Esclaves et domestiques
Le premier cas d’esclavage documenté en Nouvelle-France est celui d’un jeune noir ayant «appartenu» à des Anglais et «acheté» par Guillaume Couillard. En 1709, une ordonnance légalise l’esclavage. Les deux tiers des esclaves sont des Amérindiens, tandis que les Noirs forment l’autre tiers (soit 1400 sur une période d’un siècle) travaillant surtout comme domestiques.
On connaît maintenant le cas tragique de la jeune domestique Marie-Joseph-Angélique, pendue près de la Pointe-à-Callière, après avoir prétendument allumé un feu qui brûla la moitié de Montréal. Elle aurait réagi ainsi après que sa maîtresse l’ait empêché de marier celui qu’elle aimait.
L’esclavage continue sous le régime anglais. On annonce même la vente d’esclaves dans la Gazette de Québec. La première marche contre l’esclavage a lieu à Montréal en 1793, mais son abolition officielle ne se fait qu’en 1833. Les Noirs libérés se mêlent alors à la population, se mariant à des Amérindiens ou des Français.
Il existe maintenant une rue Mathieu-Da-Costa à Québec et une autre à Montréal, dans le quartier Pointe-aux-Trembles. On a aussi inauguré, en février 2012, une place Marie-Josèphe-Angélique à côté du métro Champ-de-Mars, à proximité du Vieux-Montréal.
Chemin de fer et jazz
La révolution industrielle amène de grands changements à Montréal. Le canal Lachine est creusé en 1825, le rail apparaît autour de 1850, le pont Victoria en 1860, tandis que les usines se multiplient, attirant beaucoup de travailleurs.
Le chemin de fer est le principal employeur des Noirs qui s’installent à proximité des gares, dans Saint-Henri et la future Petite-Bourgogne. Ils travaillent d’abord à sa construction pour ensuite devenir «porteurs», une appellation qui inclue les postes de service à l’intérieur des trains. L’habitude de réserver ces postes à des Noirs vient des compagnies américaines. Cette tradition sera encore bien vivante chez nous jusqu’à la fin des années 1950.
Mais les Noirs de Montréal se font surtout connaître par la musique. Dès l’ouverture du Rockhead’s Paradise en 1928, le jazz de Montréal attire des amateurs de partout, bien avant l’actuel Festival de jazz. Les célèbres Oscar Peterson et Oliver Jones sont tous deux des «petits gars de Saint-Henri».
Vie militaire
On remarque la participation de la communauté noire à la vie militaire au Canada dès la guerre de 1812 contre les États-Unis, durant laquelle la Company of Coloured Men combat dans la région des Grands Lacs. Durant la Première Guerre mondiale (1914-1918), on voit même un Canada’s Black Battalion basé en France.
Ils sont aussi nombreux à vouloir s’engager pour la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), à cause de la crise économique et du chômage, mais la discrimination est encore très présente. À certains endroits, on affiche même: «Negroes need not apply», ce qui change tout de même à partir de 1941, autant au Canada qu’aux États-Unis.
Jusqu’au début des années 1950, les Noirs ne peuvent être servis dans certains établissements de Montréal. D’un autre côté, les Canadiens français sont aussi mal accueillis dans certains restaurants et commerces de l’ouest montréalais où ils sont obligés de parler anglais, et cela, jusqu’à la fin des années 1960.
Immigration noire
De 1900 à 1930, la communauté noire de Montréal est formée en grande partie d’Américains travaillant pour le chemin de fer et de domestiques antillaises, les vieilles familles noires canadiennes ne représentant pas plus de 10% de leur communauté.
Pendant longtemps, le gouvernement canadien décourage l’immigration noire. Jusqu’à l’instauration d’une politique non discriminatoire en 1967, qui favorise une entrée massive d’Antillais à Montréal. En 1967, il s’y trouve aussi 3000 étudiants Noirs provenant du tiers-monde.
De 1963 à 1972 arrivent 3539 professionnels haïtiens, des «exilés politiques volontaires», qui travaillent pour la plupart comme professeurs, médecins, infirmières, etc. Une proportion moins importante est due à l’immigration d’Américains voulant échapper aux préjugés du sud ou au service militaire.
Une deuxième vague d’immigration haïtienne, à partir de 1968, place ce groupe culturel au premier rang de la communauté noire de Montréal.
Contrairement à la première, cette deuxième vague est surtout composée de travailleurs peu ou pas spécialisés.
Les Antillais forment la moitié de la communauté noire anglophone. Tandis qu’une immigration africaine, moins importante, s’est ajoutée, autant anglophone que francophone, dont les représentants sont en général très instruits ou riches.
Depuis longtemps, les communautés noires ne sont plus limitées à leurs anciens quartiers. Elles se sont déplacées dans tous les quartiers de Montréal, mais aussi sur la Rive-Sud et sur la Rive-Nord.
Éloge de l’autre, TAHAR BEN JELLOUN
«Celui qui marche d’un pas lent dans la rue de l’exil
C’est toi
C’est moi
Regarde-le bien, ce n’est qu’un homme
Qu’importe le temps, la ressemblance, le sourire au bout des larmes
L’étranger a toujours un ciel froissé au fond des yeux
Aucun arbre arraché
Ne donne l’ombre qu’il faut
Ni le fruit qu’on attend
La solitude n’est pas un métier
Ni un déjeuner sur l’herbe
Une coquetterie de bohémiens
Demander l’asile est une offense
Une blessure avalée avec l’espoir qu’un jour
On s’étonnera d’être heureux ici ou là-bas.»
(Que la blessure se ferme, poèmes, Gallimard, 2012)
Biographie
Français d’origine marocaine, Tahar Ben Jelloun est surtout connu comme romancier. Mais il a aussi publié de nombreux essais, ainsi que de la poésie. Il faut aussi souligner deux de ses petits livres destinés à la jeunesse, dont le thème convient bien à notre dossier. Ce sont
Le racisme expliqué à ma fille (1998 et 2009) et L’islam expliqué aux enfants (2002 et 2012). Deux excellentes publications.
Un Noir à Québec au 18e siècle
Le plus grand roman québécois du 19e siècle, Les Anciens Canadiens (1863), par Philippe Aubert de Gaspé père, était jadis au programme de nos écoles secondaires. Ce n’est peut-être pas très frappant, mais on peut tomber par hasard sur une note vers la fin du livre où il est question d’un Noir vivant à Québec au 18e siècle: «À mon arrivée à Québec, vers l’âge de 9 ans [en 1795], pour aller à l’école, on semblait regretter un bon bourreau nommé Bob; c’était un nègre dont tout le monde semblait faire des éloges. Cet Éthiopien aurait dû inspirer l’horreur qu’on éprouve pour les gens de son métier; mais tout au contraire, Bob entrait dans les maisons comme les autres citoyens, jouissait d’un caractère d’honnêteté à toute épreuve, faisait les commissions, et tout le monde l’aimait. Il y avait, autant que je puis me souvenir, quelque chose de bien touchant dans l’histoire de Bob: il était victime de la fatalité, qui l’avait fait exécuteur des hautes œuvres à son corps défendant. Il versait des larmes quand il s’acquittait de sa cruelle besogne.»
La présence des Noirs dans la société québécoise d’hier et d’aujourd’hui, Gouvernement du Québec, 1995. Dorothy W. Williams, Les Noirs à Montréal (Blacks in Montreal: 1628-1986), VLB Éditeur, 1998.
Références, voir aussi:
Denyse Beaugrand-Champagne, Le procès de Marie-Josèphe Angélique, Libre Expression, 2004, 295 p.
Paul Fehmiu Brown, Marie-Josèphe-Angélique, 21 juin 1734, Saint-Léonard, Éditions 5 continents, 1998, 122 p.
Les Mains noires, réalisation Tetchena Bellange, scénario Bianca Bellange et Tetchena Bellange, documentaire, 52 minutes, 2010.
Angélique, réalisation Michael Jarvis, scénario Peter Farbridge, court-métrage (en anglais), 22 minutes, 1999.