Magazine Histoire

Pour une nouvelle périodisation de l’histoire occidentale

Par Monarchomaque

L’extrait d’article suivant est théoriquement « paru » dans les Dossiers Histoire et civilisation (vol. 5, n° 1), la revue du programme Histoire et civilisation du Cégep de Sherbrooke, à l’automne 2011. Entendu que cette revue devait supposément être enregistrée aux Archive nationales du Québec et qu’elle ne l’est toujours visiblement pas, qu’un nombre très restreint d’exemplaires papier de cette revue ont été imprimés, que les responsables de ladite revue ne rendent pas son contenu accessible sur la toile tel qu’annoncé, et que je suis l’auteur de cet  extrait d’article, je m’autorise à le publier ici.

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Antiquité jusqu’en 476, Moyen Âge jusqu’en 1492, puis Renaissance. Ce découpage anecdotique, que l’on connaît depuis notre enfance, nous apparaît inquestionnable. Pourtant, il n’a pas toujours existé. C’est Pétrarque qui, au milieu du XIVe siècle, inventa l’expression Moyen Âge (medium tempus) pour désigner un âge intermédiaire entre l’Antiquité et le retour à celle-ci. Oracle autoproclamé du bon goût, il dénigra systématiquement les siècles le précédant pour mieux magnifier l’Antiquité romaine qu’il revendiquait pour ses contemporains italiens. Homme engagé dans les controverses de son temps, Romain d’adoption, il fut d’abord impliqué dans une vive querelle contre la papauté d’Avignon  puis adhéra ensuite au rêve gibelin de l’Empire universel, héritier de la Rome antique. On comprend que le « retour à l’antique » fut, chez son premier et principal propagandiste, motivé par des préoccupations polémiques[1].

Le concept de « Renaissance », telle que nous la concevons actuellement, pour désigner toute une époque, a quant à elle été fabriquée cinq siècles après que les courtisans italiens, pour flatter leurs mécènes, se targuaient de vivre des années d’exception[2]. Jules Michelet, historien français renommé du XIXe siècle, a pesé lourd dans l’accréditation de le la notion de Renaissance pour désigner le XVIe siècle en intitulant (en 1853) le tome de son Histoire de France couvrant cette période par ce qualificatif encenseur. Le terme existait avant lui, mais c’est surtout Michelet qui l’a transformé en concept historique : « nous sommes, encore aujourd’hui, les héritiers de la manière dont Michelet nomma le temps. […] La coupure dramatique que Michelet établit entre le Moyen Âge et la Renaissance s’explique à la fois par des raisons politiques et poétiques, éditoriales et personnelles[3]. »

Au niveau des arts et des belles-lettres, l’idée de renaissance est à l’ordre du jour « dès le XIVe siècle, notamment avec Pétrarque (mort en 1378), non seulement en Italie, mais aussi au nord des Alpes […] Du moins devrait-on considérer, comme y invite Jacques Chiffoleau, que les avancées créatrices ne cèdent pas aux sombres couleurs de la fin du Moyen Âge, mais qu’elles sont consubstantielles les unes aux autres[4]. » Ce constat d’une lente et progressive évolution conduit à reformuler l’articulation entre le Moyen Âge et la Renaissance en termes de longue durée.

L’on se rend compte que la plupart des accomplissements que l’on attribue à la Renaissance s’inscrivent plutôt dans un contexte de continuation de ce qui avait été amorcé au Moyen Âge, la Renaissance serait donc l’aboutissement d’un long processus entamé beaucoup plus tôt. Ceci nous permet de remettre en question le bien-fondé du découpage historique officiel. Assurément, il ne s’agit pas de faire abstraction des changements qui démarquent les deux périodes, mais l’on pourra à l’avenir s’interroger si ces discontinuités sont assez significatives pour justifier un « changement d’époque ». D’autre part, l’on peut se demander si le découpage en vigueur, apprécié pour sa commodité pédagogique, n’est pas en réalité devenu un encombrement, un obstacle à la réelle compréhension des phénomènes étudiés.

Il faut comprendre qu’il n’est pas gravé dans les cieux que les époques successives de l’histoire sont autre chose que la schématisation mentale que l’on s’en fait et qu’elles ne correspondent pas immuablement à la chronologie qu’on leur a assignée. Ce sont les hommes, qui, en étudiant leur passé, décèlent des traits qui semblent caractériser certains siècles plus que d’autres, et qui décident de compartimenter l’histoire de façon à la rendre plus intelligible. Or, si les générations ultérieures, en reprenant le travail de leurs prédécesseurs, réalisent que ce travail n’a peut-être pas été bien effectué la première fois (parce que les sources étaient lacunaires, la démarche biaisée et les préconceptions réductrices), il est adéquat qu’elles se dotent d’une historiographie renouvelée, ce qui peut impliquer le remplacement des découpages anciens par une nouvelle chronologie.

[...]

[1] Jacques HEERS, Le Moyen Âge : une imposture, Paris, Perrin, 2008, p. 55-58.

[2] Ibid., p. 77-83.

[3] Patrick BOUCHERON, « Il a inventé la Renaissance », L’Histoire, no 363, avril 2011, p. 64.

[4] Jérôme BASCHET, La civilisation féodale – De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, Flammarion, 2004, p. 244.


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