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Parlons Chili…

Publié le 21 novembre 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff
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Devezh Mat, Metz, mont a ra ? Ce week-end, les Chiliens retournent aux urnes : Michelle Bachelet a de fortes chance de l’emporter et de retrouver la présidence du Chili après quatre ans de pouvoir conservateur. Cet événement politique me donne l’occasion de souligner qu’on a célébré beaucoup trop discrètement, du moins en Europe, le quarantième anniversaire du coup d’Etat de Pinochet… Les universités de Rennes et de Brest ont quand même pris la peine d’organiser un colloque sur ce sujet encore sensible – les plaies sont loin d’être refermées, hélas ! De la partie brestoise de ce colloque, j’ai tiré un petit dossier proposant des dessins, des photos des résumés d’interventions et même une petite vidéo. Voici l’introduction que j’ai écrite pour ce dossier :

En France et peut-être même plus généralement en Europe, beaucoup de gens ont encore tendance à minimiser l’impact qu’un événement tel que le coup d’État militaire du 11 septembre 1973 a eu sur la société chilienne ; il est envisageable d’expliquer cela par l’éloignement géographique ou par l’occultation générée par un autre 11 septembre tout aussi tristement célèbre mais qui a le douteux avantage d’être plus récent. Néanmoins, il n’est pas exclu que soit également en cause (désolé de le formuler ainsi) un certain complexe de supériorité de certains européens qui ont trop tendance à se représenter l’Amérique latine suivant l’image topique relayée, entre autres, par les aventures de Tintin (notamment L’oreille cassée) et présentant cette partie du monde comme une région composée d’États retardataires avec des démocraties instables et des sociétés intrinsèquement violentes. Gennaro Carotenuto prend justement cette image caricaturale comme point de départ et comme repoussoir pour souligner à quel point des pratiques telles que les disparitions forcées sont au contraire le fait de sociétés modernes et structurées – et il est à peu près certain que des dictatures comme celles de Pinochet ont justement pu compter sur cet état de faits pour assurer leur survie malgré la contestation, qu’elle soit venue de l’intérieur ou de l’étranger. Dès lors, loin d’être un fait « normal » que l’on pourrait expliquer par un état de civilisation moindre et contre lesquels les pays d’Europe seraient fondés à se croire « naturellement » protégés, le coup d’État chilien, comme le montre le film de Victor Rojas Ullo, a été une mauvaise surprise à laquelle bien des citoyens, confiants en la voie que le gouvernement d’unions populaire de Salvador Allende faisait prendre au pays, ne voulaient d’abord pas croire. Personnellement, j’ai coutume de dire, en ne plaisantant qu’à moitié, que si François Mitterrand avait gouverné davantage à gauche, la CIA aurait organisé un coup d’État militaire en France : l’hilarité que ces mots suscitent chez mes interlocuteurs peut confirmer l’illusion de sécurité sur laquelle nos sociétés européennes ont trop tendance à se reposer, et c’est à dessein que le terme « illusion » est employé, la crise économique et sociale actuelle, couplée à une certaine lame de fond réactionnaire, contribuant à rendre grièvement actuelle la menace antiparlementaire en Europe…

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Pour toutes ces raisons, on ne peut que déplorer la discrétion relative avec laquelle le quarantième anniversaire du 11 septembre 1973 a été célébré en Europe, ne serait-ce que parce qu’il est vital de rappeler, à l’encontre d’un préjugé plus ou moins ouvertement exprimé, que garder le silence ne garantit absolument pas la possibilité de vivre « normalement » dans un monde où le pouvoir réprime la parole libre : à partir du moment où le droit à la parole est refusé au peuple, celui-ci ne peut plus mener une vie tranquille, la répression systématique des idées autres que celles du pouvoir ayant pour conséquence immédiate et, pour ainsi dire, logique la harcèlement de la population et l’arrestation arbitraire, accompagnée ou non de tortures et d’exécutions, de toute personne soupçonnée, à tort ou à raison, de dissidence. Gennaro Carotenuto, une fois encore, le démontre en rappelant que seule une infime minorité des victimes de Pinochet pouvaient être considérées comme des combattants, mais la douloureuse expérience de Guillermo Nuñez, qui n’a jamais reçu d’explication ni pour son arrestation ni pour sa libération, est encore plus révélatrice de cette vérité qui peut se résumer ainsi : le propre de tout pouvoir dictatorial est de faire violence à la société pour la rendre absolument homogène culturellement et idéologiquement, action d’autant plus criminelle que la réalisation du but poursuivi n’est pas possible et ne le sera jamais, cet « idéal » se heurtant systématiquement à la singularité irréductible de tout individu humain et au pouvoir créatif quasiment illimité de l’espèce humaine : le récent colloque consacré aux « impacts et représentations du 11 septembre chilien » l’a rappelé d’une dizaine de manières différentes, les plus significatives se situant sans doute dans la mention du fait que la dictature ait fini par perdre le soutien des classes moyennes propriétaires et dans l’évocation des poursuites judiciaires qui ont pu être engagées contre Pinochet, faisant mentir ce dernier qui croyait avoir quitté le pouvoir en tenant tout sous son contrôle…

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Le doctorant que je suis a assisté à la partie brestoise de ce colloque, qui a été passionnante d’un bout à l’autre : j’étais « armé » de mon dictaphone grâce auquel j’ai pu enregistrer trois interventions, celles-là mêmes qui ont donné lieu aux résumés consignés dans les pages qui suivent (je n’ai pas pu enregistrer davantage faute d’espace disponible, le crayon a donc assez rapidement pris le relai). J’ai aussi gardé à portée de main l’appareil photo numérique qui m’a permis de prendre les clichés émaillant ces pages et de filmer les séquences ayant fourni la matière au film visible sur le disque accompagnant le présent dossier (il a été publié sur la chaîne YouTube de l’UBO et sur le blog de l’université) ; mais surtout, je disposais de mon carnet à dessin : au début, je me contentais de croquer sur le vif les participants au colloque tout en notant leurs propos les plus marquants (à mon avis évidemment) mais, très vite, dès l’intervention du juge Solίs, je me suis permis de laisser s’exprimer mon goût pour le dessin satirique et de mettre en images les idées que m’inspiraient certaines paroles, ne renâclant pas devant le crudité de certaines idées particulièrement grinçantes et appliquant l’adage populaire suivant lequel un bon dessin vaut parfois mieux qu’un long discours : je jure sur l’honneur que tous les dessins présentés ici ont été crayonnés au cours du colloque, au gré de mon inspiration, sous la coupe des sentiments que cette manifestation riche et fertile faisait naitre en moi ; leur mise au net a été effectuée en atelier avec peu de changements apportés au croquis initial – des modifications de grande ampleur n’auraient fait que complexifier encore davantage un travail de mise au net qui s’est révélé plus ardu que prévu.

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Le dossier que vous venez d’ouvrir n’a nullement vocation à se substituer aux actes du colloque, qui sont encore à paraître à l’heure où j’écris ces lignes ; il ne s’agit pas non plus d’un compte-rendu exhaustif et je n’ai pas non plus la prétention, étant philosophe de formation et n’étant même pas spécialiste de l’Amérique latine (malgré une hispanophilie que je revendique), d’apporter une nouveauté significative aux réflexions sur le coup d’État de 1973 et ses conséquences. Ma place dans le colloque a été celle d’un étudiant lambda venant y assister par curiosité et ce dossier restitue, dans la mesure du possible et avec les moyens qui ont été à ma disposition, cette expérience que je souhaite partager, enthousiasmé par cette manifestation qui associait quantité et qualité avec des approches diverses et variées autour d’un sujet grave ; j’encourage donc le lecteur à envisager ce dossier non pas comme l’œuvre d’un artiste ou d’un chercheur mais simplement comme le travail d’un jeune homme peu à son aise en société pour qui le crayon et la plume sont les outils les plus efficaces qui soient pour partager avec autrui ses idées et les meilleurs moments de sa vie.

Si vous voulez consulter le dossier en question, écrivez au Graoully qui transmettra. Kenavo, les aminches !


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