Magazine Régions du monde

Une fenêtre de feuillage s’ouvre dans son visage (1)

Publié le 03 janvier 2014 par Aicasc @aica_sc
Wifredo Lam  Déesse avec feuillage 1942

Wifredo Lam
Déesse avec feuillage
1942

Wifredo LAM, “ poète du pinceau fixe sur la toile la cérémonie de l’union physique de l’homme et du monde ”  et peint “ des hommes pleins de feuilles” .En effet, il s’abandonne au souffle du monde :“ Il sent. Il sent le long de son corps maigre et de ses branches vibrantes passer, riche de défis, la grande sève tropicale” (2)…. A tel point qu’il finit par ressembler lui- même à un arbre : “ LAM ! je vous retrouve toujours plus maigre,  plus long, dégingandé, dressant aux cieux vos longues branches si minces. ”(3)

Cette thématique de la fusion de l’humain et du végétal qui trouve son accomplissement dans la Jungle (1943) réunit le peintre Wifredo  Lam et le poète Aimé Césaire :

 

A force de regarder les arbres je suis

 devenu un arbre et mes longs pieds (4)

Et je pousse moi l’homme

Je pousse comme une plante(5)

 Entre bulbe et caîeu, j’habite l’espace inexploité

.. j’habite l’auréole des cactacées (6)

 et par mes branches déchiquetées
et par le jet insolent de mon fût blessé et solennel
je commanderai aux îles d’exister
(7)

 

Wifredo Lam Les yeux de la grille  1942

Wifredo Lam
Les yeux de la grille
1942

Les références à la végétation sont multiples dans les poèmes d’Aimé Césaire, du vocabulaire botanique extrêmement spécialisé jusqu’au titre du recueil, Moi Laminaire qui souligne l’identification du poète à une algue brune.

 

Le poète explique lui – même cette fascination pour le végétal.

“ Je suis effectivement obsédé par la végétation, par la fleur, par la racine. Rien de tout cela n’est gratuit, tout cela est lié à ma situation d’homme noir exilé de son sol originel. L’arbre profondément enraciné dans le sol, c’est pour moi le symbole de l’homme lié à sa nature, la nostalgie d’un paradis perdu.

Ma poésie est celle d’un déraciné et d’un homme qui veut reprendre racine. Et l’arbre … est le symbole de ce qui a des racines »  (8)

Outre ce désir d’enracinement, une philosophie de la vie et de l’univers sous – tend cette conception comme le démontre la communication Poésie et connaissance présentée à Port au Prince dans les années quarante : En nous tous les hommes. En nous l’animal, le végétal, le minéral. L’homme n’est pas seulement l’homme. Il est univers. …

Mais un homme sauve l’humanité, un homme la replace dans le concert
universel, un homme marie une floraison humaine à l’universelle
floraison; cet homme, c’est le poète.

Qu’a-t- il fait pour cela ?

Bien peu de chose, mais ce peu de chose, lui seul il le pouvait.

Comme l’arbre, comme l’animal il s’est abandonné à la vie première, il a
dit oui, il a consenti à cette vie immense qui le dépassait. Il s’est enraciné
dans la terre, il a étendu ses bras, il a joué avec le soleil; il a fleuri, il a
chanté.

Wifredo Lam Ta propre vie 1942

Wifredo Lam
Ta propre vie
1942

Et c’est une conviction qu’Aimé Césaire  continue de déployer dans le tombeau composé pour Miguel Angel Asturias : Quand Miguel Angel Asturias disparut

..Miguel Angel immergea sa peau d’homme

Et revêtit sa peau de dauphin

Miguel Angel dévêtit sa peau de dauphin

Et se changea en arc en ciel

Miguel Angel rejetant sa peau d’eau bleue

Revêtit sa peau de volcan

Et s’installa montagne toujours verte

A l’horizon de tous les hommes

Cette thématique de l’union de l’homme et de la plante est commune à la plupart des surréalistes, peintres ou poètes. Par exemple, André Breton découvrant Nadja évoque “  ses cheveux d’avoine” (9).  Dans L’amour fou, il peint la femme aimée et son " teint rêvé  sur un accord parfait de rouille et de vert : une fougère inoubliable” (10)  et “ ses cheveux en bouquet de chèvrefeuilles”. (11)

Selon Paul Eluard “  une fenêtre de feuillage s’ouvre soudain dans son visage (12).   André Masson s’est lui aussi à plusieurs reprises inspiré de ce thème de la métamorphose de l’homme en plante : Apollon et Daphné (huile sur toile 1933), La légende du maïs (détrempe sur bois 1943) ; les sept dessins de La mythologie de la nature réalisés  en 1938 et publiés en 1942 et tout particulièrement Sur les rives de l’ennui. La légende du maïs, transcrit en image une légende iroquoise assez similaire au mythe classique d’Apollon et Daphné. La légende de la transformation de Daphné en laurier qui cherche ainsi à échapper aux assiduités de Phoebus, transmise par Ovide dans les Métamorphoses remonte à l’Antiquité.Ces deux mythes narrent la métamorphose de la femme en plante.

Wifredo Lam Sans Titre 1942

Wifredo Lam
Sans Titre 1942

De très nombreuses gravures, particulièrement à la période la Renaissance, montrent un corps féminin dont les jambes s’enracinent dans le sol et dont les bras se prolongent par des feuilles. Cet amalgame de l’homme et du végétal est aussi présent dans certains manuscrits médiévaux comme le Pontifical de Besançon reproduit par Baltrusaitis, ou chez Holberg au XVIIIème siècle, de même que chez Bosch, chez Grandville, mais aussi, au  XXème siècle,  chez René Magritte avec Le domaine enchanté ou Les grands voyages ou chez Paul Delvaux, avec L’aurore et encore Labisse avec La fille prodigue (1943) et Ophélie (1941).

Toutes ces images fusionnelles évoquent le port de masques pour certains rituels. Lors de certaines cérémonies tribales, l’individu qui porte un masque incarne l’esprit dont il prend l’apparence. Il perd son identité et se transforme physiquement grâce au costume, spirituellement parce que "possédé" par la divinité. D’où cette idée de métamorphose possible. Certains masques rituels comme ceux des Asmat de Nouvelle Guinée, où le corps est entièrement dissimulé sous le rotin et le chanvre mais où le masque garde l’allure d’un visage anthropomorphe, réalise bien l’incarnation de l’homme-plante en mouvement. Ces masques rituels exemplifient les croyances primitives liées aux cultes des arbres dans tous les continents depuis la nuit des temps : le monde est animé dans sa totalité et tout objet naturel a son esprit ; ainsi les arbres sont habités par des divinités sylvestres.

Dès son retour à Cuba, la peinture de Lam connaît une mutation accélérée pour ce qui concerne la fusion de la figure avec le paysage végétal.

Les premières tentatives de fusion entre l’hybride anthropomorphe et la nature s’effectuent dans Deesse avec feuillage, Les yeux de la Grille, Ta propre vie.

Ensuite une nouvelle avancée se manifeste dans Sans titre et Femme avec Ciseaux.  

Wifredo Lam  Personnage avec ciseaux 1942

Wifredo Lam
Personnage avec ciseaux
1942

Enfin viennent les quatre tableaux Personnage avec Ciseaux, Le Bruit, Nu dans la Forêt, lumière de la forêt qui annoncent la Jungle .

Et la vie explose partout, libre, dangereuse, prête à tous les mélanges, à toutes les transmutations, à toutes les possessions. (13 )

 

 

Dominique Brebion

1 Paul Eluard, Absence II in Capitale de la douleur, Poésie – Gallimard Paris 1972, p. 92

2 Aimé Césaire Wifredo Lam et les Antilles 1946

3 Pierre Tropiques n°12 Janvier 1945 La revue des revues

4 Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal

5 Aimé Césaire, Les pur- sang – Les armes miraculeuses

6 Aimé Césaire, Calendrier lagunaire – Moi Laminaire

7 Aimé Césaire, Corps perdu

8 sieger J, Entretien avec Aimé CESAIRE, Afrique n°5, Octobre 1961, p. 67

9 André Breton, Nadja, Gallimard Poche 1233, Paris, 1964, p.187

10 André Breton, L’amour fou, Gallimard NRF, Paris 1968, p.136

11 André Breton, L’amour fou, Gallimard NRF, Paris 1968, p.136

12 Paul Eluard, Absence II in Capitale de la douleur, Poésie – Gallimard Paris 1972, p. 92

13 Pierre Mabille


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