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Le Loup de Wall Street, de Martin Scorsese

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 2,5/5

Le cadeau de Noël de « tonton Marty » se distingue plus par sa longueur (trois heures) que par sa qualité. S’il est évident que le cinéaste cherche à continuer dans la lignée des Affranchis et Casino, il tente surtout de se rassurer sur sa propre capacité à pouvoir fournir des oeuvres aussi complexes scénaristiquement que riches esthétiquement. La tentative échoue malgré quelques passages ingénieux.

© Metropolitan FilmExport

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Le film est l’histoire de Jordan Belfort, trader aussi rusé que féroce. Nous le suivons de ses premiers pas dans les bureaux de Wall Street jusqu’à sa lente déchéance en tant que patron de firme véreuse. Les premières minutes promettent de nous en faire voir de toutes les couleurs (introduction du personnage par sa voix off et apartés face caméra, montage rythmé et non-chronologique, description d’un monde et d’un mode de vie aussi détestables que fascinants, etc.). Jordan nous confie fièrement son addiction aux drogues et à l’argent avec le cynisme d’un homme d’affaire peu scrupuleux. Une fois cette présentation terminée, l’histoire (chronologique cette fois) peut commencer. C’est déjà à ce moment-là que quelque chose cloche. Jordan arrive en bus au lieu qui le rendra riche. Sur le fronton du véhicule y est écrit l’arrêt en lettres jaunes et fades. Mais, alors qu’il s’agit du Graal pour le personnage, Scorsese préfère nous l’afficher de cette sorte, pour nous prouver que Wall Street n’est qu’une station comme une autre. Voilà l’embryon bénin d’un mal-être qui grandira au fil des trois heures : contrairement à son habitude, Scorsese n’aime pas son héros. Il filme un homme qu’il ne veut pas comprendre, qu’il regarde de haut comme un être vulgairement cupide et, de fait, nous empêche ce processus d’empathie si important dans ce genre de fresque.

Pourtant, le détail est oublié rapidement lorsque Jordan fait la rencontre de son premier et dernier mentor. Mark Hanna (Matthew McConaughey, décidément excellent !) lui montre les rudiments de la vie de trader qui mélange cocaïne et billets verts au cours d’un déjeuner d’une justesse inouïe. La scène, la meilleure du film, résume tout ce que Scorsese veut s’efforcer de développer par la suite. Le regard prédateur et allumé de McConaughey compense son débit de parole lent et habité, presque à la façon d’un chaman. Il décrit alors leur boulot (clairement voler de l’argent en toute légalité), son pourquoi (pour faire manger la famille et parce que c’est ennuyant d’être pauvre) et son comment (une méthode Coué tribale pour démystifier l’absence de morale qui leur est imposée).

Tout est dit donc, alors pourquoi nous montrer ce que l’on suppose déjà ? Plus Jordan devient riche, plus il veut s’enrichir. Plus Jordan se came, plus il a envie de se camer. Plus il s’aime, moins on l’aime et plus on s’attend à ce que les choses tournent mal pour lui. Rien n’est surprenant dans ce film. Pourtant, Scorsese se débat, essaye, circule avec envie, voire avec désespoir, il veut qu’on y croit. Son but est de nous montrer la folie de ce milieu, mais avait-on besoin de toutes ces scènes de café, de restaurant, avec ses collègues qui exposent chacun leur vision sur la vie, les gens, qui sortent tout droit d’une sitcom de network ? Va-t-on être plus attentif lorsque Leonardo DiCaprio (plus Nicholson que jamais) crie des encouragements à son équipe et devient tout rouge ? Scorsese comble beaucoup, rajoute aussi. Et alors que chaque plan et chaque mouvement de caméra se justifiaient d’eux-mêmes dans Les Affranchis et Casino avec une fluidité jouissive, ceux du Loup de Wall Street restent vains par moments, carrément outranciers à d’autres (ce travelling en plongée sur les traders qui revient sur ses pas sans raison apparente, ou plutôt pour l’illusion de faire bouger quelque chose qui stagne depuis le début du film). Il faut dire que ces grands plateaux remplis de téléphones qui sonnent sont un support moins agréable à travailler que le désert de Las Vegas ou les rues de Brooklyn. On arrive pourtant à vibrer un instant dans ces bureaux, lors d’une grande fête où fanfare et strip-teaseuses se croisent. Une des employées a même accepté de se faire raser la tête pour dix-mille dollars. Et pendant que les autres rigolent et s’amusent, elle pleure et rit dans un dégoût d’elle-même et de ce qu’elle subit, regarde ses mèches tomber avec effroi et honte comme si elle avait franchi un cap dans son amour-propre.

Scorsese filme avec cruauté pour montrer la cruauté, mais il arrive à la même contradiction qu’Harmony Korine et ses Spring Breakers, qui montrait le vide de ses personnages à travers la superficialité de sa mise en scène. Le problème de ce genre de procédé, aussi louable qu’il soit, est qu’il passe d’une volonté de distanciation à un intérêt lointain et désuet qui le rend ennuyeux. Si personne n’est capable du moindre ressenti, que ce soit devant ou derrière la caméra, à quoi bon faire durer ça sur trois longues heures ? Car la deuxième moitié du film est une version exacerbée de la première. Lorsque les problèmes commencent avec ce rendez-vous sur le bateau entre Jordan Belfort et l’inspecteur du F.B.I qui le poursuit, le film devient pesant là où justement sa légèreté le rendait vivable. Tout à coup, il faut cacher l’argent, il faut cacher le manque d’idées et le trop plein de temps. Alors on s’agite encore et encore mais on a déjà perdu le spectateur.

© Metropolitan FilmExport

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Il est difficile de ne pas catégoriser les scènes entre elles tellement la plupart se ressemblent et une minorité ressort du lot comme des respirations plus que bienvenues. Dans une des dernières scènes, Scorsese prend apparemment beaucoup de plaisir à rendre son héros encore plus ridicule qu’il ne le montrait déjà. Jordan prend une énième fois de la drogue avec un de ses plus fidèles amis mais, dans l’urgence d’un appel, il s’en va dans sa voiture pour accéder à la première cabine venue. Le trip survient aussitôt qu’il entend son avocat lui donner la mauvaise nouvelle. Furieux et complètement drogué, Jordan tente tant bien que mal de regagner sa voiture en rampant. La scène est drôle, non seulement grâce à DiCaprio qui n’en finit plus de baver mais à Scorsese qui se fait plaisir pour une des rares fois dans son propre film.

Malheureusement, la séquence est trop tardive et la lassitude a déjà gagné. Il ne s’agit peut-être que de ça dans Le Loup de Wall Street : la lassitude d’un réalisateur qui ne trouve plus de sujet assez intéressant pour le motiver comme avant. Une lassitude aussi envers ses personnages, des êtres si grotesques qu’il en est impossible d’en tirer un bon film. Peut-être aussi une lassitude envers l’argent, le héros de ses héros, qu’il a trop fait parler dans sa filmographie. Ou bien était-ce seulement une manière d’exorciser son ancienne addiction à la cocaïne ?

Larry Gopnik

Film en salles depuis le 25 décembre 2013

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