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9 signes qu’un reportage sur l’Afrique alimente les préjugés

Publié le 11 novembre 2013 par Cassandria @cassandriablog

traduction de cet article, rédigé par Imran Garda pour "Africa is a country", publié le 18 octobre 2013

Vous avez sans doute déjà compris que ces images de ventres gonflés sous des côtes saillantes, celles de mouches collantes posées sur les sourcils et les lèvres de l’enfant mourant de faim et ces vues panoramiques sur les camps de réfugiés ne sont pas l’alpha et l’oméga de l’ensemble de l’Afrique. Tout comme ces références obscures à l’Afrique, suggérant que c’est un monolithe – bloc d’un seul morceau – ou pire encore, un pays. Vous avez peut être accepté que toutes ces images, dont une partie correspond à certains endroits, ne fournissent pas un portrait complet. Un portrait qui, s’il était authentique, pourrait refléter la diversité de peuples et d’idées du continent, avec des modes de vie variés (dont une terrible pauvreté et des inégalités sociales incroyables) ou encore un potentiel infini, l’image d’un mélange éclectique de bonnes et de mauvaises choses.

Outre les mouches, les gros ventres et le continent tel un bloc uniforme, voici quelques signes révélateurs de tentatives simplistes et souvent pathétiques de couvrir l’Afrique en reportage. Si vous avez l’impression que l’un d’entre eux – ou plus – est présent, que ce soit en direct ou dans une émission, vous n’avez sans doute pas trouvé la source d’information la plus fiable.

1. L’obscurité, l’obscurité partout

Si l’Afrique vous est décrite comme le «continent noir», que l’on vous dit que l’Afrique a une «sombre histoire», surtout si vous entendez des références à la Conrad du genre «au cœur des ténèbres», il se peut que le journaliste s’inspire lourdement d’un livre de fiction écrit en 1902 et il est peu probable qu’il ait parlé à beaucoup de monde sur le terrain. Aussi, tout cette «sombritude» «assombrit» cette tentative, qui prend une consonance un peu raciste.

2. Couchers de soleil africains, African Skies

C’est seulement en Afrique que les reportages prennent un ton lyrique à propos de l’or dans les levers de soleil, des couchers de soleil semblables à de la lave en fusion, ou de l’Azur du ciel… Je peux vous rassurer : le soleil en Afrique est le même soleil que dans le reste du monde. Le ciel est exactement le même ciel aussi. Les arbres sont des "arbres" en Afrique, et pas des "arbres africains". « Les panaches de fumée montaient, étouffant le ciel japonais de Fukushima» : si cela semble ridicule, c’est parce que ça l’est – et c’est le cas aussi pour l’Afrique.

3. Ils ont besoin d’une raison pour s’entre-tuer ?

Bill Maher a récemment interviewé le chef du bureau Afrique de l’Est du New York Times, Jeffrey Gettleman. Pendant son émission, Maher a demandé pourquoi il semble "qu’en Afrique … [il y a] des guerres sans raison apparente … juste pour voir". Gettleman a ensuite indiqué que le chef rebelle de la LRA, Joseph Kony, pourrait entrer dans cette catégorie car il ne peut pas être acheté, on ne peut négocier avec lui et il ne suit aucune idéologie. J’ai trouvé cela curieux : Kony s’annonce lui-même comme un messie et a nommé son organisation "l’Armée de résistance du Seigneur", mais cela n’est pas suffisant pour la définition d’une idéologie selon Gettleman. On se croirait en train de regarder cette scène de Batman – The Dark Knight où Alfred (Michael Caine) tente d’expliquer la personnalité du psychopathe le Joker à Bruce Wayne en utilisant l’exemple des bandits de Birmanie. Oubliez l’ampleur du contexte qui a permis l’ascension de Kony, dont les atrocités contre les civils du district d’Acholi dans le nord de l’Ouganda par les rebelles et le gouvernement, ce depuis 1986. Cela peut sembler surprenant, mais non – les guerres ne sont pas déclenchés ‘juste pour voir’, en Afrique. Comme partout ailleurs, ces événements ont un contexte. Le colonialisme était bien réel. Tout comme l’apartheid. Ces phénomènes, imposés de l’extérieur, ont eu un effet durable sur tous les niveaux de la société, du Maroc au Soudan, au Ghana ou en Afrique du Sud. Ce continent ne peut pas être expliqué avec précision sans prendre en compte cet héritage. Tout travail de journalisme qui l’ignore – n’est pas digne de confiance. Nous nous souvenons de la Guerre civile américaine, de la Révolution russe, de la Seconde Guerre mondiale, de l’Holocauste – et nous en tenons compte dans la façon dont ils affectent les réalités en occident aujourd’hui. L’histoire de l’Afrique n’est pas différente.

4. Ils parlent anglais ?

Le colonialisme a introduit les langues européennes en Afrique. Tout reportage qui semble s’étonner, même un tout petit peu, que cet Angolais parle couramment le portugais, ou que cet Ivoirien parle couramment le français, ou encore de ce Zimbabwéen qui parle un anglais parfait – devrait être raillé.

5. Je ne les comprends pas

Lorsque vous tombez sur un bulletin de nouvelles avec l’entrevue d’un Africain, anglophone (francophone pour la traduction de l’article…), dont le discours est systématiquement sous-titré, demandez-vous pourquoi les ouvriers avec un fort accent de Glasgow, les manifestants à Belfast, ou même le premier ministre australien Tony Abbott ne sont pas sous-titrés eux aussi.

6. Tous les dictateurs sont égaux, mais certains dictateurs sont plus égaux que d’autres

Sans se poser de questions, l’utilisation des termes «République de bananes» ou «dictateur de pacotille» prend énormément de place quand les journalistes parlent de l’Afrique au grand public. Non pas qu’il n’y en ait pas beaucoup, il y en a beaucoup trop – mais si un média d’information se met à appeler un dictateur un dictateur – il devrait le faire pour tous les dictateurs. Demandez-vous combien de fois votre source de nouvelles a utilisé le mot commençant par "d" pour qualifier ces monarques absolus, les rois du Golfe et du pétrole, alliés des Américains et des Européens ? Si les termes polis comme «homme fort», «pragmatique» ou «réformateur d’une société traditionnelle» peuvent s’appliquer à eux, ils peuvent aussi l’être aux dirigeants africains.

7. Pas de nids de poule – c’est un miracle !

Le Rwanda a vécu beaucoup de choses. C’est une nation qui a fait de grands progrès sur plusieurs fronts, notamment au niveau économique. Alors la prochaine fois que vous lirez quelque chose à propos de l’absence de nids de poule dans Kigali et de ce miracle qui rend l’existence des routes et des buildings tellement incroyable, si peu de temps après le génocide, posez vous la question : Qu’est-ce que les nids de poule ont à voir avec le fait de frapper quelqu’un à mort avec une machette ? L’Allemagne nazie s’appuyait sur une forte infrastructure routière et avait probablement zéro nids de poule. Les Tibétains ont peu de routes, chacune comptant probablement beaucoup de nids de poule. Et ce sont certainement les gens les plus violents que vous rencontrerez jamais…

8. Regardez, ils chantent et dansent !

Si un reportage politique consacre une partie substantielle de son contenu aux danses tribales et au "rythme de la musique africaine" – méfiez-vous. Vous ne voudriez pas avoir un aperçu des boîtes de nuit et de la "musique américaine rythmique" à Adams Morgan (quartier culturel à Washington) quand on est censé aborder le débat entre Démocrates et Républicains sur le budget américain. Tout comme le ciel est simplement le ciel en Afrique et non pas le ciel africain, la musique est seulement la musique en Afrique et non la "musique africaine". Et si la musique n’était pas rythmée, ce ne serait probablement pas de la musique.

9. Que pensez-vous Obama ?

Si j’avais reçu un dollar à chaque fois que j’ai vu ou lu un journaliste occidental demandant à chaque Africain qu’il rencontre ce qu’il pense de Barack Obama (vous savez, parce qu’il est noir et ils le sont aussi), j’utiliserais cette somme pour me rendre au Kosovo ou en Lettonie : là-bas, je demanderais aux gens ce qu’ils pensent de Mitt Romney, vous savez, parce qu’il est blanc et qu’ils le sont aussi.


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