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[critique] J.-C. Bailly – Le versant animal

Publié le 07 décembre 2013 par Consuelo

Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas l’imitation, par les animaux, de processus mentaux humains, mais c’est une ressemblance étale dont les regards justement sont l’écho – un peu comme si en deçà des particularités développées par les espèces et les individus existait une sorte de nappe phréatique du sensible, une sorte de réserve lointaine et indivise, incertaine, où chacun puiserait mais dont la plupart des hommes ont appris à se couper totalement, si totalement qu’ils n’imaginent même plus qu’elle puisse exister et ne la reconnaissent pas quand pourtant elle leur adresse des signes.

Nombre de philosophes, d’essayistes, se sont penchés sur le « mystère animal » pour tenter de découvrir quand finit l’animalité, quand commence l’humanité ; en jeu, une limite anthropologique, la confirmation d’une exception humaine indépassable, la garantie de sa singularité supérieure. Ainsi, d’un côté, Descartes et ses animaux-machines, Malebranche et son chien qui, lorsqu’on le frappe, ne geint pas parce qu’il aurait mal mais « mécaniquement », comme une porte grince quand elle est mal huilée. Et, de l’autre côté, quelques penseurs quêtant au plus près les indices d’intelligence animale : Montaigne et les langages et « industries » animales, les cyniques et le choix du chien comme modèle de vie naturelle et bonne.

Jean-Christophe Bailly s’abstrait de ce débat pour s’intéresser à un autre point du rapport homme-animal : leur rencontre, leurs regards. Que se passe-t-il lorsqu’un homme croise le chemin d’une autre forme de vie que la sienne? Que ressent-il à son contact? Quelle est l’expérience qui, alors, se donne à lui? 28 courts chapitres esquissent tour à tour, tantôt la teneur de cette rencontre, tantôt son sens : l’animal n’a pas de langage ; pourtant il est un langage : celui d’une manière d’être au monde qui, n’en déplaise à Heidegger, n’a rien de pauvre.

Cette manière d’être au monde, l’animal la partage avec l’homme et ce sont, parmi les hommes, ceux qui savent se mettre à l’écoute de cette manière d’être qui sont le plus aptes à « rencontrer » cet animal qui leur fait face. L’animal ne dit rien, il se tait, et ce silence interpelle – car il ne se contente pas de se taire : il dit quelque chose au travers de ce silence même. Cette chose, c’est une antériorité : Cette précédence, cet air d’ancienneté, cet air d’avoir été là avant, ils l’ont tous et c’est ce qu’on voit en les voyant nous regarder comme en les voyant simplement être entre eux, dans leur domaine.

lionne Gericault
Homme et animal n’appartiennent pas au même régime d’existence; pourtant, ils ont des choses à se dire. Ce rapport à la vie (dans les deux sens du terme : bios et existenz), de plus en plus oublié par les villes et rythmes contemporains, recèle une douceur, un apaisement, que Jean-Christophe Bailly sait fait revivre au creux de son essai, de son style, de ses exemples choisis.

On retrouve à sa lecture un peu de cette simplicité perdue, de cette manière pensive, rêveuse, heureuse, d’être au monde, que la rencontre furtive d’un animal, parfois, nous remémore : à la seconde où un touriste plein de bonnes intentions s’approcha de lui pour le caresser, le chat se leva et disparut.


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