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La Françafrique ou l’art de la diversion

Publié le 30 novembre 2013 par Alex75

Comme nous avons pu le constater, depuis ces derniers mois, la Françafrique a encore de beaux restes. Tous les Français seront bien-sûr désolés d’apprendre, qu’un petit pays perdu au coeur du continent noir, deux fois plus étendu que la France, mais peuplé de moins de cinq millions d’habitants, la République Centrafricaine, semble sombrer dans le chaos le plus absolu. Et que certains de nos ressortissants s’y sentent menacés désormais, avec des bandes de brigands de grands chemins volant, massacrant, rançonnant la population et perpétuant multiples exactions, et un Etat qui n’en est pas un, dirigé depuis mars dernier (suite à un coup d’Etat) par d’anciens rebelles plus ou moins islamistes venus de l’est du pays, les Sékélas, comme l’analyse Thierry Desjardins dans un récent billet.

Toutefois, il est vrai, est-ce là une raison pour envoyer un millier d’hommes à Bangui ? Fier de sa petite victoire de courte durée, au Mali, mais surtout petite victoire à la Pyrrhus, où il a pu empêcher une poignée d’islamistes d’avancer d’une dizaine de kilomètres avant d’être stoppé, Hollande ne va tout de même pas se mettre à guerroyer aux quatre coins de l’Afrique, incapable qu’il est de mener les combats pour lesquels, il s’avère qu’il a été élu (le chômage, les déficits, l’effondrement économique, social, moral de la France). Il est vrai, comme le souligne judicieusement M. Desjardins, que les gens de gauche, de Jules Ferry à Mitterrand, en passant par Léon Blum et Guy Mollet, ont toujours été fondamentalement colonialistes, ainsi convaincus, voire persuadés en leur âme et conscience, que les pays dits « civilisés » se devaient et se doivent encore d’apporter aux « sauvages » la civilisation à la fin du XIXe s., le progrès et la démocratie dirions-nous de nos jours, comme l’avait d’ailleurs déclaré lui-même le héros du Front Populaire, en son temps. Mais seulement, les temps ont changé. La France n’a plus nécessairement, du moins systématiquement, les moyens (contenu ses déficits, entre autres), ni surtout la vocation à être et rester le gendarme de son ancien empire – en l’occurence de l’Afrique noire francophone -, indépendant maintenant depuis plus d’un demi-siècle, au travers de coûteuses et incertaines interventions militaires.

Depuis des décennies, tous nos présidents, y compris Hollande, de Giscard à Mitterrand, en passant par Chirac et Sarkozy, nous ont dit et répété que la « Françafrique » n’existait plus. Vu ce qu’elle nous coûte et le peu qu’elle nous rapporte, on aurait voulu le croire. Laurent Fabius nous serine que la Centrafrique est « au bord du génocide » et Jean-Yves Le Drian, que nous assistons à « l’effondrement d’un Etat avec une tendance à l’affrontement confessionnel ». Mais on a surtout l’impression que François Hollande cherche désespérément à faire diversion, en se focalisant sur la politique étrangère, avant son allocution télévisée du 31 décembre prochain. Alors, faute de pouvoir nous dire, que grâce à son compétence, sa clairvoyance et sa détermination, l’économie redémarre, la croissance étant repartie, les entreprises embauchant à nouveau, parmi tant d’autres, il va pouvoir nous raconter que, grâce à son courage et à son génie et sa perspicacité géostratégique, l’armée française est parvenue à stabiliser partiellement entretemps, la situation en Centrafrique. Ce dont la France se fout, des chômeurs aux agriculteurs en passant par les petits commerçants, les victimes des plans sociaux, les retraités, les jeunes, les Bonnets rouges, les pigeons, les contribuables.

Notre cher président, tel un petit Néron jouant de la lyre en assistant à l’incendie qu’il aurait attisé, veut nous offrir non pas du pain, mais des jeux et de jolies aventures, en l’occurrence, pour nous distraire. Après ce mariage des homosexuels qui aura bien inutilement divisé les Français, et qui aura choqué beaucoup de monde – moi, le premier -, mais ne concernant, certes, qu’une infime minorité de la population, on nous bassine avec la pénalisation des clients des prostituées, les attaques verbales contre Mme Taubira, la légalisation du cannabis, la protection des femmes battues, une floppée de sujets anecdotiques et sociétaux. Les Français en ont assez de la diversion, se focalisant sur des sujets intéressants, sans doute, mais dérisoires aux vues des difficultés d’un pays qui, avec 2 000 milliards de dettes et battant tous les records d’imposition, compte plus de cinq millions et demi de chômeurs et d’inactifs, dix millions de gens sous le seuil de pauvreté. D’autant plus qu’il reste beaucoup à dire, sur cette intervention française au Mali, et sur ces conséquences qui se font ressentir.

Le 11 janvier 2013, François Hollande lance l’opération Serval au Mali dans la précipitation, sans vision politique et adossé à quelques alliances improbables avec les pouvoirs tchadien et mauritanien, ces restes de la Françafrique. Le président s’est muré dans une posture guerrière, comme l’analyse Nicolas Beau, dans son récent ouvrage « Papa Hollande au Mali ; Chronique d’un fiasco annoncé » (Balland), aussi désireux de « détruire » les terroristes qu’ « intraitable » sur la date des élections à Bamako. Une intervention dont l’amateurisme n’est pas sans rappeler celui dossier syrien. En effet, derrière l’apparente réussite de l’opération, la diplomatie française n’a, en réalité, apporté aucune solution aux maux grangrènant le Mali et ses voisins, le Niger et la Mauritanie, depuis plusieurs années : démocraties d’opérette, islamisation forcenée, corruption galopante, trafics de drogue, luttes ethniques…

« S’il n’y a pas d’intervention militaire, ce sera le désastre ». Ainsi se termina, le 10 janvier 2013, veille de l’opération lancée au Mali, le télégramme diplomatique de celui qui était alors ambassadeur de France à Bamako, Christian Rouyer. Quelques mois et cinq cent « terroristes » abattus plus tard, François Hollande avait gagné une guerre éclair aussi décisive que peu meurtrière. La France, six soldats morts au combat, a remporté une bataille contre quelques centaines de djihadistes qui se sont vite fondus dans les sables du désert. Hélas, l’armée française est à mille lieues de l’avoir emporté sur la misère, les trafics, la corruption, la montée de l’islamisme et le délitement des Etats qui ont gangrené l’ensemble de la région. Des ports mauritaniens de Nouakchott et de Nouadhibou jusqu’à Bamako, au Mali, et Niamey, au Niger, du Sud lybien aux banlieues de Dakar, l’Afrique de l’ouest est devenue une marmite explosive. Mais qui se soucie du sort du Sahel dans un monde miné par la crise ?

Le pouvoir français a pourtant le sentiment du « devoir accompli ». François Hollande s’est ainsi rendu à Tombouctou, comme l’analyse toujours Nicolas Beau, sous les vivats d’une foule africaine bigarrée et chaleureuse. Qu’importe l’histoire tourmentée du Mali ! Avec l’armée comme seule boussole, le président français a gagné sa guerre contre le « terrorisme », l’expression usée des néoconservateurs américains. Pourquoi une poignée de « katibas » régnant sur à peine quelques milliers d’âmes aurait imaginé le projet insensé de prendre le pouvoir dans un pays de quinze millions d’habitants, grand comme deux fois la France ? Les militaires français n’avaient-il pas les moyens, comme le président malien l’avait demandé, de bloquer les routes d’accès à Bamako sans investir le nord du pays et en favorisant un compromis politique ? L’opération Serval s’est inscrit clairement dans la filiation des quarante-huit opérations militaires menées par la France en Afrique depuis les années des indépendances. La mise en scène de ces interventions, plus sophistiquées que ne l’était celles expéditions coloniales, est décrite par l’universitaire Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, dans un scénario en cinq séquences.

Soutien aux pouvoirs en place, pillage des ressources, cécité face au trafic de stupéfiants, exportation d’un pseudo-modèle démocratique : le bilan politique de la présence française au Sahel a été escamoté par la France socialiste. Assiste-t-on, pour autant, au retour de la Françafrique ? Cette expression, que l’on doit au premier président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, créée pour saluer « une communauté de destin » entre la France et l’Afrique, est désormais synonyme du pire : l’existence d’une diplomatie parallèle, la concussion des dirigeants français et africains, l’utilisation discrète des caisses noires, etc… Comme l’analyse Nicolas Beau, François Hollande n’a cédé à aucune de ces dérives, contrairement à ces prédécesseurs. Il reste que des chefs d’Etat africains usés jusqu’à la corde ont été sollicités, choyés, récompensés par la France socialiste pour les besoins de l’opération militaire. En tête de ces vieux chevaux de retour se trouvent le Tchadien Idriss Déby Itno et le Camerounais Paul Biya.

L’intervention au Tchad aux côtés de l’armée française a permis au président Idriss Déby, d’être porté aux nues par les militaires français, sacré par le magazine « Jeune Afrique », pilier de la Françafrique, comme « le parrain sécuritaire de la région ». Il est vrai que ce sont les soldats tchadiens, trente-sept tués au total, qui ont permis de pourchasser les djihadistes dans les impénétrables massifs montagneux. Du coup, Idriss Déby, qui se rêve comme le nouveau Kadhafi, a pu provoquer en toute impunité un coup d’Etat contre le président François Bozizé en Centrafrique au début 2013, sans que la France ne proteste, alors que les ressortissants français sont désormais terrorisés à Bangui, et que se profile cette nouvelle intervention militaire. De plus, le régime tchadien peut, en toute tranquillité, emprisonner à nouveau ses opposants. Que vaut-il mieux entre la torture, version Déby, et la charia, à la sauce d’Aqmi, l’un alimentant l’autre ?

Il s’avère également que la France socialiste est au mieux avec le Cameroun, depuis la libération des sept touristes français pris en otage à la frontière du Nigéria. Très actif pour aider la France, le président Pau Biya, au pouvoir depuis quarante ans et qui a brillé dans les affaires pétrolières par ses compromissions avec le groupe Elf, s’est refait une virginité auprès de l’Elysée. « On reprend le président camerounais au téléphone », lâche, laconique, un conseiller de Laurent Fabius. Et tant pis si certains, au sein des services français, s’interrogent sur le montage de cette étrange prise d’otages et son dénouement heureux…

Un dessous des cartes qui est intéressant également à analyser, dans cette affaire. Ainsi, quoi qu’il en soit, les Français en ont assez de voir le chef de l’Etat, empêtré dans son absence de charisme, jouer au bonneteau devant eux, tout en sortant de ses poches trouées, un pseudo-génocide au fin fond de l’Afrique, des interventions mal ficelées et aux conséquences désastreuses, une pseudo-réforme sociétale, un projet fumeux de grande réforme fiscale, ou tantôt une fausse solution pour régler le plus vieux métier du monde. Pour paraphraser Thierry Desjardins, la diversion et l’amateurisme, ça suffit !

   J. D.


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