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Les mots, le silence et les étoiles

Publié le 01 janvier 2014 par Rolandlabregere

A force de servir à vendre, à séduire, à détruire, à jouer au président, à la marchande, au jeu du sens dessus dessous, les mots se sont usés plus vite que prévu. A trop mentir et à trop jouer au plus malin, les mots se sont perdus. Un matin tout ce qui compte dans la planète verbale fait le constat de la pénurie de mots. Plus de mot d’enfant, fin des mots d’auteur, disparus les mots doux, envolés les mots d’esprit, oubliés mots célèbres devant les pyramides ou échappés des Tontons flingueurs. Même les non-dits ont fait la malle. Plus personne n’avait de mot au bout de la langue. Tout le monde avait mal aux mots.

Comment en est-on arrivé là ? Puisqu’ils étaient maltraités, les mots se sont trouvés mal et ont décidé de tomber dans l’oubli. Les dictionnaires sont devenus des livres blancs. Les monuments aux mots n’ont plus de mémoire. A l’Arc de Triomphe, la flamme en l’honneur du mot inconnu s’est éteinte sans tambour ni trompette. Il n’est plus possible de dire quoi que ce soit dans les bureaux, les cafés, les autobus, les cours de récréation, les salles de classe, à la ville ou à la campagne, personne n’ose tenter de demander qui a bien pu dérober le dernier mot.

Nulle part dans le monde, les mots ne viennent plus à la bouche de quelqu’un. Pas un quidam pour avancer un mot au dessus de l’autre. Total Silence ! Plus de tohu-bohu à Honolulu, pas de babil dans la tour de Babel, fin des bavardages à Hagondange, pas de coup de tonnerre à Brest, pas un qui ne se marre à Colmar, pas une qui ne déconne en Argonne, loin du cœur loin de Lisieux, pas de cancan à Cancale, plus de murmure à Mururoa, trêve de confidences à Saint-Paul–de-Vence, fin des prises de bec à Perros-Guirec. A Landerneau tout fait silence ! Dans les journaux, les mots croisés sont rares. Les mots ont plié bagage.

Beaucoup de temps passa. Les mots ne revenaient pas à la vie. L’envie n’avait plus de mots pour se dire. Face à la crise imprévue des mots, dans le silence chargé d’angoisse, chacun fut d’abord tenté de faire un geste. Tout le monde était d’accord pour le geste. Personne n’y trouva à redire. Mais comment parler du geste à faire sans les mots ? Qui ne dit mot, consent ! dit-on pourtant.

Que faire donc pour retrouver le goût de la vie ? A beaucoup d’endroits dans le monde, on prit l’habitude de se réunir sur un mont, une colline, une éminence. Chacun faisait silence puisque les mots ne disaient plus rien. Chacun observait le ciel espérant apercevoir l’ombre d’un mot qui pourrait faire signe, la trace d’un mot perdu dans une traînée de lumière. Silencieusement, on s’inquiétait. Quand retrouverons-nous la joie portée par les mots ? Quand reviendra la ronde des mots ? Quand entendrons-nous encore les mots de l’amour au bout de nos doigts muets ? Quand nos yeux retrouveront-ils la douceur des mots câlins des petits matins ? Quand entendrons-nous à nouveau les chansons rebelles ? Quand retrouverons-nous l’odeur du pain chaud  et la chaude loi des hommes ? Tout le monde était gourmand de mots. Mais les magasins étaient vides !

Longtemps, le ciel ne révéla que de simples étoiles. Les mots ne se réveillaient pas. Peu à peu, l’angoisse gagnait la population. Ne plus rien se dire est bien pire que de se dire des vilénies. Le désir de mots devenait aussi fort que les mots du désir. Certains rêvaient même de dévorer les mots qui composent les livres. D’autres, affamés s’imaginaient manger des mots crus. Leurs voisins, plus gourmands pensaient mitonner de gros mots. Au même moment, les plus voraces ne mâchaient plus leurs mots. Les timides songeaient à demi-mot. La marchande des quatre–saisons imperturbablement continuait à rêver qu’elle pesait ses mots. Les pessimistes pensaient que personne n’aurait plus le dernier mot. Les alarmistes redoutaient que le mot de la fin pouvait être perdu. L’humanité privée de mots ne croyait plus à l’avenir. Plus de mots, plus de vie ! Cela ne pouvait plus durer. Qui aurait encore le mot pour rire ?

Habitués à enfoncer leurs yeux dans le silence de la nuit, certains comprirent qu’une possible réponse se trouvait parmi les étoiles. Au bas mot, il y en avait des milliers, bien plus d’ailleurs ! Si chaque étoile représentait un mot, si chacun s’occupait d’une étoile, alors tout redevenait possible !

Une étoile dominait les autres par sa lumière, par son harmonie. Elle s’imposait parmi toutes. Elle attisait le regard et caressait l’imagination. Partout sur la Terre, on fut fasciné par cette étoile à nulle autre pareille qui se dévoilait comme l’astre qui fait signe à celles et ceux qui le regardent. Une étoile complice et amie.

Il y eut d’abord un vague souffle, puis un murmure sans forme. Puis, lentement une clameur s’éleva. On s’écriait : « L’étoile… ! ». « L’étoile parle ! » « L’étoile envoie des mots ! ».

Les mots étaient sauvés !  ©


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