Oui, peuvent-ils, clients et putes, assumer librement, sans arrière-pensée et souverainement que la femme se prostitue?

Publié le 28 novembre 2013 par Donquichotte

C’est drôle comme le texte de mon fils, dans son blog, a ravivé une réflexion que je me faisais récemment alors que le gouvernement français veut faire une loi pour pénaliser les clients des putes.

Mais qu’est-ce qu’une pute, exactement?

En fait, une pute, ça n’existe pas. Il y a des femmes qui offre leur corps contre paiement. Pourquoi ? Et c’est la bonne question. Ou encore, comment en sont-elles arrivées là ?

Donc, pourquoi et comment sont des questions essentielles pour comprendre le phénomène, soit un fait (ça existe, on le voit sur les boulevards parisiens, et de d’autres grandes villes, à la nuit tombée, ça pullule) qui peut être objet de connaissance rationnelle. J’ajouterais qu’une connaissance intuitive et émotionnelle est un ajout précieux. Oui, et puis après ? Est-ce seulement possible d’approcher « correctement » le phénomène ? J’entends, on peut comprendre un fait par l’observation, ou, par l’expérimentation : en bref, nous observons avec tous nos sens, nous expérimentons aussi avec tous nos sens. Oui, et puis après ?

Nous observons, et souvent, nous jugeons.

Voilà où nous en sommes. Nous jugeons.

En France, le législateur se prépare  à voter une loi qui pénaliserait le client de la pute. J’allais écrire qui « interdirait » le client de demander les services d’une pute. Drôle, non ? Non, il ne serait pas interdit de demander, mais il y aurait une petite pénalité. Comme il n’est pas interdit d’aller à plus de 130 km/heure sur les autoroutes, si vous ne vous faites pas prendre.

En fait nous préjugeons le plus souvent. L’affaire est entendue bien avant que nous ne l’ayons examinée, ou même observée. « Mon petit doigt me dit », et oui, c’est le type de commentaire que nous entendons très souvent. Qui est en fait le plus souvent une « opinion » admise commodément - ça fait notre affaire -, sans source de référence, sans analyse sérieuse, sans audit d’aucune sorte, et qui nous vient du trottoir, de la rue, des commérages de bonnes femmes, ou de bons hommes. Il n’y a pas de savoir là-dedans, pas de vraie connaissance du fait, il peut y avoir de la croyance fausse, mais dans tous les cas, l’opinion-lieu-dit-du-jugement semble légitime aux yeux de celui qui la colporte.

J’en viens alors à ceci : « peut-on juger » ? On me dit souvent que je juge trop souvent la personne quidam que je vois passer (l’allure), que je vois faire (un geste), que je vois dire (des mots), que je vois se comporter (ses agissements)...etc. C’est vrai, je juge. Mais juge-je si facilement, et avec toute ma raison ? Je crois qu’il y a à cela deux réponses. 1/ je suis autonome et réfléchi ; je ne crois pas dire des bêtises quand je juge : j’observe, mes dendrites s’activent, je pose un jugement que je veux réfléchi, pas trop rapide, et assez juste... Bref, j’essaie de ne pas dire n’importe quoi, trop vite et, surtout, je tiens compte des « environnements » humains, matériels, techniques, sociaux, culturels.  J’ajoute à cela que je suis le produit d’une histoire longue longue longue, ça, je le sais ; elle est enfouie en moi, et profondément, je n’y échappe pas, elle me rattraperait facilement (voir Freud). 2/ et je suis aussi partie d’un collectif, de réseaux sociaux, d’une collectivité, de plusieurs collectivités (ex : les retraités, les intellectuels, la classe moyenne, les maçons,...) et je « colporte » (j’entends, je porte en moi, en ma mémoire-tête-peau-âme) alors leurs opinions-préjugés-admis-socialement-passivement. Je n’y échappe pas, je ne suis pas seul avec mon moi-même. D’autres moi-même m’habitent de « l’extérieur », et je n’y peux rien.

Alors, je juge les putes, leurs souteneurs, leurs clients, et surtout, cette société qui ne s’émeut pas outre mesure que « des femmes doivent vendre leur corps pour vivre, pour survivre le plus souvent » (toutes ne sont pas putes dans les grands hôtels parisiens  à 1000, 2000 euros la shot)

Là-dessus, je ne dirais pas qu’il existe différentes catégories de putes ; Je dirais plutôt qu’il y a différentes « raisons et comment » dans le fait qu’elles, ces femmes, soient arrivées à vendre leur corps. Et j’ajoute que, dans tous les cas, le « fait » est répréhensible, pas au sens où ces femmes ont tort, mais dans le fait même, et dans le sens où notre société accepte si facilement que cela existe.

J’ai écrit « facilement »... pourquoi ? Pour la bonne raison que, à l’évidence, les hommes ne vont rien faire pour y changer quoi que ce soit. Même Mme Badinter nous dit que ces questions de sexe « ces corps mis en vente » ne doivent pas être l’objet de quelque loi que ce soit. Pas certain qu’elle ait raison, même si parfois, je me dis que ces filles qui revendiquent leur droit au travail (de pute), libre et volontaire, n’ont pas tort. NON, elles ont tort, et c’est bien malgré elles. Elles sont, elles deviennent, du fait de leur travail, un « objet » à louer, à vendre, à emprunter, à user, et à abuser (trop souvent). C’est le fait même qui est en tort.

On parle en France de faire une loi pour pénaliser le client. En l’état actuel, la femme ne peut pas offrir ses services (le racolage est interdit par la loi), mais l’homme peut les demander. Avec la nouvelle loi, l’homme ne pourrait plus demander leur service, mais la femme ne serait plus interdite de les offrir. Drôle, non ? C’est se voiler la face à double tour. Quelle hypocrisie ! Si ces putes donnaient demain matin tous les noms de leurs carnets d’adresses, je crois bien que bien des gens en vue (on s’entend : politiciens connus, DSK n’était pas seul, hommes d’affaires connus, journalistes connus, sportifs connus, Ribéri n’était pas seul...) se feraient touts petits dans leurs souliers. On verrait pourquoi ce vieux métier de pute a encore de belles années devant lui. C’est sordide de le dire ainsi.

Alors je juge...

Je crois fondamentalement que l’homme a tort dans ce système. D’abord l’homme client : acheter un tel service est un affront à la femme, à toutes les femmes, mère-fille-femme-maîtresse de ces hommes. Acheter le corps d’une femme pour en jouir, c’est l’avilir. Qu’on ne me parle pas du fait que la femme est volontaire pour lui offrir son corps, ce qui l’excuserait de faire cette chose. Qu’on ne vienne pas me dire que les clients et les putes « assument librement[1] leurs choix[2]. » OUI, peut-on consentir à se prostituer ? Puis il y a les hommes souteneurs-traiteurs-artisans-cachés-du-grand-réseau-de-prostitution ; ceux-là sont des criminels, et ceux-là à mes yeux doivent être punis, avec la même sévérité, comme le sont les auteurs de viol ou de meurtre.

Comment changer tout cela ? Une loi ?

NON.

Une seule façon à mon avis. Admettons d’abord ceci. Pénaliser le client peut être une approche de « sensibilisation ». Cela a l’air ridicule, mais je crois que la « peur du gendarme » peut fonctionner dans un temps préalable, et que pour un temps seulement. On dit, si l’analogie peut être employée, que la peur du gendarme (contrôle de l’alcoolémie, contrôle de la vitesse) aurait fait, dit-on, réduire la vitesse sur les routes de France, chuter le taux de mortalité des accidentés de la route, et... et...et  aurait... « progressivement et sensiblement sensibilisé » (ça reste à être prouvé) le chauffeur (chauffard) français à la modération (vitesse et alcool).

Puis, et cela est urgent, d’autant qu’il y a invasion des putes de l’Est dans toute l’Europe, il faudrait « aider ces filles » à se réinsérer dans la société. Deux choses là. Les putes de l’Est sont amenées en Europe, forcées, manipulées, achetées, vendues, violées, droguées... le marché est lucratif pour les souteneurs-passeurs-traiteurs, ces filles sont à « bon marché ». Horreur. Donc priorité aux filles les plus mal logées à l’enseigne du marché du sexe. La deuxième chose : il faut aider toutes les filles en allant à la source du mal, dans les conditions de vie et de survie de ces filles : la pauvreté, l’analphabétisme, la naïveté... qui font de ces filles des victimes faciles de « l’argent facile ». C’est mettre le doigt sur le « comment » elles en sont arrivées à cela. OUI ? Comment voulez-vous sortir de l’ornière du sexe quand vous gagnez bien votre vie, quand vous vivez et survivez bien, avec le sexe ? Pas si simple cette équation. Pas si simple de dire que vous vivez bien quand votre corps est culbuté chaque jour. Mais l’équation tient quand même. C’est l’horreur, je sais !

Une autre analogie : les paysans-paumés de la culture de la drogue dans les pays de l’Asie, du Maghreb et de l’Amérique du sud : ils vivent bien, et pour qu’ils changent leur vocation, on leur offre de l’aide pour qu’ils se recyclent dans d’autres cultures. Pas si simple encore l’équation quand vous vivez et survivez bien avec la culture de la drogue !

On pénalise les clients de la drogue, on veut pénaliser les clients du sexe... et on croît, veut, ainsi, les sensibiliser. C’est une approche faisable (la pénalisation) et... possible (la sensibilisation).

Mais cela oblige aussi notre droit à traiter comme des criminels de haut niveau les « banquiers » de ces marchés. Et quand je dis banquiers, je veux dire tous les niveaux de pouvoir (souteneurs, traiteurs, argentiers, juristes, criminels mafieux...) qui structurent et organisent ces marchés. Le seul client pénalisé ?? C’est pauvre comme solution.



[1] « Ce n'est pas un métier choisi, comme artiste ou ingénieur, reconnaît Claudine. C'est une activité qui survient sur les chemins de traverse d'une vie, fatigante souvent, physiquement, psychologiquement, mais comme beaucoup d'autres activités. »  (article de Frédéric Joignot, dans le Monde du  28 novembre 2013)

[2] Dans le même article, la philosophe Sylviane Agacinski, proche des socialistes, a résumé sa position d'une formule : « La “liberté” de se laisser asservir est une contradiction dans les termes. »