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"Juste un jour" d'Antonin Moeri

Publié le 26 novembre 2013 par Francisrichard @francisrichard

Il peut s'en passer des choses au cours d'une journée.

Dans le théâtre classique, qu'il conviendrait de redécouvrir, dépoussiéré de ses scories scolaires, la règle des trois unités avait toute sa raison d'être. Elle évitait de disperser l'attention du spectateur et la focalisait sur l'essentiel.

Tous les auteurs de théâtre du XVIIe n'y parvenaient pas avec le même bonheur. Ainsi Corneille s'y trouvait-il à l'étroit, tandis que Racine s'y mouvait avec aisance.

Dans un roman, il est plus rare de retrouver ces unités classiques de lieu, de temps et d'action. C'est pourtant ce qui caractérise le dernier roman publié d'Antonin Moeri.

La famille Forminable - dont le patronyme n'est pas facile à porter - se retrouve dans une station de ski, pendant une journée, à se découvrir sous un autre oeil.

Dans la famille Forminable, je demande le père. Il s'appelle Lucien, il a la cinquantaine, et sa femme l'appelle affectueusement Lulu. Ce n'est pas un homme extraordinaire. Il n'a pas les idées très claires. Il serait même plutôt confus. D'un accident il a gardé une cicatrice à l'oeil dont la rétine s'était décollée.  

Grâce à son ami Olivier, qui lui a offert une brosse à dents électrique, dont il ne se lasse pas de se servir, il a participé au concours Starlight et a gagné un séjour à la montagne, à l'Hôtel Eden, pour lui et sa petite famille. Ce changement dans sa petite vie tranquille devrait faire du bien à cet homme ennuyeux, volontiers routinier.

Dans la famille Forminable, je demande la mère. Elle s'appelle Jane. Elle a quarante-six ans et est plutôt encore bien de sa personne. Avant Lulu, elle a connu Alain. C'est elle qui avait pris l'initiative et dirigé leurs premiers ébats. Elle était la femme de sa vie, mais cela ne l'a pas empêché de partir pour la Californie sans avoir ne serait-ce qu'un dernier regard pour elle.

Jane et Lulu ont convenu que lui irait au boulot et qu'elle s'occuperait de la maison. Seulement chacun doit se montrer à la hauteur de cette répartition des tâches, somme toute classique, qui reproduit le schéma familial qu'il a connu. Finalement Jane y a trouvé son compte et ne se plaint pas trop de son petit mari dont elle est sûre qu'il aime faire l'amour, même s'il lui fait mal:

"J'aurais pu choisir un autre mari, plus solide, plus drôle, plus riche, mais j'ai préféré Lucien, je ne sais pas trop pourquoi. Il est touchant quand il se met en colère."

Dans la famille Forminable, je demande le fils. Il s'appelle Arnaud. C'est un garçon qui a les yeux en face des trous et qui n'a pas sa langue dans sa poche. Il peut même avoir la dent dure. Il se dispute rituellement avec sa petit soeur qui n'a d'yeux que pour son papa et qui le défend becs et ongles, quoi qu'il advienne. Il est plutôt déluré mais n'aime pas pour autant les cochonneries que, parfois, des camarades lui mettent sous les yeux.

Dans la famille Forminable, je demande la fille. Elle s'appelle Emilie. Elle souffre que son frère la batte froid et veuille toujours lui montrer qu'il fait les choses mieux qu'elle. Elle ne comprend pas son attitude à son égard. Heureusement, elle obtient toujours tout de son papa chéri, y compris la fois exceptionnelle où il s'était pourtant montré au départ plus que réticent.

Pendant toute cette journée ordinaire, dans la station de ski, Lucien, Jane, Arnaud et Emilie se révèlent peu à peu sous leur vrai jour.

A partir de leurs pensées intimes ou de ce qu'ils se disent, des souvenirs, parfois lointains, qui leur reviennent ou de leurs espérances, des malentendus qui surgissent entre eux, des contacts que des tiers ont avec le quatuor qu'ils forment, se dessinent leurs portraits plus vrais que leur prime apparence.

L'auteur sait se mettre à la place de chacun et lui restitue toute sa dimension humaine. Chacun s'exprimant avec ses mots d'homme, de femme, de garçon ou de fille.

Ainsi apparaissent sous nos yeux un homme somme toute plutôt fragile, une femme croquant la vie à pleines dents et qui ne voit le mal nulle part, un gamin cruel avec sa soeur mais aussi à l'égard de son père, parce qu'il est surtout livré à lui-même, et une gamine qui se pose toutes les questions que peut se poser sur la vie une adolescente encore bien naïve.

Aussi bien l'intérêt du livre ne réside-t-il pas dans l'intrigue, assez mince, mais dans la profondeur qui est donnée à chacun des personnages et qui les rend non seulement bien vivants, mais attachants.

Francis Richard

Juste un jour, Antonin Moeri, 210 pages, 2007, Bernard Campiche Editeur

Derniers livres d'Antonin Moeri:

Tam-tam d'Eden, 240 pages, 2010, Bernard Campiche Editeur

Encore chéri !, 160 pages, 2013, Bernard Campiche Editeur

Le 2 décembre 2013, à 20 heures, Antonin Moeri est l'invité de l'association de rencontres littéraires Tulalu!? au Lausanne-Moudon, place du Tunnel, à Lausanne (entrée libre). Il est possible auparavant, au même lieu, de participer au souper (payant) avec l'auteur, à 18 heures 30.


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