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Ecoles en colère

Publié le 07 mai 2008 par Cherryplum

Mardi 29 avril, en Ille et Vilaine, 50% des écoles étaient fermées suite à l'appel à la grève lancé par tous les syndicats représentés sur le département à savoir le SNUipp, le SGEN-CFDT, le SE-UNSA et  le SNUDI-FO.

En effet, la situation dans le département est inédite : pour la seule période septembre 2007 - février 2008, on compte 3157 jours d'absence non remplacés, c'est à dire des enfants ballotés d'une classe à l'autre qui font de la garderie sur le temps scolaire et viennent surcharger des  classes souvent déjà trop nombreuses en temps normal. Cela est la conséquence logique des 88 suppressions de poste. Pour pallier à cette situation déplorable, Monsieur l'Inspecteur d'Académie vient de faire appel à des retraités. Cela est particulièrement choquant dans le contexte actuel où le nombre de jeunes chômeurs est en augmentation constante.... tant pis pour les jeunes, hein ?

Par ailleurs, les enseignants s'interrogent fortement, et c'est peu de le dire, sur la « consultation nationale » qui vient de leur être imposée suite à la publication des nouveaux programmes. Nul n'est contre le fait de donner son avis, bien au contraire, mais avant même que les équipes éducatives n'aient eu le temps de se concerter pour rendre leurs conclusions à leur hiérarchie, des manuels tenant compte de ces nouveaux programmes parvenaient dans les écoles ! De plus, les réponses demandées étaient si détaillées et le temps prévu par le gouvernement pour les dépouiller afin de les faire remonter si court qu'on se demande bien ce qui va pouvoir être fait de ces réflexions. On se doute bien que quelques phrases par-ci par-là vont être sorties de leur contexte pour faire dire aux enseignants qu'ils sont d'accords...

En ce qui concerne les programmes eux-mêmes, ils mobilisent actuellement la communauté éducative qui s'inquiète fortement. Il est d'ailleurs intéressant de rappeler que dans un article publié dans le Nouvel Observateur messieurs Jack Lang et Luc Ferry, anciens ministres de l'Education Nationale et de la Recherche, politiquement opposés, s'accordent pour dénoncer ces nouveaux programmes. Une pétition, lancée par 19 organisations  syndicales, mouvements pédagogiques et d’éducation populaire, anciens responsables de l’éducation nationale, chercheurs, parents d’élèves, rappelle que ces programmes sont « marqués par l’inadaptation des contenus, par un affaiblissement de leur dimension culturelle et par une conception mécaniste des apprentissages »

Quelques exemples parmi d'autres :

  • en mathématiques, on va favoriser l'acquisition de techniques opératoires au détriment de la compréhension. Ainsi, on demandera à un élève de CP de poser une soustraction... sans se soucier de savoir s'il a bien compris son utilité ! Par ailleurs, on diminue les horaires. En fin de CM2, on exigera des compétences actuellement demandées en 5ième...

  • en français, de la même façon, les élèves seront amenés à devoir maîtriser des temps de conjugaisons fort peu employés et ne travailleront que peu leur capacité à comprendre finement un texte par exemple, pour devenir des citoyens engagés. On exigera d'eux qu'ils écrivent parfaitement du point de vue de l'orthographe un texte de 10 lignes mais pas qu'ils puissent exprimer un point de vue, discuter ... en bref, le français devient une collection d'activités disjointes, privilégiant les exercices mécaniques au détriment de celles qui demandent des efforts, de la réflexion, de l'intelligence.

  • l'âge de l'apprentissage de la lecture serait quasiment avancé d'un an alors que les recherches actuelles en matière de didactique de l'enseignement montrent toutes clairement que la majorité des enfants n'a pas la maturité nécessaire pour aborder si tôt ces apprentissages.

  • un changement de philosophie dans l'enseignement de l'éducation physique et sportive, l'accent est mis dans le fait de marquer des points et de battre son adversaire, non dans le fait de progresser ou de participer

  • des évaluations qui changent de rôle : utilisée jusqu'alors pour repérer les difficultés des élèves et y remédier, elles serviront désormais à valider l'acquisition de compétences. Rendues publiques elles mettront les écoles en concurrence... dans une logique toute libérale.

  • Et bien sûr, le retour de la morale à l'école, l'apprentissage de la Marseillaise (indispensable pour faire un bon citoyen) et le vouvoiement des professeurs... Voilà qui suffira à éradiquer la violence des écoles, c'est certain.

Alors que notre école maternelle fonctionne bien et que toute l'Europe nous l'envie, on peut craindre, à la lecture de ces programmes, à moyen ou à long terme, à sa suppression pure et simple. Envisagée dès l'année prochaine uniquement sous l'angle de la préparation à l'école élémentaire en ignorant l'accueil et tout ce qui fait la spécificité des tous petits, elle change en tout cas de visage. Le domaine « vivre ensemble » est remplacé par « devenir élève » ce qui en dit long... D'ores et déjà, dans les faits, les enfants de deux ans ne sont plus acceptés dans la plupart des écoles publiques du département et ils disparaissent des futurs programmes.

Parallélement à ces programmes, le gouvernement a lancé a grand renfort d'annonces plusieurs mesures pour réduire l'échec scolaire. (15% de la population qui quitte l'Education Nationale sans diplôme)

Parmi ces mesures notons surtout l'organisation de stages pendant les vacances d'avril, juillet et août... à raison de 3h par jour pendant 5 jours par groupes de 6 élèves, dans le but prétendument affiché de permettre à des familles aux revenus modestes de pouvoir faire bénéficier leurs enfants du soutien scolaire gratuit. D'une part, les enfants en grande difficulté ne peuvent pas bénéficier de cette aide car elle est inadaptée. Ceux-ci ont besoin d'aides conjointes de différents spécialistes, psychologues, psychomotriciens, éducateurs... Les enseignants proposent donc uniquement des enfants ayant de petites difficultés : l'objectif ne peut donc être atteint de cette façon. D'autre part, les enfants, surtout ceux pour qui l'école est déjà difficile ont besoin de vacances. Qui peut être assez naïf pour croire que faire travailler un enfant alors que ses copains s'amusent va lui donner le goût de l'effort et lui faire « rattraper » ce qu'il n'a pas assimilé ? De toute façon, ce n'est pas en quelques heures qu'on rattrape des années parfois de difficultés, surtout que ces stages sont proposés au niveau du CM...

Nous nous étonnons de la rémunération importante des enseignants pour ces stages : 23,58€ de l'heure, défiscalisées, dont 3 heures de formation payées au même tarif! Si l'Education Nationale est si riche, ne peut-on pas embaucher plus pour alléger les classes afin que les enseignants puissent aider les enfants en difficulté de façon plus efficace, payer des remplaçants, financer correctement les réseaux d'aide et laisser tranquille les enseignants en retraite ? De plus, la précipitation dans laquelle ces mesures ont été mises en place et l'absence de concertation de tous les partenaires font que toutes les modalités d'organisation de ces stages n'ont pas du tout été pensées. Qui va chercher les enfants le midi quand les parents travaillent ? Qui est responsable des locaux ? Autant de questions sans réponse actuellement...

Nous craignons que cette solution soit estimée suffisante par l'Education Nationale et que pour récupérer des postes les enseignants spécialisés (le fameux RASED) qui interviennent sur le temps scolaire à la demande des parents et/ou des enseignants pour des petits groupes d'enfants avec des difficultés variées (comportement ou spécifique à des disciplines) soient supprimées. Ils ont déjà des difficultés de fonctionnement – frais de déplacement insuffisamment remboursés, actions limitées aux GS-CP-CE1 en Ille et Vilaine, nombre restreint...

Quoi qu'il en soit, il est évident qu'il vaut toujours mieux agir en amont. Des études ont été faites qui prouvent ce dont n'importe quel professeur des écoles peut témoigner, à savoir que le nombre d'enfant par classe a des incidences sur les résultats scolaires et au delà sur l'ambiance de classe. Or ces études n'ont bien sûr reçu aucune publicité. En CP, par exemple, il est possible de faire lire chaque enfant individuellement à 18, difficile à 25 et impossible au delà. Pourquoi ne pas donner les moyens aux enseignants de tout faire pour éviter la difficulté scolaire au moment où elle se manifeste ?

D'après le site officiel de l'Education Nationale, Eduscol, la moyenne dans le primaire est de 23,47 enfant par classe en 2007. En Ille et Vilaine ces chiffres sont probablement beaucoup plus élevés... mais introuvables (malgré nos demandes répétées à notre inspecteur d'Académie). A ce propos, il nous semble important de rappeler que les chiffres sont manipulables à l'envi. Quand tel ministre se vante du faible ratio élève/enseignant, il compte bien sûr les enseignants en poste, il compte ceux qui sont déchargeants (c'est à dire qu'ils complètent les temps partiels ou les décharges de directions), ceux qui sont remplaçants, les membres des réseaux d'aide... mais aussi tous ceux qui sont en congé pour maladie, maternité et même en disponibilité)! Pratique! Et ça permet de dire qu'en France on compte un prof pour 11 élèves.

Nous sommes dans des logiques de fonctionnement qui ignorent totalement l'humain pour des intérêts économiques. A terme, c'est rien de moins que la suppression de l'école publique qui est en chantier. Nous allons, malgré nous, vers une libéralisation de l'éducation. Tout doit pouvoir se vendre et s'acheter, or, jusqu'à présent, si l'éducation n'a pas de prix, elle a un coût... et ne rapporte rien ! Les gens étant à l'heure actuelle plutôt satisfait de leurs services publiques, il va falloir beaucoup d'effort de casse pour qu'ils finissent par s'en détourner complètement pour aller vers l'enseignement privé... Mais on y arrive,  petit à petit, on y arrive...

Bon, j'ai essayé de faire simple et synthétique sur un sujet complexe et technique... N'hésitez pas à poser des questions...


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