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Faut-il interdire Dieudonné de spectacle ?

Publié le 02 janvier 2014 par Vindex @BloggActualite
Faut-il interdire Dieudonné de spectacle ?-Dieudonné M'bala M'bala-La polémique fait rage.Actuellement, l'on se demande si les médias n'ont rien d'autre à se mettre sous la dent. Le sujet est très connoté, au fond assez simple mais avec des aspects multiples. L'humoriste Dieudonné fait à nouveau les titres des journaux d'information. Attisant les haines et les réactions, déchaînant les passions, ses propos très crus et parfois injurieux  ne laissent que peu de gens indifférents, et incite les plus hauts responsables politiques à des réactions, voire des projets. Analyse.

Qui est Dieudonné ? 


A moins que vous ne reveniez récemment d'un voyage sur Mars qui aurait débuté (forcément) il y a longtemps, vous connaissez forcément cet individu, ou du moins l'avez vous lu ou entendu. 
Très succinctement, laissez-moi toutefois détailler (pas aussi bien certes que la page wiki) ce personnage.Humoriste depuis les années 1990 (notamment en duo avec Elie Semoun), cet homme est réputé pour avoir un humour particulièrement caustique. Peu à peu, se trouvant un engagement politique, il mêle ses opinions avec ses spectacles. Se déclarant ouvertement homme de gauche (il soutient le droit au logement, milite pour la reconnaissance de la traite des noirs, dénonce le FN comme étant un cancer), il n'en est pas moins un militant aux positions assez communautaristes (participant à une guerre exacerbée des mémoires) et se tourne rapidement vers l'anti-sionisme (montant une liste anti-sioniste aux européennes de 2009) qui, eu égard à la hardiesse de ses propos, sonne parfois davantage comme un cache sexe d'un certain antisémitisme.Il a été condamné un certain nombre de fois pour injures à caractère racial ou provocation à la haine notamment.
Son rapprochement notable avec Jean-Marie Le Pen et Alain Soral ajoute un peu plus de confusion et de complexité à la nature de ses convictions, de son message, bien que celui-ci tourne souvent autour de l'existence d'un complot sioniste.
Dans ses spectacles, si la thématique est très présente ("Isra-Heil", "Shoah-nanas" ...), elle n'est pas exclusive non plus :  il a notamment fait un sketch concernant les pygmées,  ou encore sur la fine équipe du 11 (septembre) et sur Jésus sur la croix...
Dans un contexte médiatique très tendu, la moindre de ses frasques lui vaut par conséquent les foudres (ou projecteurs) des médias, la dernière étant la manière d'ironiser sur un journaliste juif (Patrick Cohen), ce qui fut peu drôle mais à prendre à un certain degrés (puisque nous sommes dans un spectacle).

Attaque de quenelles


En ce moment, c'est une vrai déferlante : les réseaux sociaux et médias en tous genres voient la multiplication de ces gestes qui symbolisent un certain ralliement. Elle apparaît notamment très distinctement sur son affiche de campagne en 2009.
Faut-il interdire Dieudonné de spectacle ?
Il s'agit d'un geste s'assimilant à un bras d'honneur au système, sous-entendu selon son inventeur au système sioniste. Evidemment il n'est pas nazi mais exprime une défiance envers le sionisme (ou peut-être davantage, et Dieudonné joue sur cette ambiguïté).
Cela étant cette gestuelle s'est tant répandue qu'elle en est devenue davantage une blague de potache, un signe de rébellion, parfois peut-être une "private joke", et il est fort probable que tous ses pratiquants ne sont pas pour autant des antisémites, ni même des antisionistes. Nombre de personnalités connues ont pratiqué ce "jeu de main" sans forcément toute l'arrière pensée qui s'y rattache théoriquement, mais plutôt pour suivre la mode (pèle-mêle : Teddy Riner, Tony Parker, Nicolas Anelka, Jean-Marie Bigard, Yann Barthès, ...).
C'est pourquoi il apparaît peu opportun et même assez utopique d'interdire cette tenue comme le propose pourtant un député UDI.
Plus d'informations sur la quenelle sur ce site.

Vers une interdiction ? 


Et la polémique enfle. Dernièrement, le ministre de l'intérieur évoquait étudier toutes les voies juridiques possible pour faire interdire les spectacles de Dieudonné, estimant nécessaire de casser cette logique de haine.
Politiquement, il apparaît pourtant une fois de plus peu souhaitable de procéder ainsi.
En effet, Dieudonné est connu très majoritairement pour ses attaques virulentes et ses mises en scène douteuses concernant le peuple juif. Pour autant, ses spectacles ne se résument pas à cet aspect, et priver ses amateurs de ceci serait abusif et réducteur.
Mais surtout, interdire de manière générale et absolue ses spectacles reviendrait à lui donner trop de crédit, d'importance, et ainsi à le rendre toujours plus connu (et donc ses propos) et à le poser en victime, ce qui reste sa méthode favorite pour se faire connaître. Le condamner pour ses éventuels dérapages semble être le meilleur compromis.
Le gouvernement réagit en l'occurrence de manière excessive et devrait laisser l'apanage de la lutte contre de tels propos aux prétoires, plutôt que de surenchérir dans la polémique. Mais peut-être y trouve t-il au fond un intérêt (qui consiste dans le fait de détourner l'attention des français vers des problèmes plus futiles).
Juridiquement, cette interdiction, qu'elle concerne un spectacle ou une réunion publique, et très délicate à mener.
Certes, une autorité de police administrative (un maire, un préfet ou le premier ministre) dispose d'un pouvoir administratif pour prévenir tout trouble à l'ordre public.
Mais bon nombre d'arguments nous incitent à penser que cette interdiction ne paraît que peu fondée et ainsi inenvisageable.
Tout d'abord, il convient de rappeler que le régime de protection de la liberté d'expression en France obéit à un régime de répression (c'est-à-dire d'interdiction a posteriori par la condamnation pénale) et non à un régime d'autorisation (c'est-à-dire d'interdiction a priori par le biais d'une interdiction de principe que l'on pourrait détourner par une demande d'autorisation).
Ainsi, par exemple une manifestation dans la rue n'est soumise qu'à une déclaration préalable.
De plus le critère de "réunion publique" avancé par certains est inopérant : en effet en France les réunions publiques sont libres et peuvent être tenues sans autorisation ni déclaration préalable (Lois du 30 juin 1881 et du 28 mars 1907).
Ensuite, la notion de trouble à l'ordre public exige la matérialité de certains faits : il faut pouvoir caractériser (le plus souvent par des faits semblables s'étant déjà produits) l'existence d'un risque de troubles à l'ordre public (sécurité et tranquillité principalement), ce qui n'est pas si évident (et qui d'ailleurs n'est que peu caractérisé lors des effets d'annonces).
Ce fut par exemple le cas lors d'une précédente affaire concernant déjà Dieudonné qui avait donné lieu à une interdiction sur ce motif, qui fut annulée par le Tribunal Administratif de Nantes puis le Conseil d'Etat, ce-dernier ayant estimé que "ces allégations (de troubles) ne sont, pas plus en appel qu'en première instance, étayées par aucun élément, en dehors d'une référence d'ordre général aux polémiques que certaines positions publiques de cet artiste ont pu susciter ; qu'en particulier, il n'est pas soutenu que le contenu de ce spectacle serait par lui-même contraire à l'ordre public ou se heurterait à des dispositions pénales".
Enfin, à supposer que certains troubles puissent être invoqués, la jurisprudence du Conseil d'Etat reste très protectrice à l'égard de cette liberté fondamentale.
En effet ce même arrêt ajoute que "il appartient au maire de concilier l'exercice de ses pouvoirs de police avec la préservation de l'exercice des libertés fondamentales, au nombre desquelles figure la liberté d'expression ;".
Autrement dit, le pouvoir de police doit être manié de sorte à concilier la sécurité publique et la liberté d'expression, ce qui exclut toute interdiction au profit de mesures plus proportionnées (comme la mise en place d'un service d'ordre aux abords de la salle par exemple).
Cette recherche de proportionnalité en la matière existe de longue date en droit français : en 1933, dans un arrêt Benjamin, le Conseil d'Etat estimait déjà que "l'éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu'il n'ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l'ordre en édictant les mesures de police qu'il lui appartenait de prendre ;".
L'interdiction des spectacles de Dieudonné et de ses diverses gestuelles apparaît donc aussi juridiquement difficile que politiquement inopportun.
Maintenant que l'essentiel a été dit, je tâcherai de m'abstenir du mieux que je le pourrai de parler de cette affaire dont les traits et l'importance sont tant grossis.

Sources


-Conseil d'Etat, 26 février 2010, réf., M'bala M'bala, n°336837 ;
-Conseil d'Etat, 19 mai 1933, Benjamin, n°17413 ;
-Sites en références dans l'article (wikipédia, le point, france télévision, le nouvel observateur).
Rem-100.

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