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Borloo caricaturé dans "Les Guignols" : l'alcoolisme est une maladie, pas une blague - le Plus

Publié le 28 novembre 2013 par Mouze
Borloo caricaturé dans "Les Guignols" : l'alcoolisme est une maladie, pas une blague - le Plus:
Par Fatma Bouvet de la Maisonneuve
Psychiatre, addictologue
LE PLUS. Jean-Louis Borloo est "touché" et "blessé" par sa marionnette dans "Les Guignols de l'Info" qui le présente comme alcoolique. Et nombreuses sont les personnes publiques à être moquées sur ce point dans les médias. Pourtant, ces dérives sont dangereuses. Explications avec Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et addictologue, auteur de "Les femmes face à l'alcool".
Édité et parrainé par Louise Pothier
Marionnette de Jean-Louis Borloo dans les Guignols de l'info
Dans "les Guignols de l'Info", la marionnette de Jean-Louis Borloo est alcoolique. (Capture d'écran)
De nombreuses personnalités politiques ou médiatiques sont ridiculisées du fait de leur supposée appétence pour l'alcool. Parfois sur de simples suppositions, les rumeurs se succèdent pour finir en prétendue réalité.
En ce qui concerne Jean-Louis Borloo et sa marionnette des "Guignols", une fois, deux fois, ça allait, mais si cela devient une antienne, c’est lassant. C’est aussi faire de la peine gratuitement à un homme dont on ne sait rien et c'est blesser son entourage. Il a eu raison de s’en indigner car c’est un manque de respect, pas seulement pour lui, surtout pour les malades.
Je n’ai pas d’humour face à la maladie
Je précise que je pense avoir un peu d'humour et que j'ai aussi moi-même pu rire en assistant à des scènes particulières qui se manifestent sous l'emprise de l'alcool.
Mais je n'ai plus beaucoup d'humour face à la maladie car elle n'épargne pas. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur la maladie addictive de Jean-Luc Delarue qui a été tournée en dérision et, d'une certaine façon, brouillée par d'autres aspects qui n'avaient rien à voir avec la souffrance de l'homme.
Pour l'alcool, j'ai le même réflexe. Je pense que cela touche à la dignité humaine.
Le déni collectif par l’humour
On ne se moque pas du cancer, de la maladie d'Alzheimer, d'un handicap etc. Mais de l'alcool, oui, on se le permet trop souvent. C’est probablement la désinhibition qui fait rire.
Il arrive que l'on s'amuse d'une personne un peu éméchée, mais, si vous faites bien attention, si son comportement devient plus inquiétant, on en rit jaune, car on ne sait plus maîtriser la situation.
Je pense que rire de la maladie alcoolique relève de la gêne, souvent. Elle renvoie à une image que l'on a pu avoir de soi-même lors de soirées arrosées ou à des moments de sa vie où on en a abusé aussi.
On rit souvent de ce qui nous fait peur et pour éviter le fond du sujet. Il s'agit là d'un déni collectif par l'humour, car l'alcool est un véritable problème en France. Plus de la moitié des Français a été confrontée à un proche touché par la maladie alcoolique et en connait donc les réelles caractéristiques, qui ne sont pas drôles du tout.
"Je préfère avoir un cancer qu’être alcoolique"
De nombreux patients me disent :
"Je préfère avoir un cancer qu'être alcoolique. Au moins on me reconnaîtrait socialement comme malade et je n'aurais pas honte de moi."
C'est dire le poids de cette maladie sur le plan social et familial. En général, les familles sont tellement bouleversées par leur proche qui souffre qu’elles ne se moquent pas. Elles peuvent surveiller, ne pas comprendre, penser qu'il suffit d'un peu de volonté pour s'en sortir.
Les moqueries ne surviennent en général que dans un contexte de rupture, où il n'y a plus rien à récupérer en terme de liens ni d'aide.
La responsabilité de ceux qui en rient en public
Ceux qui s'adonnent à cette banalisation et à ces railleries ne réalisent pas la responsabilité qu'ils portent. Ils ont une parole publique et devraient être un peu plus attentifs aux conséquences de ce qu'ils disent, même s'ils sont humoristes, car bien sûr, cela a des conséquences.
Cela ne fait qu'entretenir la culpabilité des malades et cela contrarie notre travail qui est précisément de placer ce trouble dans le cadre des maladies et non des tares, comme ces humoristes le sous-entendent.
S'ils reçoivent des messages paradoxaux de deux sources qui comptent pour eux (média et soignants), nos patients sont pris en étau entre deux croyances et finissent par ne plus savoir quoi penser. D'autant que nous, médecins, sommes trop peu nombreux à faire de la prévention.
Pour ceux qui n'ont jamais consulté, ils vont être confortés, hélas, dans l'idée selon laquelle ils souffrent d'un vice. Et n'auront évidemment pas le réflexe de demander conseil à un médecin. Les malades ont déjà énormément de mal à faire ce premier pas.
Je suis d'autant plus surprise de cette légèreté que le milieu des médias et de la communication est un milieu à risques – avec d'autres bien sûr – en terme de maladie alcoolique. Alors, peut-être les auteurs le font-ils, comme je le disais auparavant, pour ne pas avoir à se poser des questions sur eux-mêmes ?
Toujours est-il qu'il est bon qu'ils sachent qu'ils peuvent faire du mal avec ce type d'humour. Il y a d'autres sujets que la maladie pour rire, non ?
Le paradoxe français
L’inconscient collectif prête encore à l'alcool des  vertus comme le  pouvoir de désaltération, de redonner des forces, d'être un anti-douleur ; et sa consommation est encore considérée comme un mode d'entrée dans la maturité. La France est vin, si je puis dire.
L'alcool accompagne tous les événements festifs de la vie familiale et sociale dans notre pays. Il fait partie intégrante de la culture, du patrimoine et des traditions françaises.
Il y a une très belle citation qui le démontre, c'est celle de Charles de Brosses, magistrat et écrivain. Il écrit : "L’amour de la patrie, vertu dominante des grandes âmes, me saisit toujours à l’aspect d’une bouteille de vin de Bourgogne." Cela veut tout dire.
Alors, de fait, si vous ne buvez pas, c'est que vous ne participez pas à cette communion et vous vous sentez exclu. C'est l'impression qu'ont mes patients qui sont abstinents. Ils ne sentent pas "dans la fête, mais à côté".
Et ce sont eux qui soulignent le mieux le paradoxe français selon lequel lorsque vous ne buvez pas, on vous accuse de "plomber l'ambiance". Et si vous avez un problème avec l'alcool, ces mêmes personnes se moquent de vous.
Mais rassurez-vous, ce n'est qu'une impression. Lorsqu'on est en cours de soins et que l'on est abstinent, on peut très bien s'amuser à l'eau pétillante. Certains disent d'ailleurs qu'ils profitent mieux. Alors qu'avant, en état d'ivresse, ils étaient moins attentifs aux autres.  
Changer le regard posé sur la maladie alcoolique
Dans de nombreux pays,  la question de l'alcool est posée dans des termes médicaux, du fait des conséquences et grâce à une politique de prévention massive.
Ainsi, la personne qui identifie un problème chez un proche peut en parler sans jugement moral.
La seule façon, à mon sens de changer cette image est de considérer le problème à sa juste mesure. Le problème est grave en France, on le sait depuis longtemps, même si la consommation d'alcool y a diminué depuis les années 1960, elle se fait différemment et de nouvelles cibles sont concernées. Nous ne connaissons pas son évolution pour les années à venir.
L'urgence me semble résider dans la prévention, ses méthodes et ses moyens, la publicité, l'information etc. La France est embarrassée par la question de l'alcool du fait du poids économique du vin dans notre pays.
Il ne s'agit en aucun cas de prohibition – ce serait dommage pour "le bon vivre et le bien manger à la Française" –, mais de prévenir les personnes à risques. Car nous ne sommes pas tous égaux face à ces produits non dénués de danger.
La période des fêtes, un cauchemar pour les malades
Tenez, par exemple : nous sommes à la veille des fêtes (il en est de même en été), ce sont des périodes cauchemardesques pour les personnes qui souhaitent être abstinentes et qui sont soumises à tant de de pression publicitaire à cette période de l'année.
Ils nous en parlent très bien et ils sont furieux du peu de cas qui est fait de leur problème pourtant connu pour être très répandu.
Il y a donc plusieurs façons de changer l'image sociale : la première est de respecter les malades et leur dignité. Pour ceux dont ne sait pas s'ils souffrent de trouble ou non, il vaut mieux les laisser tranquilles sur cet aspect personnel.
Il me semble plus courageux de discuter, par exemple, de leurs idées.
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