennes

Played pourra tout de même se faire une certaine niche d’adeptes.  Bon jeu d’acteur, intrigues diversifiées qui se tiennent; on mise davantage sur la personnalité des agents secrets et des épreuves qu’ils ont dû traverser quand il est temps pour eux de d’infiltrer divers univers criminels. Cependant, la série est trop neutre pour remporter un succès local (tout ce qu’elle a de « Canadien », ce sont quelques prises de vue où l’on voit la tour du CN en arrière-plan). C’est surtout dommage que l’industrie ne parvienne pas à se tailler une place marquante à l’international, mais en même temps, les derniers exemples nous prouvent qu’elle n’essaie pas. Si on ajoute à cela le fait qu’à chaque fois qu’un acteur ou d’un réalisateur se démarque, il est recruté par les États-Unis, l’univers télévisuel canadien fait figure de parent pauvre en cette matière.


[1] Semaine du 30 sept. au 6 oct. 2013, Données BBM disponibles sur tvqc.com



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