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La foi de Nelson Mandela

Publié le 07 décembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Actualité

La foi de Nelson Mandela

Publié Par Guy Sorman, le 7 décembre 2013 dans Afrique

L’itinéraire de Mandela fut dicté par sa foi chrétienne, un cheminement qui le conduisit de la violence à la rédemption.

Par Guy Sorman.

Nelson Mandela

Nelson Mandela eut plusieurs vies : militant communiste, prisonnier pacifiste, Président charismatique. Il fut aussi le seul récipiendaire du Prix Nobel de la Paix à recevoir au préalable le Prix Lénine, puis la Médaille de la liberté, la plus haute distinction américaine. Quel fil rouge a bien pu relier toutes ses vies successives et d’apparence quelque peu contradictoire ? On risquera ici une hypothèse que confirmeraient certainement ses geôliers, puis les Afrikaners qui négocièrent avec lui la fin de l’apartheid : l’itinéraire de Mandela fut dicté par sa foi chrétienne, un cheminement qui le conduisit de la violence à la rédemption.

Mandela chrétien ? J’acquis cette conviction lors d’une unique rencontre à Johannesburg en 1992 : le rayonnement de Mandela, auquel tous ses interlocuteurs furent sensibles, me parut d’ordre mystique plus que politique. Mandela, bien entendu, était chrétien ainsi que la plupart des Sud-Africains, quelle que soit la couleur de leur peau. Les pionniers Afrikaners, qui avaient fondé ce pays, se percevaient comme une tribu d’Israël en exil : ils étaient et ils restent conditionnés par leur lecture assidue de l’Ancien Testament. C’est avant tout cet Évangélisme-là qu’ils ont répandu en Afrique du Sud. La réconciliation entre le mouvement national africain, l’ANC, inspiré plus que présidé par Nelson Mandela, avec Frederik de Klerk, le Président sud-africain jusqu’en 1991, fut sans conteste possible un acte de foi partagé entre deux hommes appartenant à une même confession chrétienne. Le blocus économique du pays par l’Occident a contribué à la fin de l’apartheid mais ne l’a pas déterminé : ce n’est pas le boycott des oranges sud-africaines par les consommateurs européens et américains qui eut raison de l’apartheid, mais le Christ ou plus exactement, la croyance en Lui.

La foi aussi explique et elle éclaire le chemin qui a conduit Mandela du communisme à la démocratie libérale et de l’action violente à la réconciliation pacifique. Rappelons qu’en 1962, Mandela fut condamné à la prison à perpétuité pour avoir organisé des attaques à la bombe contre des postes de police, laissant plusieurs victimes dans leur sillage : Mandela fut condamné pour un crime bien réel. L’ANC, à l’époque où Mandela y occupait une fonction éminente mais pas majeure, était une branche du Mouvement communiste international ; avec le soutien de l’Union soviétique, elle préconisait la violence révolutionnaire. L’incarcération de Mandela fut politiquement injuste, mais elle était légalement fondée : ce que lui-même n’a jamais nié. En prison, il cessa de croire en la Révolution et au communisme. Fut-ce parce que l’URSS s’effondrait, ce que les adversaires de Mandela ont cru à l’époque ? Ou au terme de sa méditation personnelle ? On penchera pour la méditation : la cellule de Mandela à Robben Island, encombrée de ses livres et de ses manuscrits, fut monacale autant que carcérale.

On sait que dans cette cellule, outre le Christ, la mémoire d’un autre prophète visita Mandela : le Mahatma Gandhi, qui fut avocat en Afrique du Sud, tout comme l’avait été Mandela. En Afrique du Sud, dans la communauté indienne de Durban, Gandhi, directement inspiré par le Sermon de la Montagne, ainsi qu’il l’a reconnu, conçut et appliqua la Non violence pour triompher du racisme des Blancs. Ce que Gandhi comprit et que Mandela reprit à son compte : la Non violence et la force de la Vérité (Satyagraha) s’avèrent plus efficaces que la confrontation violente, mais à condition d’opérer dans une société qui partage les mêmes valeurs chrétiennes et humanistes. Comme Gandhi, Mandela fit donc appel à la mauvaise conscience des Blancs, en Afrique du Sud et en dehors : c’est ainsi que Gandhi avait en son temps été « reconnu » par les Britanniques comme le leader de l’indépendance indienne, alors même que les Indiens ne l’avaient pas encore désigné comme tel. Mandela, qui n’était pas le Président de l’ANC, en raison de son rayonnement international, fut « reconnu » en dehors de l’Afrique du Sud, comme l’avait été Gandhi, avant de l’être à l’intérieur, comme le leader évident de la libération nationale. Notons, à ce seuil, le rôle éminent de l’évêque anglican Desmond Tutu qui s’évertua avec succès à persuader les fidèles protestants aux États-Unis et en Grande-Bretagne, que la fin de l’apartheid était un devoir ethnique et que Mandela l’incarnait.

La foi chez Mandela a permis la réconciliation non seulement des Noirs avec les Blancs sous un même drapeau national, mais – ce que l’on néglige souvent, vu d’Europe – la réconciliation entre les peuples Noirs. Car du temps de l’apartheid, l’hostilité entre les Xhosas (l’ethnie de Mandela) et les Zoulous (l’ethnie du président actuel, Jacob Zuma) était au moins aussi vive qu’entre Blancs et Noirs : au temps de l’apartheid, les Zoulous se rallièrent souvent aux Blancs contre les Xhosas, de même que les minorités indiennes et métisses. L’Afrique du Sud était et reste un puzzle ethnique qui compte non pas plus de deux camps adverses mais une myriade.

Quoi de plus chrétien enfin que la Commission pour la Vérité et la Réconciliation, fondée par le Président Mandela et présidée par Desmond Tutu ? Au lieu de vengeances et de règlements de comptes, attendus et redoutés après des années de violences interraciales, cette Commission fut basée sur la confession et le pardon : la plupart de ceux qui acceptèrent de reconnaître leur faute, voire les crimes commis au nom de l’apartheid ou contre l’apartheid, Blancs et Noirs, furent amnistiés. Nombreux, à l’exception des crimes les plus graves, furent ceux qui s’en retournèrent à la vie civile, exonérés par leur aveu.

Si l’on contemple l’histoire du vingtième siècle, les hommes d’État qui améliorèrent notre monde et dont le nom mérite d’être retenu, bien peu nombreux, furent mus par la foi, une foi religieuse ou quasi religieuse, non par une idéologie : paradoxe d’un temps que l’on dit laïc mais, en vérité, hanté par la transcendance ou son désir.


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