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Hayek : Nouveaux essais de philosophie, de science politique, d’économie et d’histoire des idées

Publié le 03 décembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Analyse

Hayek : Nouveaux essais de philosophie, de science politique, d’économie et d’histoire des idées

Publié Par Damien Theillier, le 3 décembre 2013 dans Lecture

Cet ouvrage composé de 25 textes de conférences prononcées à diverses occasions est l’idéal pour s’initier à la pensée de l’un des plus grands penseurs du libéralisme contemporain.

Par Damien Theillier.

Hayek
Les Nouveaux Essais, publiés dans la collection que dirige Alain Laurent aux Belles Lettres, font suite aux Essais, déjà traduits par Christophe Piton dans la même collection en 20071.

Ce volume contient un ensemble de 25 articles de Hayek datant pour l’essentiel du début des années 70 et qui ont formé la base de son grand ouvrage de synthèse Droit Législation et Liberté, publié en trois tomes dans les années 80. Il s’agit souvent de textes de conférences prononcées à diverses occasions. Le propos y est concis, pédagogique. Rien de tel pour s’initier à la pensée de l’un des plus grands et des plus originaux penseurs du libéralisme contemporain. Un penseur original, en effet, capable de surprendre son lecteur, de le conduire à ses conclusions par des chemins insoupçonnés, prenant toujours à revers la pensée dominante. Parmi les nombreux thèmes qui composent l’ouvrage, nous en retiendrons trois principaux : la critique du rationalisme constructiviste, la critique de la justice sociale et la critique de Keynes.

La critique du constructivisme

Un premier thème est d’ordre épistémologique, il concerne la critique de ce que Hayek appelle le « constructivisme » (Les erreurs du constructivisme, chapitre I, p. 25 à 52). Ce terme a été introduit par Hayek pour désigner une manière spécifique de penser l’ordre social comme « une construction rationnellement orientée vers un but. » La majeure partie du travail de Hayek a consisté en une reformulation théorique extrêmement novatrice de la philosophie sociale qui sous-tend le libéralisme classique. Il souligne que la connaissance de l’économie est en elle-même insuffisante pour la compréhension de l’ordre d’une société libre. Pour Hayek, le point de départ de la théorie sociale est « la compréhension du fait que tout ordre qui résulte du jeu réciproque d’actions humaines ne résulte pas d’un dessein ». Autrement dit, il faut présupposer l’ignorance irrémédiable et constitutive à la fois des acteurs sociaux et du savant qui étudie l’ordre social. Ainsi la capacité d’une société à atteindre ses objectifs ne dépend pas seulement de sa connaissance des relations causales mais aussi de sa capacité à agir en suivant des règles (droit, morale, coutumes) qu’elle peut énoncer sans toutefois en saisir l’origine. En effet, ces règles ne sont pas le résultat d’un choix conscient et délibéré mais d’un processus de sélection et de concurrence entre les groupes.

Or le positivisme philosophique a tendance à évincer toutes les valeurs ou les normes comme des objets sans rapport avec les faits, comme des objets « métaphysiques », dépourvus de sens, injustifiables rationnellement. On observe cette tendance chez Auguste Comte mais aussi chez Max Weber et la plupart des sociologues. Seule la compréhension des relations de cause à effet est reconnue comme valide, objective et digne d’intérêt pour le savant.

Mais le modèle hayekien est celui de la « catallaxie », un ordre engendré par l’ajustement mutuel d’actions individuelles qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats. Les gouvernants ne pouvant détenir l’ensemble des informations en circulation et ne pouvant les traiter, toute prétention à organiser scientifiquement la société et le marché est une illusion. En revanche le libre marché permet d’atteindre un niveau de complexité et de performances qu’aucune démarche rationnelle organisée n’est capable d’atteindre.

Ce point de vue remet en question toutes les théories positivistes, que Hayek appelle « rationalisme constructiviste », selon lesquelles l’homme, par son savoir, serait capable de maîtriser le fonctionnement de la société et de la modifier comme une matière brute.

La critique de la justice sociale

Un second thème est celui de la justice sociale. Dans l’essai intitulé « L’atavisme de la justice sociale » (chapitre V, pages 101 à 116), Hayek explique pourquoi cette expression à la mode ne peut avoir le moindre sens mais aussi pourquoi toute tentative d’instaurer la justice sociale est incompatible avec une société fondée sur des « règles de juste conduite ».

Dans une société moderne pluraliste, la complexité de l’activité sociale et économique rend impossible la coordination centralisée des activités diverses des individus. La seule justice qui s’applique dans un tel ordre, c’est donc la justice négative : le fait de savoir si un individu s’est ou non soumis aux règles générales de juste conduite. Autrement dit, la justice ne réside pas dans le résultat d’une action mais dans la manière dont cette action est conforme aux règles communes. Ces règles doivent être abstraites c’est-à-dire formelles, universelles et applicables à tout individu sans considération d’appartenance à un groupe particulier. Leur finalité est de protéger la liberté d’action des individus et des groupes tant contre l’arbitraire du pouvoir (y compris contre celui d’une majorité démocratique) que contre les empiétements d’autrui. Dans ce cadre le seul rôle du gouvernement consiste à énoncer ces règles (ce qui ne veut pas dire les inventer) et à les faire respecter.

Une société ouverte, à la différence d’une tribu, est une société qui repose sur des règles abstraites. « La grande avancée qui rendit possible le développement de la civilisation et, finalement, de la société ouverte, fut la substitution de règles abstraites de juste conduite à des fins précises obligatoires. » Au contraire, lorsque des récompenses sont accordées à des groupes particuliers, en fonction de critère arbitraires parce qu’indéfinissables (comme le mérite), on régresse nécessairement vers la société primitive ou la société tribale, explique Hayek.

Le débat avec Keynes

Dernier grand thème, le débat avec Keynes. Depuis 2008, les œuvres de Hayek sont revenus au sommet de la liste des best-sellers aux États-Unis. Il faut dire que les travaux de Hayek éclairent tout particulièrement la crise financière actuelle. Sur ce point, on lira avec profit le long essai consacré à Keynes (La campagne contre l’inflation keynésienne, chapitre XIII, p. 283-337), dans lequel Hayek revient sur les points fondamentaux qui l’opposent à son ancien collègue et ami. Pour Keynes la relance de l’économie passe par l’inflation. À long terme, lui répond Hayek, l’inflation produit du chômage et surtout, elle fausse les prix du marché, induisant les acteurs économiques en erreur et empêchant la ré-allocation optimale des ressources. Autrement dit les plus graves dysfonctionnements du marché ont des origines monétaires d’une part (augmentation de l’offre monétaire par le crédit à taux bas) et étatiques d’autres part (puisque la banque centrale, qui manipule la monnaie et les taux d’intérêts, est une institution publique). D’où le plaidoyer de Hayek pour la mise en concurrence des banques centrales et de leurs monnaies, y compris avec l’or, le tout fondé sur une théorie des prix comme signaux et de la concurrence comme procédure de découverte.

En effet, le marché et la détermination des prix par la concurrence fournissent un procédé de découverte qui rend possible une transmission d’informations plus vaste et plus précise qu’aucun autre système connu. L’information est fondamentale dans l’ordre de l’efficacité économique car c’est elle qui produit des incitations et qui améliore l’adaptation aux circonstances toujours changeantes du monde dans lequel nous vivons. En définitive, le système des prix constitue le seul mécanisme de coordination à la fois juste et efficace entre l’offre et la demande.

Pour finir, on lira avec profit les trois essais d’histoire de la pensée, consacrés respectivement à Bernard Mandeville, Adam Smith et Carl Menger (le fondateur de l’école autrichienne d’économie). Signalons également l’intéressant essai intitulé « libéralisme », écrit à l’origine pour une encyclopédie italienne. Cet article de synthèse permet de se faire une idée précise de la manière dont Hayek, à la suite de Ludwig von Mises, recompose le libéralisme, à partir d’une philosophie morale, d’une philosophie du droit et d’une épistémologie. Ainsi il n’y a rien de commun entre le libéralisme, tel que Hayek le définit, et la loi du plus fort, ou la loi de la jungle : il s’agit là d’un contresens fondamental. Le libéralisme est bien plutôt la marque du progrès social parce qu’il favorise le pluralisme, il laisse les acteurs sociaux utiliser leurs propres connaissances et poursuivre leurs propres buts librement dans le respect des règles communes. Au contraire, les sociétés planifiées sont des sociétés tribales, des sociétés fermées, dans lesquelles l’ordre est imposé uniformément par le haut, déresponsabilisant ainsi les individus.

Dans sa généalogie historique du libéralisme, Hayek mentionne l’apport fondamental de la pensée gréco-romaine, de la scolastique médiévale et de la tradition whig anglaise. On regrettera en revanche l’étrange absence de l’école française d’économie politique (à part quelques allusions), pourtant antérieure à Adam Smith, et qui a connu son apogée au milieu du XIXe siècle avec Bastiat et le Journal des Économistes.

Friedrich Hayek, Nouveaux essais de Philosophie, de Science politique, d’économie et d’histoire des idées, traduction Christophe Piton, Les Belles Lettres, 2008.


Sur le web.

  1. Friedrich Hayek, Essais de philosophie, de science politique et d’économie, traduction Christophe Piton, les Belles Lettres, 2007.
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