Prenons le monde en mains !
Publié Par Pierre Chappaz, le 12 décembre 2013 dans Sujets de sociétéÀ l’opposé des intellectuels qui pontifient sur les dangers de la modernité numérique, Michel Serres se régale des mutations technologiques.
Par Pierre Chappaz.
J’ai eu le privilège d’assister à une conférence de Michel Serres à Genève il y a quelques jours. La lecture de La petite poucette m’avait déjà réjoui, mais je dois dire qu’à l’oral le philosophe est vraiment éblouissant.
Michel Serres, une pensée jubilatoire
À l’opposé des intellectuels officiels, qui pontifient sur les dangers de la modernité numérique, cet homme de 83 ans, à la culture impressionnante, développe une pensée jubilatoire. Il se régale de la mutation technologique. Le numérique change tout ! L’accès à l’information, révolutionné par les moteurs de recherche. Le rapport aux gens, rapprochés les uns des autres par les téléphones mobiles et les réseaux sociaux. Et même le rapport à l’Espace, puisqu’Internet vous permet d’explorer la planète entière, via Google Earth et d’autres services. Serres nous rappelle que l’Humanité à déjà connu des mutations comparables, quoique infiniment plus lentes : lors de l’invention de l’écriture, puis de celle de l’imprimerie. Ce que nous appelons tantôt crise, tantôt mondialisation, est en réalité une transformation pleine de promesses. Pour la première fois, les individus tiennent en main le monde entier, dans leur smarphone ! Le monde, c’est-à-dire, de nouveau, toute l’information, les gens et les lieux.
La petite poucette, cette jeune femme qui tape sur son smarphone avec ses deux pouces, est votre voisine, car elle habite le même espace virtuel que vous. Rappelons que toute la population de la planète peut être reliée par à peine plus de quatre niveaux d’ »amis ».
Moi qui travaille dans le secteur Internet, souvent à distance, relié à mes équipes dans le monde entier par les réseaux, je me reconnais évidemment dans la vision de Serres. Passionné par l’invention de nouveaux outils de communication, et des modèles économiques qui leur permettent de se développer, je suis un vieux petit poucet de 54 ans, connecté en permanence. Je tape aussi avec les pouces sur mon Iphone comme les petites poucettes.
Le numérique et la question des racines
Pourtant, une question me taraude. D’abord, que va-t-il advenir des générations qui restent en dehors de la mutation numérique ? Ensuite, si nous sommes tous connectés les uns aux autres à l’échelle planétaire, « tous voisins » comme dit Michel Serres, que reste-t-il de notre identité propre ? De notre culture ? De nos valeurs ? Serres n’a pas de réponse à ces questions. Il se contente de dire que nous développons de nouvelles logiques d’appartenance, de communautés d’intérêt ou d’opinion, ce qui est vrai. Il ajoute que l’idée de nation est obsolète, car nous n’avons plus d’ennemis… C’est un peu court.
Comment croire que le grand retour des questions identitaires ne serait qu’une crispation temporaire, née de la trouille des changements ? Nous ne vivons pas que dans le virtuel, comment nous entendons-nous avec nos vrais voisins, ceux qui habitent à côté de chez nous ? Les pays qui tirent le mieux leur épingle dans la mondialisation n’ont pas fait un trait sur leur passé. Ils s’appuient sur leur culture et leurs valeurs pour rayonner dans le monde.
Adoptons le changement numérique, mais conservons nos racines.
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