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La vitalité éditoriale dans la Caraïbe

Publié le 15 novembre 2013 par Aicasc @aica_sc
La vitalité éditoriale dans la Caraïbe  page 1 et Page 4

La vitalité éditoriale dans la Caraïbe
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Arte por excelencias n°15

Arte por excelencias n°15

LA VITALITE ÉDITORIALE DE LA CARAÏBE

Avoir une vision panoramique et précise des publications caribéennes relatives aux arts plastiques  n’est pas aisé car  la circulation de la presse est déficiente entre les îles de  la Caraïbe, sans doute en raison des  barrières linguistiques. Les magazines dépassent rarement les frontières de leur zone linguistique et parfois même de leur île. Combien de lecteurs de Small Axe en Martinique ?  Combien de lecteurs d’Artheme ou d’Artes en Santo Domingo à Barbade ? Cependant y participe aussi sans aucun doute l’absence de messagerie  de presse caribéenne susceptible d’assurer l’acheminement des journaux et périodiques vers les grossistes et détaillants de l’archipel. Il manque encore aujourd’hui un professionnel assurant la vente au numéro de titres de presse dans le cadre d’un réseau de distribution organisé selon les trois  niveaux d’opérations , à savoir la réception, le tri et la répartition des titres de presse auprès de dépositaires puis  la répartition des journaux dans une zone de chalandise auprès des diffuseurs de presse ou détaillants . Enfin, la vente de la presse au consommateur final par les détaillants, kiosques, enseignes culturelles, rayons intégrés dans les hyper et supermarchés, stations-services, bars. Ne serait – ce que dans les départements français des Amériques, Martinique, Guadeloupe, Guyane, assurer la distribution d’Artheme exigeait une convention particulière avec chacun des trois distributeurs de ces îles : Sodipresse, Guadeloupe Diffusion Presse, Messageries guyanaises de presse  sans oublier une quatrième messagerie, Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne pour diffuser dans l’Hexagone. Pour irriguer le réseau marchand, avoir une large visibilité et conquérir de nouveaux lecteurs, un tirage en dizaine de milliers d’exemplaires est nécessaire, donc un investissement lourd. La question de la distribution reste au cœur de la problématique du rayonnement des revues d’art de la Caraïbe. Certaines d’entre elles bénéficient d’une diffusion élargie et efficace. Ainsi les deux magazines cubains, Arte Sur et Arte por excelencias, commercialisés respectivement par le Fondo Cultural del ALBA et par Arte por excelencias. En effet le Fondo cultural del ALBA, domicilié à Caracas (Vénézuela) impulse les projets culturels de l’Alianza Bolivariana para los pueblos de nostra America qui comprend de nombreux états membres : Venezuela, Cuba, Bolivie, Nicaragua, Dominique, Equateur, Saint – Vincent, Antigua. Arte por excelencias est une entreprise internationale dont le siège est à Madrid (Espagne)  et qui développe des activités liées au tourisme, à l’édition, la communication, les nouvelles technologies. Les autres périodiques comme Small axe ou Arc Magazine s’appuient davantage sur la vente par abonnements.

Ce  premier inventaire, qui méritera incontestablement d’être complété et amendé, tente de  dépasser cette perception  parcellaire de la presse spécialisée dans le domaine de l’art actuel de la Caraïbe et d’en dégager quelques caractéristiques générales.

The Caribbean Architect

The Caribbean Architect

Au sein de ce corpus, encore ouvert, d’une vingtaine de titres, figurent aussi bien le feuillet éphémère diffusé dans le milieu corporatif (RA, Papay) que  la revue mieux structurée bien diffusée dans l’archipel (ARC Magazine, Small axe qui traite de l’art actuel de la Caraïbe mais propose un spectre élargi à la littérature, l’histoire et l’anthropologie). Il existe bien d’autres titres, plus généralistes qui pour cette raison, n’ont pas été intégrés : Caribbean review of books, Caribbean Beat, Caribbean Studies. Certains comme Callaloo, Anthurium, Wasafiri or Nka aux Etats Unis  ou Atlántica en Espagne consacrent souvent une large place aux arts plastiques. D’autres comme Plástica,  Orificio, Art premium n’existent plus. Du reste, la principale difficulté de cette étude réside dans la définition précise du corpus. Pourquoi Small Axe et pas Calabash, ouverts tous deux à la littérature, aux arts, à la sociologie ? Pourquoi Artes en Santo Domingo et pas Art Premium qui ne paraissent plus ni l’un ni l’autre. Recherches en esthétique n’est-elle pas trop centrée sur la Guadeloupe et la Martinique au détriment d’une ouverture suffisante à la Caraïbe ?

La seconde, c’est le recueil extrêmement difficile des informations précises et complètes. Il est souvent impossible de retrouver la trace des responsables de certaines parutions.

Cultura hors série 1998 Haïti

Cultura hors série 1998
Haïti

 

Des éditeurs militants

Qui sont donc les éditeurs – publishers  des magazines dédiés à l’art dans la Caraïbe ?

Des universités :  la Duke University (Small Axe), le CEREAP ( Recherches en esthétique) ;

Des institutions : le Consejo Nacional de las artes plasticas ( Arte Cubano et Arte Sur), La Casa de las Americas ;

Des entreprises locales : Umbrales de arte en République Dominicaine ( Artes en Santo Domingo) , Sassman Publishing Co Ltd (The caribbean architect) , Arc Magazine pour la revue éponyme.

Ou encore des entreprises internationales : El groupo excelencias, domicilié(e) à Madrid (Espagne),  membre de la Caribean tourism organization, proche de l’UNESCO et représenté(e) dans de nombreux pays.(Arte por excelencias) .

De petites associations bénévoles se lancent aussi dans l’aventure de l’édition( Papay, RA, Artheme).

Peut – on raisonnablement comparer la production journalistique d’équipes structurées salariées à plein temps et celle de rédacteurs volontaires et bénévoles ? Quel serait le paysage éditorial caribéen si l’on ne comptabilisait que les publications commerciales rentables conçues par des professionnels de l’édition ?

Il est aussi intéressant de se demander si l’initiative de la  publication naît ou non dans la Caraïbe ? Exceptés Small Axe et Caribintransit, édités aux États-Unis mais par des acteurs culturels de la diaspora, ces périodiques  émanent de la Caraïbe. Les publications sont- elles harmonieusement réparties dans l’archipel ou y a – t- il des régions dont l’activité éditoriale est plus développée ? A l’évidence, c’est à Cuba que l’activité éditoriale est la plus intense  et dans toutes les disciplines, notamment grâce à l’implication de la Casa de las americas qui a d’ailleurs tenu la Première Rencontre Internationale des Revues Caribéennes en 2009. Dans les années 2000, la République dominicaine n’imprimait pas moins de quatre parutions : Arte en Santo Domingo, Contemporania, Artep, Cariforum mais ces titres  ont tous aujourd’hui disparu.

Contemporania n°13 2003

Contemporania n°13
2003

Des tirages limités

Comme chacun sait l’impression d’un magazine de qualité largement illustré reste onéreuse. Aussi le plus souvent, l’impression n’est pas réalisée dans la Caraïbe mais en Islande pour Arc Magazine, en Colombie pour Arte por excelencias, en Espagne pour Arte Sur et Arte Cubano.

A l’exception des revues cubaines et dominicaines dont le tirage atteint  cinq mille exemplaires, le tirage est limité généralement à mille exemplaires. C’est que les revues hispanophones bénéficient d’un lectorat potentiel de plus de vingt-cinq millions d’hispanophones dans la Caraïbe  qui s’adossent aux trois cent soixante-cinq millions d’habitants du continent latino-américain. Les publications francophones ou anglophones de la Caraïbe ne sont pas dans la même configuration. L’une des plus anciennes et des plus prestigieuses, Small Axe, ne tire qu’à cinq cents exemplaires. Caribintransit se contente de vingt-cinq exemplaires et diffuse sur internet. De plus en plus, les revues cumulent impression et diffusion sur internet : Arc Magazine, Small Axe, Caribintransit. D’ailleurs, pour accroître leur lectorat potentiel, plusieurs périodiques proposent des articles rédigés en trois langues. Ainsi The Caribbean architect, Cariforum. Arte Sur, Arte por excelencias, Contemporania publient en anglais et espagnol alors que Small Axe, Arc Magazine  n’utilisent que l’anglais, Artes en Santo Domingo et Arte Cubano uniquement l’espagnol.

Conjonction Haiti

Conjonction
Haiti

Une périodicité irrégulière

La fréquence de parution la plus élevée, c’est trois fois par an pour quatre d’entre elles : Small Axe, Caribintransit, Arte por excelencias,Arte Cubano. Elle est bi – annuelle pour Arc Magazine et The Caribbean architect. La périodicité initialement prévue pour ces deux revues était trimestrielle mais elle a été réduite rapidement à deux parutions par an. Enfin Arte Sur et Recherches en esthétique sont publiées une fois par an.

Mais la périodicité des publications connaît souvent une certaine instabilité C’est le cas de la très ancienne revue Haïtienne Conjonction publiée par l’Institut Français d’ Haïti depuis 1946. Les parutions de Conjonction ont été, et sont encore, assez irrégulières.  La dernière  en date étant celle  consacrée au tremblement de terre de janvier 2010 mais   L’Institut Français d’Haïti, son éditeur, annonce que bientôt la collection entière de Conjonction pourra être consultée en ligne. Conjonction bien qu’elle ne soit pas dédiée aux Arts Visuels  présente assez régulièrement des articles sur l’art consacrant même des numéros entiers à un mouvement  , Saint Soleil, La Ferronnerie d’Art ou  à un évènement ou à des artistes, Hervé Télémaque ou Lucien Price.

Arte Sur n°2 Cuba

Arte Sur n°2
Cuba

Une longévité menacée

Leur  longévité n’est pas non plus toujours assurée. Pour donner un  autre exemple Haïtien, la revue Cultura, dont le premier numéro date de 1996 n’a vécu que deux ans. Les revues en Haïti, de la revue Indigène des années 1930 à celles plus récentes comme Cultura n’ont jamais eu longue vie.  Cultura était une publication de la Fondation Culture Création créée par un groupe de personnalités, historiens, journalistes, galeristes, artistes, impliquées dans le monde de l’art et de la culture en Haïti. Les premiers numéros de Cultura étaient offerts par abonnement mais pour en augmenter la diffusion une entente a été conclue avec le quotidien haïtien Le Nouvelliste pour que la revue soit offerte comme encart du journal. Cultura n’était pas entièrement consacrée aux arts plastiques.  Une part des articles couvraient la littérature.  La revue traitait de l’actualité, publiant des commentaires sur les expositions, mais aussi et surtout de dossiers comme par exemple : l’art haïtien dans le contexte latino-américain. Comme partout dans la Caraïbe,  la difficulté à faire face aux coût élevés de l’impression, de l’infographie, de la photographie  expliquent l’irrégularité des parutions ou l’arrêt pur et simple des publications

Cependant, Arte Cubano et Small Axe paraissent respectivement depuis 1995 et 1997. Artes en Santo Domingo a perduré pendant onze ans, de 2001 à 2011. Mais RA, Artheme, Papay, Artes en Santo Domingo, Cariforum, Artep, Contemporania, Calabash  ont aujourd’hui disparu. Sur la vingtaine de titres considérés, seuls sept subsistent à ce jour. Trois d’entre eux  créés au cours de la décennie quatre-vingt-dix sont institutionnels  ce qui explique sans doute leur longévité. Les revues créées au début de la décennie 2000 n’ont pas résisté. L’avenir dira la capacité à perdurer des quatre plus récentes, Arte Sur, Arc Magazine, Artes por excelencias, Caribintransit,  nées entre 2009 et 2011 et de celles à paraître comme Jonkonoo, futur journal de l’Edna Manley college de la Jamaïque.

Artcronica revue digitale  Cuba

Artcronica
revue digitale
Cuba

La concurrence des revues électroniques

La presse écrite doit faire face de plus en plus à la concurrence des e – magazines : Arte America revue digitale de la Casa de las americas en ligne depuis 2001  compte vingt-sept numéros. Plus récente, Artcronica  mise en ligne depuis peu,  prépare sa quatrième  parution. Draconian Switch dont les co-éditeurs sont Christopher Cozier et  Richard Rawlins et dont  vingt et un  numéros ont été diffusés depuis 2010.

Les blogs, les sites jouent un rôle important : Arte sur (www.arte-sur.org) homonyme de la revue cubaine avec laquelle il n’a cependant aucun lien et qui récapitule tout ce qui concerne l’art latino-américain : artistes, évènements ; curators, expositions, critiques mais aussi Uprising  Caribbean Art en cours de développement et Aica Caraïbe du Sud .

Au terme de cette première approche, les grandes lignes qui se dégagent sont les suivantes : la survie de la presse écrite ne va pas de soi dans la Caraïbe ; le lectorat potentiel trop faible et trop géographiquement éparpillé freine l’apparition de publications centrées sur la rentabilité. Éditer est un engagement culturel que seules peuvent mener à bien dans la durée des institutions culturelles solides. Le tirage reste très faible et la distribution extrêmement complexe et totalement déficiente. L’inégalité est la règle dans la Caraïbe au regard de l’éclosion et de  la pérennité de la presse périodique écrite. Certaines îles, comme Cuba,  ont une activité éditoriale développée mais  dans la plupart des îles la presse culturelle spécialisée reste inexistante.  La concurrence des magazines électroniques, si elle favorise la circulation des idées et représente peut – être une solution d’avenir, contribue encore à la réduction de la presse écrite.

Caribbean Beat  2012

Caribbean Beat
2012

Cependant, à l’heure où la globalisation et la mondialisation concentrent le pouvoir d’informer entre les mains de quelques groupes puissants et peu nombreux, relever le défi de faire entendre la voix caribéenne semble encore une véritable nécessité comme ce l’était déjà au début du siècle.

Ainsi en Martinique, certaines  revues associatives ou estudiantines ont eu en effet une influence déterminante sur l’évolution de la pensée de la diaspora afro- caribéenne. Ainsi La revue du monde noir, publiée à Paris entre novembre 1931 et avril 1932 par les trois sœurs Nardal de Martinique et le Docteur Sajous d’Haïti, soutenus par des contributeurs dont le nom reste inscrit dans la mémoire antillaise : René Ménil, Gilbert Gratiant, René Maran, Félix Eboué, Jules Monnerot. La grande ouverture intellectuelle de ce cercle assurait la participation de personnalités connues comme Langston Huhgues, Claude MacKay, Alain Locke.

A l’inverse de Légitime Défense dont l’unique numéro parut  le 1er juin 1932, La Revue du Monde noir n‘abordait pas la question sociale antillaise. En revanche, Légitime Défense conçue et réalisée uniquement par des étudiants martiniquais dénonçait le capitalisme colonial et l’assimilation culturelle de la bourgeoisie de couleur, critiquait les méthodes de la domination française et prêchait la révolution. Parmi ces étudiants, René Ménil et Etienne Léro, qui avaient déjà participé à la Revue du Monde Noir. Les signataires se réclamaient de Marx, Freud, Rimbaud et Breton.

Une troisième revue l’Étudiant Noir paraît en 1935. La nomination d’Aimé Césaire comme Président de l’Association des étudiants martiniquais marque un tournant et transforme le bulletin à visée strictement pratique de l’association, l’Etudiant martiniquais, né en 1932 en une revue plus engagée où paraissent les premiers questionnements sur la Négritude.

Enfin, Tropiques, créée par Aimé et Suzanne Césaire, René Ménil, imprimée à l’inverse des précédentes, en Martinique, entre 1941 et 1944, c’est à dire pendant la seconde guerre mondiale est aujourd’hui très connue.

D’autres magazines culturels au moindre rayonnement ont néanmoins eu leur impact sur la vie culturelle locale :

Lucioles dirigé par Gilbert Gratiant dont le premier numéro paraît en avril 1927 et que Sedar Léopold Senghor cite dans son Anthologie de la Nouvelle poésie nègre et malgache de 1948 comme  le premier mouvement littéraire antillais digne de ce nom. Caravelle qui succède à Tropiques entre 1944 et 1945, guidée par Georges Desportes.

Enfin, sans prétendre à l’exhaustivité et pour ne citer que les plus marquantes, Parallèles dont la fondatrice et la rédactrice  en chef fut Anca Bertrand dans la seconde moitié de la décennie soixante. On peut citer également les revues Carbet, Archipelago et Acoma.

Les revues, grandes ou petites, même si quelquefois un seul numéro voit le jour, représentent un corpus irremplaçable, une documentation précieuse et unique

DOMINIQUE BREBION

AICA CARAÏBE DU SUD

Septembre 2012


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