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La dépolitisation du racisme

Publié le 20 novembre 2013 par Juval @valerieCG

Plus les textes s'égrènent autour du racisme subi par Taubira, plus j'ai l'impression d'une immense mascarade visant à nous déculpabiliser et à dépolitiser le racisme.

Depuis que Taubira a été nommée - et cela n'a cessé de gagner en puissance avec le mariage pour tous - la salve d'injures racistes est constante. Nos politiques, qui ont sans nul doute des cabinets de communication dédiés à l'étude des réactions sur les réseaux sociaux, ne pouvaient l'ignorer. Les journaux, qui ont eux mêmes une visibilité sur les réseaux sociaux, ne pouvaient l'ignorer non plus. On feint encore ce matin même de s'étonner du langage du FN face à la victoire en football.

Nous avons considéré longtemps que cette parole raciste là était résiduelle, les derniers soubresauts du grand cadavre réactionnaire et puis... ce ne sont que quelques insensés n'est ce pas.

Alors on feint de s'indigner, on feint de remarquer lorsqu'il n'est plus possible de faire autrement ; lorsqu'on en arrive au racisme caricatural, primaire, originel. Et là encore, nous les blancs,définissons ce qui est raciste et ce qui ne l'est pas.
Le racisme n'est pas le fait de pratiques racistes. Le racisme n'est pas le fait de comportements individuels isolés du groupe.  Le racisme est une idéologie fondant la hiérarchie des races.  Le racisme institutionnalise un groupe comme la norme, le supérieur et place d'autres groupes artificiellement créés dans le camps des racisés, ceux qui sont devenus par la décision du premier groupe, des êtes inférieurs. Et c'est en cela qu'on peut parler de système social raciste pour éviter justement de tomber dans l'erreur de qualifier le comportement raciste de l'un comme une erreur, qui ne viendrait pas du groupe et qui ne lui serait pas mentalement rattaché.
"Dans cette tradition, parler de racialisation revient à mettre l’accent sur le processus social et psychologique de catégorisation au cours duquel des différences, liées aux caractéristiques somatiques des personnes, sont perçues comme significatives, puis naturalisées et légitimées. La racialisation, dans cette acception, se définit donc principalement en tant que processus de catégorisation sociale. Cette notion rompt également avec la signification habituelle du terme de « race », en ce sens que cette dernière ne désigne plus une entité fixe et naturelle, mais se conçoit comme un effet de l’activité de catégorisation et de représentation des personnes : autrement dit, un construit mental et social."

Les comportements racistes qui s'expriment de façon visible aujourd'hui ne naissent pas de nulle part ; la France s'est fondée aussi sur l'esclavagisme et le colonialisme et tant que nous ne pourrons en parler sans dire "oui mais" alors le racisme perdurera.
Tant que nous considérons que toutes les choses sont égales par ailleurs, et que guenon est un terme certes insultant mais neutre au niveau de la race,  les choses perdureront.
Tant que nous considérons que le racisme est un acte individuel et que donc le racisme anti blancs existe, le racisme existera.
Tant que nous blancs fixerons la limite de ce qui est raciste et ne l'est pas, le racisme perdurera.

Il était capital, lors des insultes à Taubira de comprendre deux choses :
- Taubira n'a pas souhaité porter plainte car elle ne voulait pas faire la pub de Minute et savait en plus que cette une est très difficilement condamnable. Porter plainte et risquer de perdre, serait un revers dont elle se remettra difficilement et qui libérera la parole raciste.
- Ce n'est pas à nous de définir là où elle doit se sentir agressée ou pas. Ce n'est pas à un gouvernement de blancs de décider là où commence l'insulte raciste. On va me dire que la fonction ministérielle a été attaquée. La fonction présidentielle ne l'a-t-elle pas été lors de discours de Dakar ? Hortefeux ? Valls ?  Chirac ?

Avant d'en arriver à l'extrême si visible, si énorme que nous ne pouvons faire autrement que de le voir, le racisme s'est toujours exprimé de mille autre façons que nous avons ignorées ou condamnées du bout des lèvres. Quand on en arrive dans un pays à prétendre que l'islamophobie qui est une expression du racisme, est une invention et que de l'autre, on participe à des conférences contre le racisme subi par Taubira, et ceci dans l'indifférence quasi générale, je me dis que notre pays est bien tartuffe.
Lorsqu'on en arrive d'un côté à ignorer les multiples lois racistes -car créant des comportements différents selon qu'on est racisé ou pas - visant des minorités telles que les musulmanes voilées ou les rom et que de l'autre, on se drape dans notre dignité antiraciste, je me dis qu'il y a un problème.
Lorsqu'on condamne le singe et la banane, et qu'on exotise à qui mieux mieux les ministres femmes considérant qu'il s'agit de compliments n'est ce pas.
Lorsqu'on n'arrive toujours pas à parler esclavagisme et colonialisme sans y inclure le point Routes "on leur a bâti des routes, merdes" et le point Pas que nous "les arabes aussi ont été esclavagistes", on se dit qu'on a encore beaucoup de chemin à faire.
Lorsque des femmes voilées sont agressées, qu'elles en perdent parfois le foetus qu'elle portait et qu'on reste dans une certaine indifférence en se disant qu'il ne s'agit pas de racisme. On ne sait pas de quoi il s'agit, ca n'est pas un bon comportement, mais ca ne peut être que l'oeuvre d'un fou ou de quelqu'un d'extrême droite.  D'ailleurs le racisme n'est qu'à l'extrême-droite. Les autres sont dans le parler vrai, le politiquement incorrect, le réalisme ou dans l'humour.
Lorsque les populations rom sont qualifiées par Valls ou Collomb de populations ayant vocation ou pas vocation, nous sommes dans le discours raciste et plus dans la parole. Nous sommes dans la constitution d'une idéologie constituant à définir un groupe de population "les rom" comme différent du groupe majoritaire "nous" avec des buts et aspirations spécifiques.

On a vu ces jours derniers beaucoup d'initiatives fleurir pour condamner ce que subit Taubira ; beaucoup d'initiatives en mode "nous sommes tous des guenons et des singes". Dire cela c'est dire que ce qui lui arrive peut nous arriver à tous. or c'est justement parce qu'elle est noire que cela lui arrive ; cela ne m'arrivera pas et ma solidarité, évidemment réelle, ne peut passer par la minoration de ce qu'elle vit. Dire "je suis moi aussi une guenon" est un joli slogan qui claque mais je ne peux me reapproprier les injures que je ne subis pas, n'est ce pas.

Alors peut-être conviendrait-il d'entendre ce que les groupes concernés et luttant contre les discriminations ont à nous dire, pas ceux que nous constituons, comme SOS racisme qui est là juste pour nous rassurer sur notre absence de racisme.


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