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Desinformation medicale

Publié le 09 décembre 2013 par Dominique Le Houézec

DESINFORMATION MEDICALE

AHORITA "words fly away, writings remain"


"Verba volant, scripta manent" 

(les paroles s’envolent, les écrits restent) 
Caius TITUS au Sénat romain






Si dans un livre, on trouve une affirmation fausse ou idiote, cela signifie que quelqu’un l’a écrite, qu’elle a été imprimée et que le livre a été commercialisé. Si l'on trouve ce livre en bibliothèque, cela signifie que les bibliothécaires n’ont pas lu cette affirmation ou que, l’ayant lue, ils ne se sont pas rendu compte de l’énormité de ce qui était écrit ou bien qu’ils ont considéré que ce livre, avec cette affirmation fausse ou idiote, méritait d’être disponible dans la bibliothèque. Cela signifie aussi que les premiers lecteurs n’ont pas arraché les pages ou griffonné des annotations rageuses ou au moins mis de nombreux post-it pour mettre en garde les lecteurs suivants.


Dans le  livre de René Frydman et Christine Schilte « En attendant bébé » [1], on lit page 30: "Parmi les vaccins obligatoires, ceux contre la variole, la rubéole, la coqueluche, la  poliomyélite ainsi que le BCG sont totalement contre-indiqués par voie buccale". Est-il besoin de rappeler qu’en 2008, le vaccin contre la variole n’était plus obligatoire depuis des années et que les vaccins contre la coqueluche et la rubéole n’ont jamais été obligatoires. Faut-il rappeler aussi qu’ils ne sont pas administrés par voie buccale?
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Page 239, après avoir dit que certains vaccins sont déconseillés pendant la grossesse,  les mêmes auteurs écrivent: "Par contre, le  vaccin contre le tétanos, à condition que ce vaccin soit fait de virus inactivés, est parfaitement autorisé". A condition que ce vaccin soit fait de virus inactivés ? Mais ce vaccin n’a jamais contenu de virus inactivés. Même s’il est dangereux de faire des prévisions (surtout quand elles concernent l’avenir !), je crois qu’il est infiniment peu vraisemblable et pour tout dire, je crois qu’il est exclu que cela arrive dans les 200.000 prochaines années.


Mais je voudrais attirer l’attention sur une autre affirmation. Une affirmation en apparence moins folle mais dont je pense qu’elle est beaucoup plus grave. En 2009, un dictionnaire médical important, le dictionnaire Garnier-Delamare, affirmait alors que le SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) est une "pneumonie atypique extrêmement contagieuse"En 2012, dans sa 31ème édition, le dictionnaire reproposait la même définition et répétait que cette maladie est extrêmement contagieuse. [2]
Or s’il est vrai que le SRAS est une  pneumonie atypique, il est faux qu’elle soit extrêmement contagieuse. Lorsque la maladie s’est manifestée en 2003 en Chine beaucoup de gens ont eu très peur. Cette peur était bien compréhensible devant une épidémie qui était nouvelle, inattendue, surprenante et dont on ne connaissait pas l’agent infectieux. Et cette peur a été accrue par le sentiment (justifié) que les autorités chinoises ne disaient pas tout.
Mais cela se passait en 2003. Or la maladie a été stoppée en quelques mois et elle a été stoppée parce que les mesures d’isolement et de surveillance ont été bien appliquées, mais aussi parce que la maladie n’était pas très contagieuse. Et cela a été compris très vite. Le 23 mai 2003, la revue Science mettait en ligne plusieurs articles qui seront publiés en juin . Tous  les articles sont sérieux et il n’est pas possible, après les avoir lu, de dire que le SRAS est extrêmement contagieux et d’en rester là. Chris Dye et Nigel Gay écrivent notamment: Their main message is that this new coronavirus is sufficiently transmissible to cause a very large epidemic if unchecked, but not so contagious as to be uncontrollable with good, basic public health measures[3]. lls écrivaient donc en mai et juin 2003 que le coronavirus est suffisamment contagieux pour entraîner une épidémie très importante si on ne fait rien, mais pas contagieux au point de n’être pas accessible à de bonnes pratiques de base de santé publique. 
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Et on peut dire qu’à partir de ces articles et donc de juin 2003, il n’est plus possible d’affirmer que la maladie est extrêmement contagieuse sans  être un ignorant ou un fou ( ignorant et fou, dans ce domaine bien évidemment ce n’est pas un auteur ou un livre que je mets en cause mais une affirmation ).
Des amis auxquels j’ai fait lire ce texte m’ont tous dit que j’avais raison. Il est bon de faire remarquer des erreurs si on les constate. Mais très vite ils se sont divisés en deux groupes. Les uns affirment que les élucubrations sur les vaccins sont bien pires que l’affirmation sur l’extrême contagiosité du SRAS, les autres affirmant le contraire.

- Arguments des premiers:
C’est un livre qui s’adresse à tout le monde. Certains de ceux qui le liront n’ont pas les connaissances suffisantes pour se rendre compte qu’il dit n’importe quoi. Si des auteurs disent n’importe quoi sur les vaccinations des femmes enceintes, c’est que eux-mêmes ne se sont pas bien informés et c’est qu’une information claire et précise n’est pas disponible partout.
-  Arguments des seconds:
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Si un dictionnaire largement diffusé dans les facultés de médecine n’est pas davantage combattu et neutralisé, c’est le signe que les enseignants en faculté ne se préoccupent pas trop de savoir dans quel environnement culturel baignent les étudiants et de ce qu’ils apprennent ailleurs que dans les cours.
Mais de façon plus générale, la médecine se veut et se croit scientifique et ces histoires de contagiosité et de transmission, ça fait un peu archaïque.
Le SRAS peut être grave et entraîner la mort. Pour des raisons compréhensibles, nous avons peur des maladies graves et nous avons  tendance à confondre gravité et risque de contagion.
De plus, les étudiants n’ont pas été assez informés du fait que la lèpre n’est pas très contagieuse (et que l’isolement et les léproseries ont été une horreur injustifiable) et que la variole n’était pas très contagieuseIl est difficile de commencer à introduire de  la  mesure et de  la  modération dans un domaine où très  longtemps l’idéologie et les émotions ont fait la loi.
Je suis donc plutôt d'accord avec les seconds. Le premier livre dit des stupidités aux femmes enceintes. Ces stupidités sont sans conséquences à moins que la femme enceinte rencontre un médecin qui aurait lu ce livre et qui y croit. Mais le second dit en substance, je me fiche de réfléchir à ce qu'est le degré de contagiosité d'une maladie infectieuse, j'affirme n'importe quoi et je vous invite, vous étudiants en médecine, à vous en foutre vous aussi, d'autant plus que les enseignants et les bibliothècaires et les générations précédentes s'en sont fichu. Oui, ce second message est bien plus nocif.


Jean-Pierre LELLOUCHE
1. René Frydman et Christine Schilte. "Attendre bébé". Editions Hachette Pratique, 20082. Jacques Delamare. Dictionnaire abrégé des termes de médecine (6e édition). Maloine, 20123. Chris Dye, Nigel Gay. Modeling the SARS Epidemic. Science 20 June 2003, Vol. 300, N°5627 : 1884-1885 

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