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Garde d'enfants: des inégalités grâce aux niches fiscales

Publié le 10 janvier 2014 par Juan
Fin novembre, la Cour des Comptes livrait un rapport sur la garde d'enfants passé totalement inaperçu. L'attention médiatique était portée la loi pénalisant la prostitution, une retraite chapeau mirifique pour un grand patron d'automobile et les premières consultations de Jean-Marc Ayrault à propos de la réforme fiscale. Bref, nous étions passés à côté de ce bilan, pourtant inhabituel sur le sujet.
Pourtant, la politique familiale fait l'objet de quelques attentions renouvelées. La Droite Furibarde accuse, sans rire, la gauche gouvernementale de vouloir "mettre à genoux la famille". Dans ses "voeux" de bonne année pour 2014, le MEDEF a explicitement espéré que les quelque 34 milliards d'euros de cotisations familiales réglées par les entreprises soient purement et simplement abrogées. L'an dernier, l'éventuelle mise sous conditions de ressources des allocations familiales avaient provoqué colère et tollé à gauche comme à droite. Finalement, le gouvernement a préféré rogner encore davantage le quotient familial pour équilibrer les comptes de la branche de la Sécurité.
Voici que la Cour des Comptes livrait un rapport très instructif sur les modes de garde des enfants de moins de 3 ans. Et l'on comprend l'urgence qu'il y aurait à mieux flécher certains dispositifs si l'on veut réduire les inégalités sociales. Environ 2,4 millions d'enfants sont concernés.
1. Rendons à César ce qui est à César: le nombre de places d'accueil a progressé de 47,7 % des enfants en 2006 à 52,2 % en 2011, "du fait d’une augmentation notable de la capacité d’accueil (de 131 600 places)." La promesse des 200.000 créations de places de crèche durant le quinquenat précédent n'a pas été tenue, et le volume de places supplémentaires a été réalisé en augmentant le nombre d'enfants par assistante maternelle... Un autre chiffre continue de frapper les esprits: en une décennie, le recul de la préscolarisation a été massif en France: de 35% à 11% entre 2001 et 2011.
2. Ces places se répartissent comme suit: 381.000 en crèches (+53.000 entre 2006 et 2011); 735.000 chez des assistant(e)s maternel(le)s (+160.000), 48.000 salariés à domicile (+5000) et 95.000 en pré-scolaire (-87.000). La facilité, ou non, de garde d'enfants est structurant pour l'activité des parents et, surtout, des femmes. En France, le taux d’activité professionnelle des femmes âgées de 4 25 à 49 ans atteignait 76,4% en 2011.
3. En juin dernier, le gouvernement Ayrault a promis d'augmenter de 275.000 le nombre de "solutions d'accueil" : 100 000 créations en accueil collectif, 100 000 enfants supplémentaires accueillis par des assistants maternels et 75 000 nouvelles places en école maternelle pour les moins de 3 ans. Ces objectifs ont été contractualisés dans la convention d’objectifs et de gestion conclue entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), le 16 juillet 2013. On estime le manque de places à près de 350.000.
4. La garde des enfants de moins de 3 ans coûte 13,95 milliards d'euros aux finances publiques (2011), répartis entre la branche famille de la sécurité sociale (73 %), les collectivités territoriales (17 %) et l’État (10 %).
5. Plus on est riche, mieux les enfants sont gardés: "l’accès des familles les plus modestes à un mode de garde demeure difficile." Quelle surprise ! La Cour précise: "64 % des ménages les plus aisés font garder leur enfant, contre 8 % des familles les plus modestes." L'analyse a été réalisée par quintile de revenu. La Cour critique que les aides ne soient pas mieux pondérées en fonction des revenus des familles. Moins de 10% des ménages pauvres ont accès à un dispositif de garde ! La situation est, sans surprise, pire pour les familles mono-parentales: "Ces disparités s’amplifient dans les situations de « monoparentalité » des ménages. Les parents isolés gardent plus souvent que les autres leurs enfants. Par ailleurs, seulement 8 % d’entre eux ont recours à un assistant maternel ou une garde à domicile, contre 20 % pour les ménages en couple."
Ces résultats s'expliquent: "les dispositifs fiscaux (i.e. les crédits d'impôts) ainsi que le plafonnement du barème national des participations familiales apparaissent globalement favorables aux ménages les plus aisés." Pire, pour les familles dont les revenus sont inférieurs à 2 SMIC, "le reste à charge pour une garde par une assistante maternelle est plus de deux fois supérieur à celui qu’elles auraient supporté si elles avaient pu bénéficier d’un accueil en crèche.". La Cour souligne cet exemple extrême, la caricature parisienne: "Bien que restant encore très marginale (4 % de l’offre), la garde à domicile quasi-exclusivement utilisée par les 20 % des familles les plus aisées et concentrées en région parisienne est le mode de garde le plus soutenu par les aides fiscales".
6. Les disparités territoriales sont "fortes", de 1 à 9 suivant les départements. Le taux de places n'est ainsi que de 30,2 % en Seine-Saint-Denis (département le moins bien équipé de métropole), contre 85,6% en Haute- Loire (le mieux loti). La Cour relève que "les structures d’accueil privées (crèches privées et assistants maternels) s’installent préférentiellement là où la solvabilité des familles est jugée, à tort ou à raison, supérieure à d’autres secteurs, l’attractivité des quartiers contribuant également à attirer les personnels."
7. C'est un secteur où il faut recruter d'urgence: le nombre d'emplois dans le secteur de la petite enfance "atteindra 594 000 en 2015", promet la Cour (+16 % en 10 ans). Si l’on prend en compte les départs en retraite, "ce sont près de 204 000 postes qui seront à pourvoir, dans un contexte de concurrence entre les différents métiers d’aide et de soins à la personne."
Conclusion: la garde d'enfants de moins de trois ans reste un confort de riches et fortunés, avec le soutien de l'Etat au motif de la défense des emplois à domicile.
Lire le rapport.

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