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Au nom de la liberté Armorique : la révolte des Bonnets rouges en 1675

Publié le 28 octobre 2013 par Lecriducontribuable

Article extrait des Enquêtes du contribuable n°1 « Profession politicien » octobre -novembre 2013, 68 pages – 3,50 € Acheter en ligne le numéro

Pour financer la guerre de Hollande, Louis XIV lève de nouveaux impôts. C’en est trop pour les paysans bretons qui se soulèvent en 1675. 

Le souvenir  des Bonedoù ruz est resté vivace en Bretagne. La brasserie Lancelot a créé en 1998 une bière aux baies de sureau en leur honneur.

Le souvenir des Bonedoù ruz est resté vivace en Bretagne. La brasserie Lancelot a créé en 1998 une bière aux baies de sureau en leur honneur.

Nous sommes en 1675. Depuis quelques années, Colbert taxe beaucoup et un peu trop facilement. C’est ainsi qu’à partir de 1664, une dizaine de taxes nouvelles passeront en force. On taxe ainsi le tabac, la vaisselle d’étain ainsi que le papier timbré (nécessaire pour tous les actes notariaux ou judiciaires). Il est même question d’instaurer la gabelle là où elle n’a jamais été payée. Plus grave encore, ces taxes sont imposées au mépris des droits et des lois propres aux provinces. Le résultat ne se fait guère attendre. Dès le 26 mars 1675, des émeutes éclatent à Bordeaux, puis le mouvement gagne Nantes et Rennes où des bureaux sont mis à sac.

Du papier timbré aux Bonnets rouges et bleus

A la vérité, il ne s’agit encore que d’un lever de rideau. Le mouvement va bientôt s’emballer, surtout en Bretagne occidentale. L’embrasement de la Bretagne s’explique assez facilement. La péninsule armoricaine traverse une crise profonde. Naguère important producteur de textiles (l’un des plus gros pourvoyeur de voiles pour les navires européens), le vieux duché voit ses marchés traditionnels (Angleterre, Hollande, Espagne) se fermer peu à peu à la suite des guerres. Et le déclin ne fait que commencer. Dans ce contexte, les nouvelles taxes pèsent fortement sur les populations rurales, d’autant plus que la petite noblesse, touchée elle aussi, en vient à se montrer de plus en plus avide et pointilleuse sur ses prérogatives. Car il ne faut pas oublier que la fiscalité royale vient se rajouter à une fiscalité seigneuriale devenue encore plus lourde. Cette réaction nobiliaire est d’autant moins supportable que, d’une certaine façon, les gentilshommes relèvent de la même société que les paysans. Les fameux « codes paysans » – on le verra – ne sont pas l’expression d’une lutte de classe. Ils veulent au contraire rapprocher le petit peuple de ces mêmes gentilshommes. Cette complexité dans les rapports sociaux est assez bien résumée dans le parcours de celui qui deviendra le chef principal de la révolte : Sébastien Le Balp.

En 1675, Sébastien Le Balp a 36 ans. Fils d’un meunier de Kergloff (à côté de Carhaix, Finistère), il a suivi des études de droit à Nantes, études payées par le Marquis du Tymeur. Avec la dot de sa femme, il achètera une charge de notaire à Carhaix, mais ce début prometteur sera interrompu par une vilaine affaire. Complice dans une affaire d’escroquerie au bénéfice de la fille de son bienfaiteur (et au détriment d’un paysan), il sera incarcéré. Lorsque la révolte atteindra la région, les paysans, qui arborent alors le bonnet rouge (les Bigoudens préfèreront le bonnet bleu) lui demandent de se mettre à leur tête. Le 6 juillet 1675, Le Balp mène le groupe d’insurgés qui attaque et pille le domicile du collecteur d’impôts de Carhaix. Cinq jours plus tard, ils sont plusieurs milliers à s’en prendre au manoir de Toussaint de Trévigny, en Poullaouen. Jusqu’à la fin du mois d’août, les insurgés vont écumer le Poher et tout le centre de la Bretagne, assiégeant et pillant villes et châteaux (sans oublier les bureaux), et surtout arrachant la révision des exigences nobiliaires ou ecclésiastiques.

La fin de Sébastien Le Balp et la répression

Dans le même temps, les paysans révoltés mettent par écrit leurs revendications : ce sont les « codes paysans ». Ces revendications concernent essentiellement la fiscalité, tant seigneuriale que royale. Le thème de la « liberté Armorique » y est essentiel : il s’agit de maintenir les privilèges fiscaux de la Bretagne, tels qu’ils figuraient dans l’acte d’union de la Bretagne à la France en 1532.

Billet factice à l'effigie de Sébastien Le Balp, émis dans les années 90, à l'occasion de la Gouel ar brezhoneg, la

Billet factice à l’effigie de Sébastien Le Balp, émis dans les années 90, à l’occasion de la Gouel ar brezhoneg, la « Fête de la langue bretonne ».

Tout se terminera dans la nuit du 2 au 3 septembre 1675. Ayant appris que le duc de Chaulnes a fait envoyer les troupes royales, Sébastien Le Balp est venu demander de l’aide à Charles de Montgaillard, gendre du marquis du Tymeur et assez favorable aux revendications paysannes. Malheureusement pour lui, le frère de Charles de Montgaillard le tuera par derrière d’un coup d’épée mettant fin à la révolte. C’est l’heure de la répression. Cette répression sera féroce et hantera longtemps la mémoire bretonne. Hommes, femmes et enfants, rien n’échappe à la fureur des soldats du roi. Evoquant les innombrables pendaisons, Chaulnes n’hésitera pas à dire : « Les arbres commencent à se pencher sur les grands chemins du poids qu’on leur donne ». De son côté, la Marquise de Sévigné racontera, dans sa lettre du 5 janvier 1676 : « Pour nos soldats, ils s’amusent à voler ; ils mirent l’autre jour un petit enfant à la broche ». La répression s’en prendra de façon plus symbolique aux églises bretonnes. En pays Bigouden, on peut encore voir certains clochers décapités sur ordre du roi à Pont-l’Abbé ou à Plonéour-Lanvern. A Rennes, un faubourg sera entièrement détruit et ses habitants chassés. Financièrement, la note sera exorbitante. Les nobles et les religieux dont les biens ont été saccagés seront indemnisés plus ou moins à l’amiable, tandis que le Parlement de Bretagne, exilé à Vannes devra s’acquitter d’un subside extraordinaire de 500000 livres pour prix de son retour à Rennes en 1689. Les Etats devront accepter une substantielle augmentation du « don gratuit » et entériner toutes les demandes fiscales à venir du pouvoir royal. Enfin, les villes devront entretenir à leurs frais les troupes chargées de la répression, ainsi qu’une armée de 20000 hommes. La liberté Armorique était définitivement enterrée. La Bretagne mettra près de trois siècles à s’en remettre.

Guirec Le Guen

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