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L'Union bancaire : planche de salut ou usine à gaz ?

Publié le 07 janvier 2014 par Raphael57

Union-bancaire.jpg

Si vous aimez les bobards bonnes nouvelles de début/fin d'année, alors vous avez dû être ravi d'apprendre qu'un accord avait été trouvé sur l'Union bancaire européenne. Petit florilège :

 * "Le dernier pilier de l'union bancaire a été construit", Wolfgang Schäuble

 * "C'est un moment très important dans l'histoire de l'Union européenne", Pierre Moscovici 

Précisons d'emblée que cet accord doit encore être approuvé d'ici le mois de mai par le Parlement européen, ce qui augure encore de beaux moments épiques puisque même Martin Schulz, le président du Parlement européen, estime qu'en l'état cet accord est "la plus grosse erreur jamais commise dans la lutte contre la crise".

De quoi s'agit-il ?

Lors du sommet européen des 28 et 29 juin 2012, il fut décidé de créer un superviseur bancaire pour les quelques 6 000 banques de la zone euro, sous l'égide de la Banque Centrale Européenne (BCE). Le désaccord portait sur le nombre de banques à superviser : l'Allemagne voulait que seules les grandes banques systémiques soient concernées (les Landesbanken, les banques régionales allemandes, en seraient donc exclues) alors que la France désirait qu'elles soient toutes concernées.

La mise en place de ce superviseur bancaire est la condition sine qua non d'une recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité (MES), c'est-à-dire le moyen de rompre le lien entre sauvetage des banques et endettement public des États.

L'objectif est donc d'éviter qu'une nouvelle crise bancaire ne se transforme en crise de la dette au sein de la zone euro, suivant le modèle désormais bien connu : les banques vont mal; elles appellent l'État à l'aide; ce dernier s'endette pour leur prêter des fonds; tous les contribuables paient in fine pour renflouer les banques.

L'objectif est d'éviter qu'une nouvelle crise bancaire ne se transforme en crise de la dette au sein de la zone euro, c'est-à-dire que les Etats - donc les contribuables - ne paient pour renflouer des banques en faillite.

MUS-MUR.jpg

[ Source : Courrier International ] 

Voyons donc plus en détail les deux mécanismes prévus par cet accord : le mécanisme unique de supervision, placé sous l'autorité de la BCE, et le mécanisme unique de résolution.

Le mécanisme unique de supervision (MUS, SSM en anglais)

En l'état actuel de l'accord, seuls 130 établissements bancaires seront concernés, soit 85 % de l’actif bancaire de l’UE (au passage, cela montre combien le système bancaire est encore beaucoup trop concentré). Mais le superviseur est autorisé à assurer directement un contrôle sur les autres banques, s'il considère qu'elles ont des difficultés financières.

Le conseil de supervision sera dirigé par un haut fonctionnaire français, Danièle Nouy. Pour assoir sa crédibilité, le superviseur unique s'est lancé dans une recension des actifs bancaires européens (Asset Quality Review, AQR), afin de connaître précisément la situation financière des banques qui seront sous son autorité et redonner confiance aux investisseurs.

Le mécanisme unique de résolution (MUR, SRM en anglais)

Il s'agissait de fixer des règles de renflouement des établissements bancaires en difficulté et de prévoir la liquidation d'une banque insolvable. N'oublions pas que les aides publiques déboursées au secteur bancaire en zone Euro ont totalisé 1 130 milliards d'euros entre 2008 et 2011 :

Aides-aux-banques.jpg

[ Source : Natixis ]

En pratique, un Conseil de Résolution Unique (CRU) pilotera le SRM, c'est-à-dire qu'il décidera soit de liquider une banque soit de la renflouer, selon le calendrier suivant :

SRM2.jpg

[ Source : Natixis ]

Rappelons que les règles de renflouement sont désormais les suivantes (accrochez-vous, les termes officiels sont un peu technique) : le Fonds de résolution ne pourra pas être utilisé  avant que 8 % du passif de la banque ait fait l’objet d’un bail-in. Par ailleurs, l’intervention du Fonds ne pourra être supérieure à 5 % du passif de la banque.

Très bien, mais ça veut dire quoi en clair ? Et bien simplement que lorsqu'une banque sera en faillite, les premiers à mettre au pot seront les actionnaires et les prêteurs (d'où le nom de bail-in), qui devront couvrir au minimum 8 % des pertes de la banque. Si cela ne suffit pas, il sera possible de faire appel à des fonds nationaux de résolution, abondés par le secteur bancaire. Enfin, les ménages et les PME seront protégés puisqu'il a été confirmé que leurs dépôts seront garantis à hauteur de 100 000 euros.

Un exemple de renflouement par le SRM

Pour que le lecteur comprenne bien les règles de renflouement énoncées ci-dessus, voici un exemple concret. Supposons qu'une banque, dont le total de bilan est de 200 milliards d'euros, est en difficulté. Le SRM vient à son secours suite à une perte de 26 milliards d'euros. Comment vont se décomposer les aides ? Réponse sur le schéma suivant :

Bail-in.jpg

[ Source : Natixis ]

Un accord dicté par l'Allemagne ?

Les équipes de recherche de Natixis avaient synthétisé les deux grands scénarios (cliquer sur le tableau pour l'agrandir) : scénario de Michel Barnier à la Commission européenne vs scénario allemand :

Tableau-SRM.jpg

[ Source : Natixis ]

A votre avis, et d'après ce que j'ai décrit plus haut, quel scénario l'a emporté ? Voilà pourquoi Michel Barnier ne pouvait contenir une certaine forme de déception, car les intérêts nationaux l'ont à nouveau emporté sur le grand projet européen...

La zone euro est-elle sauvée ?

Il n'aura pas échappé au lecteur que bien le Fonds de résolution soit unique, il reste compartimenté jusqu'en 2025. Cela signifie que chaque États disposera de son propre compartiment propre alimenté par ses banques domestiques. La mutualisation tant attendue du risque bancaire a donc fait long feu et un recours direct au MES est donc exclu jusqu'à cette date. Bref, en attendant 2025, c'est toujours chacun pour soi si une banque fait faillite.

Il faut par conséquent espérer qu'il n'y ait pas de crise bancaire avant 2025... D'où l'embarras de la BCE, et en particulier de Jean-Claude Trichet son ancien gouverneur, qui se demande bien quels pourront-être les filets de sécurité (backstops en anglais) qui seront mobilisés en cas de crise bancaire.

Du reste, le montant du fonds de résolution (environ 55 milliards d'euros) n'est qu'une goutte d'eau lorsqu'on sait que le total du bilan du Crédit Agricole avoisine les 2 000 milliards d'euros, c'est-à-dire 100 % du PIB français ! Il faut ainsi garder à l'esprit que le sauvetage des banques espagnoles avait mobilisé à lui seul 40 milliards d’euros en 2012 !

En fin de compte, il y a fort à parier que si une catastrophe bancaire arrivait, les États seraient à nouveau obligés de s'endetter pour sauver ses banques. Sauf que cette fois les États ne disposent plus de marges de manoeuvre suffisantes...

En définitive, cet accord sur l'Union bancaire est une usine à gaz qui passe à côté des vrais problèmes. En effet, en plus de devoir attendre 2025 pour que le mécanisme fonctionne à plein, celui-ci est tellement complexe qu'il lui sera difficile de rétablir la confiance dans le système bancaire européen. Le pire est que l'accord trouvé ne brise même pas le lien entre sauvetage des banques et endettement des États, qui était pourtant le point de départ de l'Union bancaire...

N.B : l'image de ce billet provient de cet article du site Presseurope.


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