Magazine Politique

Rendez-vous à la prochaine révolution…

Publié le 03 décembre 2013 par Gonzo
hashem

Au milieu de la photo, l’éditeur Mohamed Hashem regardant le poète Fouad Nagem, dont on vient d’annoncer le décès.

Au temps où on l’on condamne à plus d’une décennie de prison des jeunes femmes qui ont à peine plus de vingt ans parce qu’elles ont manifesté en faveur d’un président légalement élu, et à présent que les victimes de la répression du pouvoir égyptien ne sont plus désormais les seuls militants et militantes de l’islam politique mais également des activistes pour lesquels l’opinion internationale est plus encline à manifester sa sympathie, il est temps de revenir sur les mots de l’éditeur égyptien Mohamed Hashem, signalés il y a un mois et demi de cela.

Créateur, en 1998, des éditions Merit, Mohamed Hashem s’est donné pour mission, à travers sa maison d’édition, d’offrir plus de liberté aux écrivains de son pays, et à leurs lecteurs. Très loin des figures médiatiques trop facilement associées aux fièvres révolutionnaires cairotes, il offre le témoignage désespéré de ce qu’Antonio Gramsci appelait un intellectuel organique.

Le texte proposé ci-dessous a été mis en ligne sur sa page Facebook, le 16 octobre dernier. Depuis, c’est le silence, et sans nul doute la douleur et même le désespoir, partagé par bien de ses concitoyens, au regard de ce qui se passe. Dans sa formulation arabe, cet adieu – cet “au revoir” – laisse transparaître une émotion, un désarroi, presque palpables dans la manière dont ce texte a été rédigé. J’ai tenté de le communiquer autant que possible dans ma traduction de ce texte qui me paraît très important pour l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Egypte actuelle.

Je vais présenter une demande de visa : je n’en peux plus de ce tapage de l’«Association des faiseurs de tyrans », de ses piaillements perpétuels pour mieux dévaloriser une révolution qui reste pourtant ce qui a le plus de prix dans la vie des Egyptiens, pour un peuple qui rêve d’un gouvernement durable, « ni civil, ni militaire »…

Le cauchemar de l’exil volontaire va devenir réalité en ce qui me concerne, mais cela vaut cent fois mieux que de devoir mettre ma signature, au nom de la révolution, à côté de celle de tous les rejetons d’Aboul-Foutouh, spectres du terrorisme politique au nom de la religion (et cela ne concerne pas que les Frères [musulmans]). Sommes-nous donc condamnés à subir une élite incapable de voir et d’apprendre ? Qui se contente de débiter de jolis mensonges et qui travaille sur des bases totalement étrangères à la révolution et aux rêves que forment les plus pauvres ?

Tout de même, il me reste l’honneur de ne pas avoir à me joindre à la clique des idolâtres du général Sissi, une clique menée par une bande de pilleurs indécents de mots et de slogans, des gens pour qui “patriotisme” signifie se la fermer et “rêver”, se contenter de ce que le despote éclairé de demain jugera bon pour nous.

Respecter le rôle joué par [le général] Sissi quand il a soutenu la révolution populaire le 30 juin [2013] et qu’il a fait face au terrorisme de l’islam politique, ce n’est pas assez pour pour que j’accepte tout simplement un gouvernement à caractère militaire avec le général comme président au nom du slogan « C’est lui ou le chaos ». Faut-il que le désespoir et l’impuissance règnent dans les esprits pour que le peuple souhaite ainsi le retour de l’option militaire après une révolution destinée à mettre un terme à près de 60 années de gouvernement militaire ! Comme si la révolution avait eu lieu pour se débarrasser des agriculteurs ou des vétérinaires !!!

Tout de même, je ne peux m’empêcher de ressentir de la tristesse et de la peine en voyant de grands écrivains, de grands intellectuels, participer à la promotion de la solution militaire comme unique solution magique face à la « frérisation de la nation », l’équivalent de l’excommunication religieuse exercée par les Frères.

Quitte à en mourir, je m’opposerai à choisir entre la continuité militaire et l’exploitation du religieux. L’Egypte mérite mieux.

Tant que les forces qui croient en la révolution ne s’uniront pas autour d’un candidat civil unique, il faudra subir cette confrontation imbécile entre l’alliance civilo-religieuse « révolutionnaire » (…) et une institution militaire qui n’a pas confiance dans le pouvoir du peuple à produire ce qui est à la hauteur de ses rêves de liberté, de dignité et de justice. Elle a fidèlement (cette institution militaire) soutenu Shafiq, la création de Moubarak, puis l’alliance de la droite, Morsi, le candidat des Frères, et maintenant elle veut faire de Sissi l’« unique solution (sinon, la ‘frérisation’) ».

Je voudrais aussi dire combien je suis dégoûté et peiné de constater que de larges secteurs du monde des supporters de foot continuent à se vendre aux groupes qui se fondent sur l’excommunication.

Je pars à l’étranger parce que je ne trouve rien qui exprime l’âme de la révolution au milieu de ces groupes d’intérêts rivaux.

Je m’excuse auprès des amis avec lesquels j’ai préparé la “Conférence des intellectuels” de ne pas poursuivre ce que nous avions entamé et de leur laisser les rêves de ceux qui ont écrit, dans les gouvernorats ou au Caire, pour la défense de leur droit à une culture indépendante des calculs ou des envies du décideur du moment, ou encore des évolutions du pouvoir politique.

La gestion de [la maison d'édition] Merit reviendra à un de ses auteurs et quant à moi, je travaillerai et je collaborerai d’au-delà de cet endroit que je n’aurais pas quitté s’il n’y avait eu cette accumulation de dégoût.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines