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Le comique accumule les faux pas. Il s’est laissé aller dans la fosse à lisier. Il s’y plaît. Il tient bien de boue.

Publié le 09 janvier 2014 par Rolandlabregere

Quand l’humour déraille, quand les allusions foireuses s’enchaînent au rythme mitraillé de la répétition avide des mots les plus douteux, c’est le rire dans son ensemble qui prend du plomb dans le flanc. La gouaille gluante d’un forçat de la scène se transforme en constat de la haine. La récusation obsédée de la mémoire de l’Holocauste peut-elle tenir lieu d’usine à vannes ? Le rire n’est pas un objet manufacturé.

Qu’en est-il de la responsabilité de l’artiste ? Inciter à la haine, se gargariser de propos racistes ou entasser les clins d’œil antisémites, est-ce mobiliser les arts de la scène ou tenir meeting devant des auditoires consentants à l’expression de l’outrance et en recherche du partage frissonnant de la déviance populiste ? L’antisionisme proclamé sert de feuille de vigne à l’antisémitisme. Ces rhétoriques du doigt pointé et de l’adjectif pioché dans la tradition vichyste n’expriment pas des opinions. L’expression de la haine raciale est un délit selon la loi du 29 juillet 1881 et celle du 1er juillet 1972 http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19720702. Cette loi introduit le délit de provocation « à la discrimination à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Les précautions du langage à la spontanéité travaillée ramènent sur le devant de la scène le « meilleur » de Le Pen, patriarche de la cause rengainée du complot judéo-maçonnique. Même effort pour se tenir à distance des mots qui pourraient entraîner des condamnations, même choix de l’ellipse, même technique allusive, même rupture dans la tirade pour faire applaudir le silence. La Loi du 13 juillet 1990, nommée Loi Gayssot, accroît la sanction de tout acte raciste, antisémite ou xénophobe et de la contestation des « crimes contre l'Humanité » tels qu’ils sont définis dans les actes du  procès de Nuremberg. Le 27 décembre 2013, la ministre de la Justice, rappelle dans un communiqué, la circulaire de juin 2012 sur la nécessaire répression du racisme et de l'antisémitisme.

Interdire, est-ce toutefois la meilleure façon de faire débat et de faire partager les idéaux attachés à la vie républicaine ? La liberté d’expression dans les domaines de la culture et de l’art protège la création. Les systèmes totalitaires et les systèmes théocratiques mettent sous contrôle les créateurs en vue de les bâillonner ou de leur refuser toute expression publique (interdiction d’exposer pour les sculpteurs et les peintres, interdiction de publication pour les écrivains, interdiction de diffusion pour les cinéastes..). La liberté d’expression en matière artistique est un droit fondamental. Dans un passé récent, des groupes religieux ont cherché à interdire la représentation d’œuvres théâtrales. http://rolandlabregere.blog.lemonde.fr/2011/10/28/les-questions-de-laicite-concernent-la-vie-quotidienne-aussi-2/ Les improvisations et les sketches d’un comique provocateur et outrancier peuvent-ils être considérés comme des abus et des propos que la loi peut épingler ?

Les premiers législateurs des droits fondamentaux avaient pour leur part imaginé une vague réserve à la liberté d’expression. L’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 mentionne que l’expression est libre si toutefois elle ne donne pas lieu à des abus. Les meetings-spectacles de Le Pen n’ont jamais été interdits. Faut-il souhaiter que l’ordre public soit menacé pour se prononcer ? Cette notion découle elle-aussi de la Déclaration de 1789 qui mentionne que l’expression des opinions peut être sans restriction à la condition que « leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». L’ordre public fait se rencontrer le droit du citoyen et le droit de la société. A quelles conditions et à quel prix les libertés individuelles peuvent-elles être réduites ? Dans un environnement de bien-pensance, la victimisation accroît l’audience et construit des connivences sans consistance. Seul, le recours à la loi et à la sanction peut avoir une vertu compréhensive. Mais, seule, la loi ne peut rien sans le soutien et l’action des dispositifs qui contribuent à la cohésion. L’éducation, les médias, le monde du travail, la vie culturelle ont leur part à prendre pour expliquer qu’une communauté se construit sur le partage et se détourne des démarches négationnistes.  L'Histoire est le liant de la citoyenneté. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/01/09012014Article635248511423378169.

Avoir une grande gueule ne suffit pas pour faire rimer humour et humanité. Pierre Desproges touchait l’intouchable. Le comique à la hargne pélagique touche le grand fond. Il ne pourra pas remonter. « Il vaut mieux rire d’Auschwitz avec un Juif que jouer au Scrabble avec Klaus Barbie ». C’est Desproges qui le dit.


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